« Bien sûr qu’il existe ! » : la déclaration de Fabien Roussel sur le « racisme anti-blanc » divise à gauche

Sur le plateau de CNews, temple réactionnaire de Vincent Bolloré, la question ne pouvait qu’être posée. « Ça existe le racisme anti-Blanc, Fabien Roussel ? », demande Laurence Ferrari, mardi 25 mars. « Bien sûr qu’il existe, répond sans hésiter le secrétaire national du PCF. Mais le racisme anti-Blanc, le racisme anti-Noir, le racisme anti-chinois, anti-asiatique, c’est terrible. Et vous savez ce que ça fait ce racisme de toutes sortes ? Il est fait pour diviser le peuple, pour diviser les Français, quelle que soit leur couleur et leur origine. Et pendant ce temps là, les affaires prospèrent. Record de dividendes en 2024 et on en parle pas. Pas un mot ! ».

Cette position, relayée par l’actuel maire de Saint-Amand-les-Eaux (Nord) lui-même sur son compte X, a largement fait réagir à gauche, en particulier du côté de la France insoumise (FI). « Rarement un dirigeant d’une organisation de gauche aura tant fait pour brouiller les repères, banaliser des notions venues de l’extrême droite et contribuer ainsi à la défaite idéologique de notre camp social », a commenté le député insoumis Bastien Lachaud, l’accusant de « flatter le prêt-à-penser réac ». « Nouvelle performance de Roussel : reprendre un concept d’extrême droite sur une chaîne d’extrême droite », a pour sa part déclaré Éric Coquerel, élu de Seine-Saint-Denis.

Des réactions qui font bondir Léon Deffontaines, porte-parole du PCF, qui y voit une tentative de « contre-feu » pour faire oublier les polémiques qui ont valu à la FI certaines accusations en antisémitisme. « Sur la lutte contre le racisme, l’ambiguïté, c’est eux, soutient-il. Le propos de Fabien Roussel a été déformé. Tout ce qu’il faut comprendre c’est que la gauche doit à la fois sortir des logiques identitaires pour retrouver l’universalisme et faire de la lutte des classes une priorité ».

Des polémiques récurrentes sur la question

Mais le racisme anti-Blanc existe-t-il ? Ce débat agite régulièrement les sphères politiques et médiatiques. Au mois de décembre 2023, par exemple, l’ancien premier ministre, Édouard Philippe, avait créé la polémique en déclarant auprès du Journal du Dimanche qu’il est « possible qu’il y ait une nouvelle forme de racisme anti-Blancs ». Un avis tout de suite partagé par Gérald Darmanin, à l’époque ministre de l’Intérieur, pour qui « ne pas dire qu’il existe, c’est ne pas dire la vérité ». Un peu plus tôt encore, en 2018, c’est une chanson qui a amené ce débat sous les projecteurs : « Pendez les Blancs » du rappeur Nick Conrad – qui a par ailleurs toujours défendu une « fiction » qui avait pour but de dénoncer le racisme en inversant Noirs et Blancs.

« Bien sûr, il peut y avoir des insultes, des agressions, mais est-ce qu’on a besoin d’appeler ça du racisme quand bien même on me dirait « sale Blanc » ? », s’interroge Eric Fassin, sociologue et professeur à l’université Paris VIII, dans un entretien accordé à France Culture à l’époque. Les sciences sociales de ce point de vue sont très attentives à dire : si on commence à reprendre à son compte le discours de l’extrême droite qui nous dit qu’au fond tous les racismes se valent, on est en train de nier la réalité de l’expérience sociale d’une partie importante de nos concitoyens et concitoyennes. Je n’entends pas de discours politique anti-Blancs, je ne vois pas de discrimination à l’embauche ou au logement pour les Blancs, je ne vois pas de contrôle au faciès pour les Blancs ».

De son côté, Daniel Sabbagh, directeur de recherche à Sciences Po et spécialiste des discriminations, dans un long billet sur la question publié en 2020 sur le site de l’établissement, invite à répondre à ce débat en ayant une « approche pluraliste », le racisme étant un « phénomène multidimensionnel ». « Les discriminations raciales – directes ou indirectes, intentionnelles ou involontaires, voire « systémiques » – ne frappent pas également Blancs et non-Blancs », explique-t-il.

Un élément central de la propagande du RN

L’universitaire ajoute que si l’on s’en tient à la conception « systémique » du racisme, donc d’un système de domination, la notion de « racisme anti-Blanc » peut en effet constituer une contradiction. En effet, après des siècles de colonisation, d’esclavage, d’exclusion et de discrimination, difficile de faire des Blancs des « dominés » victimes d’une oppression permise par les pratiques institutionnelles. Mais il explique cependant que le racisme peut aussi être « idéologique » et/ou « attitudinal ». Et que, dans ce cas, il existe bel et bien des cas d’attaques à caractère racial contre les Blancs. Sabbagh cite, par exemple, les propos d’Elijah Muhammad, président de l’organisation américaine Nation of Islam de 1934 à 1975, qui apparentent les « Blancs » à des « démons ».

Mais peut-on vraiment parler de racisme s’il n’est pas systémique ? Pour Léon Deffontaines, la réponse est « oui ». « Est-ce que dans notre société, qui connaît une montée des communautarismes, il existe des discriminations raciales contre les blancs ? Bien sûr. D’ailleurs, chez les juristes, le débat n’existe pas : la justice a tranché plusieurs fois en ce sens en sanctionnant des discriminations en raison de l’origine ou de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, assure-t-il. En revanche, elles ne sont pas évidemment pas de la même intensité, ni même de la même nature, que le racisme subi par les personnes non-blanches ».

Le terrain est d’autant plus miné que depuis les années 80, l’extrême droite française fait du « racisme anti-blanc » un élément central de sa propagande pour dénoncer un prétendu « racisme anti-Français », comme le clamait Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national (FN). De cette façon, celle-ci tente de criminaliser l’immigration extra-européenne pour mettre en scène une prétendue guerre des civilisations. Une stratégie encore à l’œuvre aujourd’hui, en particulier autour de certains faits divers, comme à Crépol (Drôme) autour de la mort du jeune Thomas, que l’extrême droite s’emploie à instrumentaliser pour en faire les symboles d’une France blanche attaquée.

Valider la notion de « racisme anti-Blanc » revient-il donc à faire son jeu ? « L’extrême droite se nourrit plutôt de la lecture uniquement identitaire d’une partie de la gauche, en particulier les insoumis, qui délaisse de ce fait la question de la conflictualité sociale », rétorque Léon Deffontaines. La question de la stratégie à déployer face au RN continue de diviser à gauche.

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