Erdogan et les Kurdes : des signaux contradictoires
Par Francis Wurtz, député honoraire du parlement européen
Ce 9 janvier est, plus que tout autre jour, le moment de s’arrêter sur la cause du peuple kurde. Cela fait douze ans que trois militantes kurdes étaient froidement assassinées en plein cœur de Paris : Sakine Cansiz, Leyla Saylemez et Fidan Dogan (Rojbin). Si l’assassin fut identifié et incarcéré – il est mort en prison avant son procès –, la justice française n’a toujours pas pu faire aboutir ses investigations sur les commanditaires du triple assassinat, que des éléments accablants situent du côté des services secrets turcs.
On le sait : dix années plus tard, le 23 décembre 2022, un attentat contre les locaux d’une association kurde à Paris a fait trois nouvelles victimes kurdes ! Parmi elles, figurait – outre un jeune chanteur kurde, Mîr Perwer, et un autre membre de l’association, Abdurrahman Kizil – une responsable des femmes kurdes en France : Evîn Goyî, qui avait, peu de temps auparavant, courageusement combattu Daech (le groupe « État islamique ») au Rojava, la région kurde du nord de la Syrie.
Rappelons que cette région, administrée par un gouvernement autonome à majorité kurde – et qui s’illustre par un pluralisme ethnique et des droits des femmes sans équivalent dans tout le Moyen-Orient –, est l’objet d’une véritable obsession du président turc. Son armée et les milices islamistes qu’elle soutient y multiplient depuis plusieurs années les opérations militaires à visée déstabilisatrice. La raison invoquée est que les combattantes et les combattants kurdes du Rojava sont affiliés au PKK, dont relèverait également l’opposition kurde au pouvoir d’Erdogan en Turquie. Couper à tout prix les liens de solidarité entre les Kurdes des deux pays est sa priorité absolue.
C’est dans ce contexte qu’il faut tenter de comprendre les récentes initiatives, apparemment contradictoires, des autorités turques envers les Kurdes des deux pays.
En Syrie, le pouvoir turc compte sur les milices islamistes dites « Armée nationale syrienne » – créées par la Turquie en 2017 et qui sont désormais alliées au nouveau pouvoir de Damas – pour renforcer sa guerre contre l’administration kurde du Rojava et, si possible, éliminer celle-ci aux frontières de la Turquie.
En Turquie, il souffle le chaud et le froid en direction des Kurdes du parti DEM (Ex-HDP), seule formation politique progressiste du Parlement d’Ankara. D’un côté, il destituait il y a quelques semaines plusieurs maires, membres éminents de ce parti, qu’il soupçonnait d’avoir des liens avec le PKK. De l’autre, il a autorisé – pour la première fois depuis dix ans – deux députés du même parti DEM à rendre visite au chef du PKK, Abdullah Öcalan, emprisonné depuis un quart de siècle. Rappelons qu’il y a douze ans le PKK avait cessé le feu en vue d’obtenir un processus de négociation pour une résolution politique du conflit turco-kurde. Mais Erdogan avait vite répondu par la répression puis déclara une « guerre totale » contre les Kurdes.
Que veut vraiment Erdogan aujourd’hui en évoquant une « main tendue » ? Agite-t-il, comme chaque fois qu’il est en difficulté, une promesse sans suite dans l’espoir de diviser les Kurdes ? Ou tire-t-il enfin de son expérience la conclusion qu’une solution politique équitable est le seul moyen de sortir par le haut de la crise entre son pouvoir et le peuple kurde ? C’est ce que veut croire Öcalan, décidé à « apporter une contribution positive au nouveau paradigme » lancé par le pouvoir. Tous les amis des Kurdes souhaitent qu’il en soit ainsi. La suite des événements nous dira ce qu’il en est.
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