REPORTAGE. "C'était plus un tsunami qu'une vague" : cinq ans après le Covid-19, à l'hôpital de Mulhouse, le souvenir toujours traumatisant des premiers cas en France

C'était il y a cinq ans : l'épidémie de Covid-19 commençait tout juste à préoccuper les dirigeants internationaux, alors que l'Organisation mondiale de la Santé qualifiait enfin l'épidémie "d'urgence de santé publique de portée internationale", le 30 janvier 2020. À Mulhouse, un des premiers foyers d'apparition de la maladie en France, l'hôpital avait été très vite débordé.

Le docteur Marc Noizet, chef du service des urgences, se souvient en apercevant le parking de l'hôpital : "C'était exactement là que les militaires sont arrivés pour déployer un hôpital de campagne sous des tentes". À l’époque, pour reprendre les mots du président de la République, "la France est en guerre". Et les Français ont les yeux rivés sur ce premier cas détecté de Covid-19, pris en charge par cet hôpital de campagne. Très vite la situation se dégrade.

Une ampleur inédite

"Tous les jours, on avait une quinzaine de patients graves qui relevaient de la réanimation. On est montés jusqu'à 25 patients la même journée. Donc, vous comprenez qu'avec notre hôpital qui dispose de 30 lits de réanimation, c'était impossible", témoigne le chef de service. On comprendra plus tard que ce premier gros foyer de contamination venait d'un vaste rassemblement évangélique ayant eu lieu dans la région, quelques jours plus tôt. 

"Tout d'un coup, le système s'est emballé. Le SAMU a croulé sous le nombre d'appels. Les patients sont arrivés toujours plus nombreux, toujours plus graves. C'était plus un tsunami qu'une vague."

le docteur Marc Noizet, chef du service des urgences à Mulhouse

franceinfo

L'angoisse de la population progresse par ailleurs, à mesure que le manque d'information sur cette maladie méconnue se fait toujours plus flagrant. "On ne savait pas quelle était cette maladie et les professionnels étaient démunis de voir décéder un aussi grand nombre de patients, sans avoir rien à leur proposer" poursuit le docteur.

Le docteur Didier Debieuvre, chef du service de pneumologie, se souvient de ce personnel de santé, obligé d'encaisser face à une pandémie d'une ampleur encore inconnue pour l'époque. "On avait l'impression d'être dans un cauchemar. Les patients, on avait l'impression qu'ils arrivaient par car entier. C'était hors de la réalité". Un traumatisme pour certains, car si l'hôpital tient bon, la vague passée, le contrecoup se ressent très vite. Une vague de démission de soignants, sans précédente, s'enclenche et conduit de nombreux professionnels vers la Suisse voisine.

"Comme partout ailleurs, il y a des gens qui ont quitté l'hôpital par la suite. Ça a été un déclencheur. Il y avait déjà un mal-être dans les hôpitaux, compte tenu de la charge de travail. Mais ça a été, un moment donné pour certains, la goutte d'eau qui a fait déborder le vase".

le docteur Didier Debieuvre, chef du service de pneumologie à Mulhouse

franceinfo

Si l'hôpital a réussi à réembaucher depuis la fin de la pandémie, le manque d'infirmières et d'infirmiers se fait toujours cruellement sentir.

Des leçons retenues et un hôpital mieux préparé

Ce traumatisme aura toutefois eu la vertu de montrer l'inadaptation des hôpitaux français face à une pandémie d'une telle ampleur. Le docteur Joy Mootien, réanimateur, et qui à l'époque avait soigné le premier patient Covid arrivé à l'hôpital de Mulhouse, explique qu'aujourd'hui l'hôpital est bien plus préparé : "On a mis en place une unité d'hospitalisation pour les maladies infectieuses, recruté de nouveaux infectiologues, et augmenté les capacités pour tout ce qui est unité mobile d'infectiologie. Au niveau du laboratoire, on a pu acquérir de nouveaux matériels. Les circuits sont aussi beaucoup plus courts. Aujourd'hui, on sait comment faire, comment aussi communiquer avec les gens de l'hôpital et en dehors de l'hôpital".

Comme un symbole, un nouveau bâtiment qui réunira urgence et réanimation sera bientôt construit sur le parking qui avait hébergé ce premier hôpital d'urgence au début de la pandémie. D'un point de vue humain, le docteur Marc Noizet dit avoir beaucoup appris. "C'est une expérience humaine hors du commun pour nous les soignants. Parce que tout d'un coup, on a vécu quelque chose qui arrive une fois par siècle, confie le chef de service. Il y avait beaucoup d'humilité parce que chacun apprenait de son métier".

Le docteur Marc Noizet sur le parking de l'hôpital de Mulhouse, cinq ans après le début de la pandémie de Covid-19, en janvier 2020. (SOLENNE LE HEN / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Le médecin en tire tout de même du positif : "Ce tissu humain qui s'est créé à ce moment-là, je trouve que c'est ce qu'il y a de plus beau. C'est la preuve que quand on est face à une difficulté extrême, on est capables de se transcender et on est capable de transformer le système. C'était ultra-fort."

Beaucoup de soignants observent toutefois, à regret, que la plupart des Français semblent avoir trop vite oublié la pandémie de Covid-19. Pour preuve, l'épidémie de grippe cet hiver 2024-2025, qui met une nouvelle fois les hôpitaux en tension. "Quand on voit le pourcentage de vaccination dans la population française, non, on ne peut pas s'en satisfaire. Je veux dire, on se dit qu'on n'a rien retenu, on n'a rien appris de la pandémie", se désole le docteur Didier Debieuvre. La plupart d'entre eux tiennent encore à rappeler l'importance de la vaccination, mais aussi des gestes barrières pour limiter la transmission des virus.