Loi Duplomb : «Avec la Charte de l’environnement, le législateur d’aujourd’hui est piégé par celui d’hier»

John-Christopher Rolland est docteur en droit public et maître de conférences à l’Université Paris Nanterre.


LE FIGARO. - En 2020, le Conseil constitutionnel avait consenti à une dérogation pour les néonicotinoïdes que la loi Duplomb souhaitait réintroduire. Pourquoi sa position a-t-elle changé depuis et que censure-t-il concrètement ?

Passer la publicité

Jean-Christopher ROLLAND.- Le Conseil constitutionnel a censuré l’article 2 et une partie de l’article 8 de la loi Duplomb. Concrètement, le Conseil a bloqué la réintroduction de l’acétamipride, au nom de la Charte de l’environnement, mais valide la pérennisation des mégabassines. Le Conseil a fait, comme toujours, un contrôle de proportionnalité. Il peut tolérer des entorses aux principes de la Charte de l’environnement, par exemple, à condition que l’intérêt général semble le justifier. C’est alambiqué et, contrairement à 2020, l’intérêt des agriculteurs et de leur compétitivité n’a cette fois pas pesé.

Les partis qui avaient saisi le Conseil constitutionnel arguaient que la procédure d’adoption de la loi présentait un certain nombre d’irrégularités, notamment du fait de l’adoption d’une motion de rejet par le bloc central. Cela a-t-il pesé dans la décision ? 

Non, car la procédure fait partie des outils législatifs, même si elle étonne sur le plan politique. Le bloc central avait employé cette procédure destinée à l’opposition pour s’assurer qu’en CMP, la loi soit adoptée. On avait déjà eu un débat similaire, lors de la réforme des retraites, sur l’abus de 49.3 qui, comme la motion de rejet, concluait les débats de façon prématurée ; à l’époque, le Conseil n’avait pas censuré et il était dès lors logique qu’il ne le fasse pas cette fois non plus. Il aurait été difficile pour lui de contrôler à ce point la procédure législative, tandis qu’il est déjà critiqué pour son rôle dans nos instances démocratiques. Remarquons néanmoins qu’il aurait ainsi évité sur le fond le camouflet infligé au bloc central et à la droite.

La Charte de l’environnement avait précisément été adoptée pour empêcher l’adoption de textes néfastes à l’environnement. Que penser de son application au cas d’espèce ? 

La question est de savoir si l’État de droit constitue un «verrou» vis-à-vis de la démocratie active : nos parlementaires, élus dans un contexte contemporain, se retrouvent enserrés dans des normes adoptées il y a longtemps. C’est paradoxal : le peuple confie un mandat à ses élus et ce mandat est contrarié par des juges non élus. Par ailleurs, en plus d’opposer ces deux pouvoirs, on oppose deux souverainetés populaires d’un point de vue chronologique. En effet, la Charte de l’environnement avait été adoptée par le Congrès, ce qui lui a accordé valeur constitutionnelle (réforme de 2004). Mais aujourd’hui, c’est cette même charte qui a contraint la souveraineté populaire actuelle, soudainement préoccupée par le destin de nos agriculteurs.

Si les élus verts, européistes, estiment que ces pesticides sont dangereux pour les agriculteurs et les consommateurs, comment peuvent-ils les accepter pour les consommateurs français qui achètent des produits importés et pour les agriculteurs dans d’autres pays européens ? Passer la publicité

Quand on veut un marché commun, avec des règles équivalentes, pour une concurrence libre et non faussée, on ne peut pas se retrouver plus royaliste que le roi pour ses nationaux et ne pas peser du tout pour que la concurrence ne soit pas faussée par les partenaires européens. En réalité, la situation symbolise la faiblesse chronique de la France, son déclassement sur la scène européenne. En définitive, la décision semble ridicule, en ce qu’elle contraint les consommateurs nationaux à payer plus cher des produits conformes à ces normes ou à acheter des produits issus de l’agriculture d’autres pays européens, moins onéreux mais garnis de pesticides que l’on a interdits pour des motifs sanitaires. Cela suscite d’ailleurs un problème d’égalité, tant pour les agriculteurs que les consommateurs. En somme, des décisions aussi importantes peuvent s’avérer désastreuses au niveau local si elles ne sont pas prises à l’échelle globale. Or nos responsables politiques n’admettent ni leur faiblesse à l’échelle nationale ni leur incapacité à agir au niveau supranational.

Dans quelle mesure les partis de gauche sortent-ils victorieux de cette séquence ?

Il reste à voir comment ils recevront la décision sur les mégabassines, mais les élus de gauche vont de toute évidence considérer que la censure va dans leur sens. Elle montre néanmoins la divergence entre un intérêt électoral futur et local - en France - et la réalité d’une position idéologique qui devrait être globale. Si les élus verts, européistes, estiment que ces pesticides sont dangereux pour les agriculteurs et les consommateurs, comment peuvent-ils les accepter pour les consommateurs français qui achètent des produits importés et pour les agriculteurs dans d’autres pays européens ? Dans leur communication, ils argueront en tout cas que c’est une victoire pour les générations futures.