Les pays baltes renforcent leurs défenses face à la menace russe et au déclin de l’Otan

La guerre en Ukraine pourrait-elle en cacher une autre ? Alors que la Russie et les États-Unis se sont entretenus cette semaine en Arabie saoudite sur l'avenir du conflit en Ukraine, les pays riverains de la mer Baltique ont publié une multitude de rapports mettant en garde contre les projets du président russe Vladimir Poutine d'étendre le conflit militaire à l'ensemble de l'Europe.

Le service de renseignement extérieur de l'Estonie a averti que la Russie renforçait ses forces armées, laissant craindre "une future guerre potentielle avec l'Otan". Les services de renseignement danois estiment quant à eux que la Russie serait prête à mener une "guerre à grande échelle" en Europe d'ici cinq ans, si elle percevait l'Otan comme faible.

Or, l'affaiblissement de l'alliance transatlantique semble désormais inévitable. Après la charge virulente du vice-président américain J.D. Vance contre l'Europe lors de la conférence de Munich sur la sécurité et le début des pourparlers de paix sur l’Ukraine entre la Russie et les États-Unis, des rumeurs indiquent que les États-Unis de Donald Trump prévoiraient de retirer des pays baltes leurs troupes déployées dans la cadre de l’Otan.

La Lettonie, la Lituanie et l'Estonie sont toutes trois d'anciens États soviétiques et partagent une frontière terrestre avec la Russie. "Si le pont transatlantique ne s'est pas encore écroulé, nous avons le sentiment qu'il est sérieusement endommagé", déplore Māris Andžāns, directeur du Centre d'études géopolitiques de Riga, en Lettonie. "Biden s'est rendu à Kiev pendant la guerre et maintenant Trump est prêt à se rendre à Moscou. C'est un sacré retournement de situation." 

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Des budgets militaires en forte hausse 

Les huit pays nordiques et baltes (Danemark, Estonie, Finlande, Islande, Lettonie, Lituanie, Norvège et Suède) comptent parmi les plus fervents partisans de l'Ukraine depuis le début de l'invasion russe à grande échelle en 2022.

Au cours des trois dernières années, ils ont également intensifié leurs propres efforts pour contrer une éventuelle agression militaire russe, en augmentant les dépenses de défense et en sensibilisant leurs citoyens au risque d'un conflit à grande échelle.

Dernier effort en date, le gouvernement danois a annoncé mercredi une augmentation record de ses dépenses en matière de défense, à plus de 3 % du produit intérieur brut pour 2025 et 2026. "La situation sécuritaire actuelle montre clairement que nous devons investir dans notre défense à un rythme beaucoup plus rapide qu'auparavant", a déclaré le ministre des affaires étrangères, Lars Løkke Rasmussen, dans un communiqué.

En Lituanie, le gouvernement a réintroduit la conscription militaire, doublé la taille de ses forces armées et augmenté les dépenses de défense à 3,4 % du PIB – l'un des niveaux les plus élevés de tous les pays de l'Otan.

Si une invasion russe devait se produire demain, "nous sommes bien mieux préparés qu'il y a dix ans", affirme Māris Andžāns, estimant néanmoins que des progrès restent à faire. "Nous ne disposons toujours pas de défense aérienne, qui serait essentielle en cas de conflit armé", ajoute-t-il.

Un rapport des services de renseignement lettons publié cette semaine estime que la menace d'un conflit direct entre la Russie et un pays de l'Otan au cours des 12 prochains mois reste "faible" tant que l'armée russe se battra en Ukraine.

Depuis l'escalade du conflit en 2022, la Russie a suspendu le renforcement militaire prévu le long de ses frontières septentrionales avec les pays de l'Otan, qui comprenait notamment le doublement des 30 000 soldats stationnés le long de sa frontière avec la Finlande.

"Mais la crainte est que, surtout si la guerre en Ukraine s'arrête, la Russie se concentrera sur la reconstruction de son organisation militaire", souligne Katarzyna Zysk, professeur à l'Institut norvégien d'études de défense.

Selon les services de renseignement lettons, la Russie pourrait ainsi redevenir une menace significative pour l'Otan dans les cinq ans à venir.

D'autant plus que la guerre en Ukraine n'a pas refroidi les grandes ambitions militaires de Vladimir Poutine, bien au contraire. Le maître du Kremlin a décrété en septembre une augmentation massive de 180 000 soldats. Le pays compterait alors 1,5 million de militaires d'active, ce qui en ferait la deuxième armée du monde, après la Chine.

"La Russie veut atteindre les objectifs qu'elle poursuit méthodiquement depuis le début des années 2000", analyse Katarzyna Zysk, à savoir étendre sa sphère d'influence et saper la position des États-Unis en tant que force internationale dominante, en particulier en Europe. "Ces ambitions très vastes indiquent que la Russie se prépare à une confrontation à grande échelle", alerte-t-elle.

Guerre hybride

Ces développements ne signifient pas que la Russie a résolument décidé de s'engager sur la voie d'un conflit militaire, précise Māris Andžāns. Mais plutôt que "cette option ne peut pas être écartée", précise-t-il.

Partageant cette crainte, la Lettonie a développé ses infrastructures de défense, notamment en plaçant des obstacles antichars le long de ses frontières avec la Russie et la Biélorussie. La Finlande, la Lettonie et l'Estonie – également membres de l'UE et de l'Otan et qui partagent des frontières terrestres avec la Russie – ont pris des mesures similaires.

Soucieuses de se prémunir des pressions russes, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont achevé voilà une dizaine de jours leur connexion au réseau électrique européen, rompant ainsi les liens de l'ère soviétique avec le réseau russe.

La question demeure néanmoins sensible. Ces derniers mois, plusieurs câbles sous-marins de télécommunications et d'électricité ont été sectionnés sous la mer Baltique, où huit pays de l'UE et de l'Otan partagent une frontière maritime avec la Russie.

Moscou a nié viser délibérément les infrastructures sous-marines, qui sont fréquemment endommagées par les chalutiers de pêche. Mais des experts et personnalités politiques, dont le président letton, ont accusé la Russie d'utiliser des tactiques non militaires pour mener une "guerre hybride".

Ces tactiques visent à déstabiliser les sociétés et à semer la discorde dans la "zone grise", sous le seuil du conflit armé et en dehors des cadres juridiques. Difficiles à identifier et à contrer pour les pays occidentaux, elles renforcent le sentiment qu'une forme de conflit avec la Russie a déjà commencé.

"La Russie mène des activités d'espionnage dans la mer Baltique, à la fois dans l'espace technique et dans l'espace virtuel, et elle mène des opérations de renseignement en Lettonie", explique Māris Andžāns.

À Riga, capitale de la Lettonie, les actes de vandalisme pro-russes se sont multipliés. Un cocktail Molotov a notamment été lancé à l'intérieur du musée letton de l’Occupation, qui retrace les 51 années du pays sous les jougs successifs de l’URSS, de l’Allemagne nazie, puis à nouveau des soviétiques. Le directeur du musée a déclaré que cet incident constituait une attaque "contre les fondements de l'État letton, la Constitution et la vérité".

"La Russie joue un jeu de très longue haleine en utilisant toute cette gamme d'outils", prévient Katarzyna Zysk. Pour l'avenir, "la Russie va certainement utiliser des moyens politiques, économiques et médiatiques pour influencer la politique, polariser les débats et créer le chaos", ajoute encore la spécialiste.

"Et je ne vois pas pourquoi la Russie n'utiliserait pas des moyens militaires, dans certaines circonstances. Elle a prouvé à maintes reprises qu'elle était prête à le faire."

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Cet article est traduit de l'anglais, l'original est à retrouver ici