Festival de Cannes 2025 : une journée avec Delphine Malausséna, compositrice de musiques de films
Nous avons rendez-vous à l'arrière du palais des Festivals où se réunissent les compositeurs de musiques de films invités, au soir du dimanche 18 mai, à la projection de The Phoenician Scheme de Wes Anderson. Une robe noire, des sandales à talons dorées, un petit sac à main, Delphine Malausséna apparaît, souriante et simple.
C'est sa deuxième participation au Festival de Cannes. "La première fois, explique-t-elle, c'était il y a dix ans pour un film dont j'avais fait le son. Parce qu'avant, j'étais ingénieure du son. Je n'étais encore jamais venue en tant que compositrice." Elle est passée à la musique de films en 2020. Quand on lui demande ce qu'elle pense du cérémonial cannois, elle sourit : "Je prends ça comme un jeu. On fait partie de ce monde, donc on y va, quoi !"
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À l'inverse de Cendrillon, Delphine n'a pas descendu, mais monté les marches du Palais à minuit pour la première projection du Roi soleil. "C'était hyper émouvant, confesse-t-elle, de voir 3 000 personnes réunies dans la salle". Elle signe la musique de ce long-métrage, le second réalisé par Vincent Maël Cardona. L'histoire d'un jackpot qui tourne mal avec Lucie Zhang, Pio Marmaï et Sofiane Zermani. "Il y a 40 minutes de musique dans ce film, c'est beaucoup", dit-elle fièrement. À 42 ans, Delphine Malausséna peut déjà s'enorgueillir d'une belle carrière. "Ce qui me distingue, je crois, c'est mon parcours atypique, avance-t-elle. J'ai fait des sciences, de la physique quantique jusqu'en Master 2 avant de faire du son. Apparemment, j'ai une patte qui se reconnaît."
Elle définit son style musical comme hybride : "Je suis violoniste, j'ai fait vingt ans de conservatoire, donc du classique avec un prof baroque, et comme j'étais ingénieure du son, j'ai aussi beaucoup travaillé sur le design sonore, l'électronique, donc c'est un mélange entre les deux." Delphine Malausséna a déjà composé les musiques d'une quinzaine de longs-métrages, notamment l'excellent Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand, En plein feu de Quentin Reynaud et Opium d'Arielle Dombasle. Elle travaille depuis six mois avec la réalisatrice Jessica Palud sur Merteuil, une série pour HBO adaptée du roman Les Liaisons dangereuses avec Diane Kruger et Vincent Lacoste. "C'est une musique baroque, mais très moderne en même temps", confie-t-elle.
"C'était trop fun"
Quand sonne l'heure de monter les marches, Delphine nous confie son sac et part entourée de tous les compositeurs. Avec Clémence Ducreux et Audrey Ismaël, elles ne sont que trois femmes sur une trentaine de musiciens. Au bout d'une petite demi-heure, elle redescend tout sourire en disant : "C'était trop fun !'" et troque rapidement ses talons hauts contre des ballerines. Le jeu est fini, place au travail.
La compositrice a rendez-vous dans un parc pour enfants, sur la Croisette, avec une productrice québécoise qui l'a contactée à Cannes. Comme elles ne se connaissent pas, elle affiche sur son téléphone, pour la reconnaître, la photo que celle-ci lui a envoyée. Une pratique courante pendant le festival ! Julie Groleau, c'est son nom, l'attend déjà sur place. Les deux femmes s'installent alors sur un banc, parmi les enfants qui jouent, pour discuter.
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Julie Groleau la félicite d'abord pour son travail sur Le Roi soleil : "J'ai rarement vu une séance de minuit avec des gens aussi éveillés ! " La productrice lui parle ensuite du scénariste Nicolas Krief qui prépare son premier long-métrage, un film très autobiographique auquel elle croît beaucoup. Le tournage devrait démarrer en avril 2026. Delphine Malausséna l'écoute détailler le scénario et paraît intéressée : "J'ai plein de pistes pour 2026, mais encore rien de calé. C'est loin." Elle aime travailler pour "des films d'ailleurs". "Cela m'inspire énormément", conclut-elle.
Elle rejoint ensuite le Jardin Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), situé dans une rue huppée de Cannes. S'y organisent chaque soir, pendant le festival, des rencontres et des concerts destinés à valoriser le rôle des compositeurs dans la création cinématographique. Sous l'impulsion de Cécile Rap-Veber, la "patronne" de la Sacem, la volonté d'aider les femmes à émerger dans ce monde très masculin est manifeste. Delphine Malausséna bénéficie d'un programme intitulé Spot the Composer. La Sacem a sélectionné dix compositeurs internationaux sur 400 candidats et leur fait rencontrer des metteurs en scène. "Le but, explique la compositrice, est de nous permettre d'étoffer notre réseau et d'établir éventuellement des collaborations sur des longs-métrages."
Conseils aux jeunes femmes
Delphine Malausséna a la chance de vivre de son métier sans problème, mais avoue que dans le monde de l'intermittence, "il ne faut pas être angoissée". Elle préfère travailler sur plusieurs projets en même temps. "On compose vraiment pour une œuvre pensée par quelqu'un d'autre", explique la musicienne. "Il faut de la diplomatie et de la pédagogie pour expliquer ce que l'on peut faire ou pas faire. Il faut sans cesse réadapter les versions. C'est parfois un peu long." Elle a impérativement besoin d'aimer le film pour composer la musique. "Je ne pourrais pas partir sur un film dont je n'aime pas le scénario ou l'univers."
Elle conseille aux jeunes femmes qui voudraient se lancer dans ce métier de "se faire confiance, développer un style qui leur est propre et faire ses gammes sur des courts-métrages pour se créer un réseau." Avant de quitter Cannes, elle-même rêverait d'entrer en contact avec le cinéaste iranien Asghar Farhadi, sa référence absolue. "Je sais qu'il est ici et j'aimerais bien le voir, mais peut-être que je n'y arriverai pas. C'est un bel objectif pour moi."