Open d’Australie: Novak Djokovic, le diabolique joueur d’échecs

15 ans (et 348 jours) séparaient Novak Djokovic (37 ans) et Carlos Alcaraz (21 ans), le plus grand écart enregistré en quarts de finale de Grand Chelem depuis l’opposition entre Jimmy Connors et Andre Agassi lors de l’US Open 1989. Il creusait l’ampleur du défi. Novak Djokovic a l’habitude des retours impossibles. Il aime explorer les limites. Son sang-froid et son endurance sont légendaires. 

À Melbourne, le Serbe a écrit son histoire avec des campagnes victorieuses mémorables émaillées de blessures : une déchirure de 2,5 cm aux abdominaux en 2021, une déchirure de 3 cm aux ischio-jambiers en 2023. Il a ajouté un épisode épique en sortant vainqueur de l’Espagnol, 4-6, 6-4, 6-3, 6-4, en 3 h 36, à l’issue d’un match de funambule terminé à 1 heure du matin à Melbourne, après avoir souffert des adducteurs. « J’ai eu l’impression que c’était une finale. C’est l’un des matchs les plus épiques que j’ai joués. Si j’avais perdu le 2e  set, je ne sais pas si j’aurais continué à jouer. Et je me suis senti de mieux en mieux. J’ai senti que Carlos était plus hésitant en fond de court, j’ai tenté ma chance, j’ai mieux bougé », a-t-il résumé.

Le miroir du temps lui avait, sans fard, opposé la réalité face à un joueur qui n’était pas né quand le Serbe alignait ses premiers pas sur le circuit professionnel, avait 1 an lors de sa première apparition en Grand Chelem (Open d’Australie 2005), 4 ans lors de son premier titre majeur, à Melbourne (2008), 8 ans lors de son premier passage à la place de numéro 1 mondial… Ambition intacte, Novak Djokovic n’y a hasardé pas la moindre œillade. Le feu brûle encore. Et rien ne lui fait peur. Il se nourrit des ambiances hostiles, des missions impossibles. C’est son vertige, sa place. Il a toujours dans sa raquette l’éventail des coups et des sentiments. 

Tout feu tout flamme

Il peut traverser toutes les douleurs, frôler le danger, avant de jaillir tel un diable de sa boîte pour faire dérailler les joueurs les plus expérimentés. Roger Federer et Rafael Nadal ont souffert de son audace, de son impétuosité, de sa faculté à sortir le meilleur quand l’urgence l’impose. Face à Carlos Alcaraz, plus aérien, Novak Djokovic a, avec beaucoup de talent, d’expérience et de volonté, lutté. Il a serré les dents, grimacé, claudiqué. Il a râlé. Et il a distillé sa science du jeu. Avec élégance et efficacité. Sur un court où il a collectionné ses plus belles émotions (10 titres, avec notamment la finale à rallonge en 2012 contre Rafael Nadal, un plaisir et une libération décrochés à près de 2 heures du matin après 5 h 53 de match).

Le renoncement n’existe pas dans son vocabulaire. Son physique grince, limite son expression, il s’applique à visiter le jeu dans toutes ses dimensions tactiques et mentales

Le renoncement n’existe pas dans son vocabulaire. Son physique grince, limite son expression, il s’applique à visiter le jeu dans toutes ses dimensions tactiques et mentales. Pour laisser infuser son influence, répandre le poison du doute. Il chasse la frustration, s’applique à chercher le coup juste, comme un musicien. Avec un infaillible ordinateur de bord. La qualité de ses retours s’est hissée à un niveau incroyable. Et il a travaillé les effets (avec notamment une deuxième balle très efficace), a pris des risques, raccourci les échanges, gardé pour lui sa rage, sa fureur et sa frustration. Il a évité la dispersion. Concentré à l’extrême pour faire déjouer Carlos Alcaraz, éteindre son jeu tout feu tout flamme. Et le rendre fou. Privé d’idées, de solutions.

Un 25e titre du Grand Chelem

Le huitième match entre Novak Djokovic et Carlos Alcaraz (le Serbe mène désormais le duel 5 victoires à 3) restera dans les annales. Pour les émotions traversées. Quel que soit son état, Novak Djokovic aime sentir son sang bouillir. Infernal. Diabolique. Provocateur. Unique. Prêt pour la suite. Le Serbe qui vivra sa 50e demi-finale en Grand Chelem (Federer en compte 46, Nadal 38), la 12e à l’Open d’Australie) en veut toujours plus. À Melbourne, il vise un 25e titre du Grand Chelem, un 100e tournoi dans sa carrière. Il ne lui reste plus que deux marches. 

Pour une place en finale, Novak Djokovic sera opposé à l’Allemand Alexander Zverev (le Serbe a dominé l’Allemand 8 fois en 12 matchs). « La clé sera la récupération. J’espère être à mon meilleur niveau. Je verrai quand les effets des médicaments vont s’effacer… », a-t-il soufflé en retirant son armure. Statue difficile à déboulonner, le légendaire Serbe sera une nouvelle fois accompagné de son palmarès, de son envie, de son goût du défi. Le rendez-vous vaudra le détour. Comme souvent avec Novak Djokovic. Parce que, pour lui, un match est une aventure à vivre avec son cœur, ses tripes, son orgueil, qui doit le laisser exsangue. Une mise à nu toujours spectaculaire…


Quarts de finale (simple hommes) : Zverev (All/N.2) bat Paul (E-U/N.12) 7-6 (7/1), 7-6 (7/0), 2-6, 6-1 ; Djokovic (Ser, 7)-Alcaraz (Esp, 3) 4-6, 6-4, 6-3, 6-4.
Le programme, la nuit dernière : Keys (E-U, 19)-Svitolina (Ukr, 28) ; Navarro (E-U, 8)-Swiatek (Pol, 2) ; Shelton (E-U, 21)-Sonego (Ita). Ce mercredi, à partir de 9 h 30 (sur Eurosport) : Sinner (Ita, 1)-De Minaur (Aus, 8).