La Maison des écrivains et de la littérature (Mél) est l’une des principales associations de soutien aux auteurs. Elle œuvre notamment à fédérer les écrivains et à promouvoir la lecture dans le milieu éducatif. La Mél fait face aujourd’hui à des difficultés financières sans précédent, dues à des coupes budgétaires opérées par les pouvoirs publics, notamment la perte du soutien du ministère de la Culture et de la DRAC. Cette structure essentielle du paysage littéraire est désormais menacée d’une fermeture brutale. Sa directrice, Sylvie Gouttebaron, fait part de ses inquiétudes au Figaro et lance un appel à la mobilisation.
LE FIGARO.- Comment cette réduction significative des subventions publiques a-t-elle affecté vos activités et vos projets ?
Sylvie GOUTTEBARON.- Cette réduction drastique affecte (et ce depuis quelques années déjà avec un réel accélérateur en 2025), l’ordre même du travail d’une équipe professionnelle rigoureuse. Non seulement parce que la baisse est très grande (150.000 euros de moins par rapport à 2024), mais aussi parce qu’elle n’est annoncée que très tard dans un exercice normal d’activités, sans aucune réunion de travail, donc sans possibilité d’expliciter au moins les actions, projets, sens de tout cela, à des interlocuteurs censés les soutenir. Il est impossible, dans de telles conditions, de réorganiser tous les projets. C’est impensable et tout est déjà parfaitement engagé. C’est donc porter tort à la structure en faisant croire qu’elle est incapable, qu’elle ne sait pas faire alors que c’est ce décalage entre notre demande de subvention et une réponse du ministère qui nous oblige à des contorsions invraisemblables, voire cruelles. Cette absence de relation avec un partenaire qui devrait à tout le moins s’intéresser à l’action afin de l’apprécier ou non, nous est incompréhensible et dans les faits, parfaitement préjudiciable.
Le beau paysage littéraire et éducatif dessiné puissamment au long de ces 40 dernières années, auquel a contribué de toutes ses forces la Mél se verrait troué, percuté de taches tristes et noiresQuel est l’effet de cette baisse drastique annoncée au dernier moment ?
Cette baisse a donc un impact radical sur le processus d’une activité comme celle d’une structure qui met en relation les artistes que sont les auteurs/autrices et leurs lecteurs/lectrices, notamment dans le cadre de notre travail cousu main d’éducation artistique et culturelle. Dans ce cadre, le calendrier de mise en place est un travail précis qui souffre des incertitudes liées à cette absence de dialogue avec le partenaire principal. Que faut-il faire alors ? Tout arrêter en attendant ? Avoir le courage, comme l’association l’a encore, de nourrir l’espoir de perspectives et, ce faisant, en mettant en place un véritable programme d’actions. Si l’on n’avance pas, alors que faisons-nous ?
La Maison des écrivains joue un rôle clé dans la médiation entre auteurs, enseignants et élèves. En quoi cette crise vous menace-t-elle ?
Exact, la Mél joue encore aujourd’hui un rôle majeur de médiation et ce, dans des formes que d’autres n’appliquent pas de la sorte, c’est-à-dire au plus près de chaque interlocuteur. Parce que la manière d’opérer de la Mél s’exerce avant tout par relations humaines, de dialogue en dialogue avec nos interlocuteurs, d’ajustements pointus selon les œuvres proposés en présence des écrivains. Cette crise ne menace donc pas seulement la raison même d’exister de la Mél, elle menace également les partenaires qui comptent sur elle, comme les partenaires des académies de l’Éducation nationale, les enseignants et les écrivains, et par voie de conséquence, tous les élèves, ils sont nombreux, qui bénéficient de rencontres imaginées, pensées, organisées par les services de la Mél. Sans compter que priver la Maison de moyens financiers, c’est évidemment priver aussi les auteurs, les autrices qui sont rémunérés via ces projets. La Mél est un intermédiaire essentiel qui assure toutes les conditions administratives et matérielles sans compter le dialogue permanent qu’elle entretient avec les auteurs et les enseignants pour que la rencontre se passe au mieux.
Avec un budget réduit, quelles actions prioritaires envisagez-vous pour maintenir les missions essentielles de la Maison des écrivains?
Au point de baisse des crédits, il est à craindre que plus aucune action ne soit possible, donc les priorités ne sont même pas envisageables. Depuis la baisse engagée il y a quelques années hélas, nous avons renoncé à bien des actions déjà, je pense surtout au programme national vers les Universités et les grandes écoles ou encore nos rencontres ponctuelles entre les écrivains et les publics hors scolaires comme elles étaient conçus au Petit Palais par exemple. Nous avons, de tout cela, préservé, consolidé notre festival Littérature, Enjeux contemporains qui existe depuis 15 ans et dont nous envisageons avec Dominique Viart qui les porte avec nous, une 16e édition intitulée : Reprendre la parole, on nous raconte des histoires, au mois de décembre, au Théâtre du Vieux-Colombier, comme chaque année. Ce qu’il faut savoir, à cet égard, c’est que ce festival s’inscrit entièrement dans un plan d’éducation artistique et culturelle puisque les rencontres sont inscrites au plan de formation des trois académies franciliennes. Ce qui n’est pas rien.
Alors pourquoi vouloir l’effacer ainsi ? Au profit de quoi ? Notre société a besoin, maintenant comme toujours, de donner le goût de lire à tout un chacun. C’est une force, une joie, une liberté.Quelles sont les solutions que vous pouvez envisager aujourd’hui ?
Toutes sont envisagées. Et nous ne pouvons accepter que l’association elle-même soit dans l’obligation de mettre un terme à ses activités, son existence. Ce qui arrive n’est pas de sa responsabilité, mais de celle du ministère de la Culture qui s’est particulièrement désengagé, tant sur le plan financier qu’intellectuel, ce qui constitue une double atteinte à la vie de la Mél. Nous avons toujours considéré les échanges comme des foyers majeurs pour construire un avenir répondant aux priorités de ce gouvernement en matière de livre et lecture. Ces missions, la Maison les porte avec courage malgré tout ce qui la menace, en croyant fermement en sa vision exigeante, partagée avec nos partenaires de l’éducation nationale, pour transmettre la littérature. La semaine dernière, nous avons écrit à tous les maires de France (ils sont plus de 36.000), par un courriel très militant, en les sollicitant pour une adhésion à 40 euros en soutien à la Maison qui est encore et a été présente partout en France, par la rencontre entre élèves et auteurs/autrices dans une quantité phénoménale de villes, y compris de toutes petites communes de moins de 5.000 habitants, voire des petits bourgs de 250 citoyens, qui ont une école primaire où une rencontre a pu avoir lieu grâce à la Mél. Nous recherchons des partenariats privés, avons lancé des campagnes d’adhésions, nous avons réduit la masse salariale par deux licenciements en il y a trois ans, n’avons remplacé aucun départ à la retraite, avons rencontré des élus... En somme, nous ne cessons de militer pour sa survivance. Il semblerait que sa fin soit considérée par beaucoup comme une impossibilité, une chose inconcevable, un écroulement. Pour ce qui me concerne, j’ai vécu la fin du festival littéraire de Bron comme une catastrophe. C’en serait une aussi.
Concrètement, le danger de fermeture existe-t-il ? Et si la Mél devait fermer définitivement, quelles seraient les conséquences pour le paysage littéraire et éducatif français ?
Oui, le danger de fermeture est tout à fait réel. Nous en sommes au point où le commissaire aux comptes a engagé une procédure d’alerte, laquelle procédure, avec notre réponse, a été immédiatement envoyée au ministère de la Culture, dont nous espérons une réponse. Le beau paysage littéraire et éducatif dessiné puissamment au long de ces 40 dernières années, auquel a contribué de toutes ses forces la Mél se verrait troué, percuté de taches tristes et noires. Nous ne sommes pas les seuls à subir ce que nous subissions, avec la même violence que dans d’autres régions, départements. On veut réduire la Mél à une association lambda. Sans prétention, reconnaissons tout de même qu’au vu des subventions qu’elle a reçues au fil des ans, si ténues aujourd’hui, elle n’est pas et n’a jamais été une association ordinaire. Sa singularité vient aussi du fait qu’elle est administrée par 12 écrivains, issus de tous les genres littéraires, et une équipe professionnelle experte, amoureuse passionnée des textes, prête à tout pour que son efficacité demeure au service de la cité, des citoyens épris de pensée, de lectures, du désir de rencontrer les créateurs singuliers que sont les écrivains. À l’international, la Mél a encore une surface qu’elle entretient coûte que coûte. Gdansk recevra la semaine prochaine, Brigitte Giraud. Cela n’aurait pas été possible sans la Mél. Alors pourquoi vouloir l’effacer ainsi ? Au profit de quoi ? Notre société a besoin, maintenant comme toujours, de donner le goût de lire à tout un chacun. C’est une force, une joie, une liberté. Reconstruire un tel paysage, qui a donné le meilleur, qui doit être soigné serait un travail de longue haleine et l’on se réveille très mal d’une telle casse.