«L’affaire Epstein, bombe à déflagration pour le mandat Trump ?»

Ophélie Roque est professeur de français en banlieue parisienne. Elle a notamment publié Antisèches d’une prof. Pour survivre à l’Éducation nationale (Les Presses de la cité, 2025).


L’affaire Epstein, on a en tous entendu parler, on sait vaguement de quoi il s’agit (sa mort «suspecte» selon certains, son île de débauche où de jeunes femmes – quand ce n’était tout simplement pas de très jeunes filles – passaient d’un bras libidineux à un autre. Bref, un petit parfum de Salo « made in US ») mais, en France, l’affaire suscite peu d’émoi. Tout au plus un haussement de sourcil mais le plus souvent la crainte (légitime) d’aborder sur les rives du complotisme. Personne n’oublie qu’un conglomérat d’agités du bocal (les fameux QAnon) reste persuadé que les puissants de ce monde sont à la recherche d’une jeunesse éternelle en utilisant la magie de l’adénochrome. Cette substance hautement improbable serait prélevée sur des enfants apeurés et torturés. Dit comme ça, il est vrai que l’on a envie de pudiquement refermer la porte et de se préoccuper de sujets plus hexagonaux. Et pourtant ce serait un tort, l’affaire a de ceci d’important qu’elle compte aux États-Unis et qu’elle finira donc (à un moment ou à un autre) par compter pour nous.

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Lors de la campagne de 2024, Trump (et Musk) ont beaucoup promis : promis de faire justice, promis de livrer la liste des «bad guys», promis de délivrer le monde d’un potentiel complot des puissants. Alors face à cette tiédeur nouvelle à l’idée de dévoiler les noms une partie de la base s’interroge. Et si Trump n’était pas le justicier tant attendu par les White Trash ?

Selon un sondage Reuters/Ipsos, 69 % des Américains estiment que des informations sur l’affaire Epstein sont dissimulées.

Ophélie Roque

La mort en 2019 de Jeffrey Epstein, retrouvé pendu dans sa cellule, a remis une pièce (comme si besoin était !) dans la machine à sous des complots. Les gens se contentent rarement de la vérité, ils veulent toujours qu’un mystère soit caché sous la platitude de l’évidence. Dans le fond, c’est triste, cela montre que l’Homme s’ennuie mais passons. Bref, puisqu’ils veulent y croire, faisons l’effort (un temps) de croire avec eux : la mort d’Epstein serait un assassinat orchestré par le «deep state» qui souhaite – plus que jamais – protéger ses élites impliquées dans un réseau aussi bien sataniste que pédo-criminel. Patatras, le rapport publié en juillet par le département de la Justice (tenu par Pam Bondi, une proche de Trump) a douché tous les espoirs. Rien. Nada. Que tchi. Aucune liste de clients et circulez il n’y a rien à voir ! Pas étonnant qu’une partie de la base MAGA n’en revienne pas. On leur vole leur vérité, l’élite – à nouveau – se retourne contre elle. Il y a de quoi sortir les fourches et les piques pour moins que ça.

Du point de vue français, on s’interroge. Qu’est-ce qui peut bien tenir la presse américaine en émoi dans cet imbroglio politique digne d’un Labiche sous acide ? C’est qu’on oublie que les États-Unis traversent une crise de confiance envers les institutions bien plus amplifiée que chez nous. Selon un sondage Reuters/Ipsos, 69 % des Américains estiment que des informations sur l’affaire Epstein sont dissimulées. Quant au gourou détrôné Elon Musk, il s’amuse à souffler sur les braises. Les tweets complotistes s’accumulent et il nargue l’ancien compère. La politique a de ceci qu’elle reste cruelle, peu importe le masque bouffon porté par les acteurs.

Et non seulement Donald Trump est lâché par Musk mais son revirement est également pointé du doigt par des personnalités médiatiques d’habitude en phase avec lui. Alex Jones ou Tucker Carlson n’hésitent plus à dénoncer un scandale, on tenterait de jeter bébé avec l’eau du bain ! Mieux que cela, Carlson ose et, dans un podcast paru le 14 juillet 2025, avertit le gouvernement qu’il «joue avec le feu» et risque d’alimenter un «véritable extrémisme». Ces deux noms ne nous disent peut-être rien mais ils sont suivis par des millions de personnes Outre-Atlantique.

À force de jouer avec les allumettes, il est possible que Donald Trump n’ait enflammé sa propre présidence.

Ophélie Roque

Si tout ceci remue autant c’est que l’affaire Epstein est le «vaisseau mère» des théories du complot. Toucher à cette pièce signifie ébranler toutes les autres et Trump commence seulement à le comprendre. Pour la première fois depuis son retour à la Maison-Blanche, le président fait face à une fronde interne assez significative. Lors d’un rassemblement en Floride, des militants trumpistes ont même hué des représentants de l’administration. Le fait restait inédit. C’est désormais chose faite. Trump s’est construit une image de chevalier de la transparence se dressant contre les multiples perfidies d’un establishment accusé de cacher la vérité. C’est comme si leur héros décampait face au dragon. Il y a de quoi être déçu. En reculant maintenant, il prend le risque d’avoir la cuirasse un tantinet éclaboussée par cette sordide histoire. Surtout que son passé amical avec le financier est bien documenté. Peu tendre avec le président, le Wall Street Journal  s’amuse d’ailleurs à relancer la polémique ce 17 juillet en évoquant un message de 2003 signé Trump dans un livre d’or pour les 50 ans d’Epstein… petit mot accompagné d’un dessin suggestif ! Le président menace de poursuivre le journal en justice et dénonce un «article diffamatoire» mais le mal est là et il perdure.

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Face à cette fronde, le président oscille entre les stratégies. Il a d’abord tenté de minimiser, affirmant que «plus personne ne se soucie d’Epstein» et qualifiant d’«idiots ceux qui font le jeu des démocrates» avant de rétropédaler et d’annoncer deux jours plus tard que la ministre de la Justice pourrait publier «tout ce qui est crédible» sur l’affaire. Las, cette concession semble un peu maigre pour des «croyants» chauffés à blanc. La foule gronde et menace. Pour l’instant, tout ceci entame assez peu sa présidence mais qui sait ? À force de jouer avec les allumettes, il est possible que Donald Trump n’ait enflammé sa propre présidence.