L’élection à la proportionnelle est-elle plus démocratique ?

L‘élection n’est pas un miroir de la société. Il s’agit de choisir des représentants aptes à prendre des décisions au nom de la nation.

Julien Jeanneney

Professeur de droit public

Pourquoi ne pas réformer le mode de scrutin pour l’élection de nos députés en instaurant un mode de scrutin proportionnel ? Au soutien de cette ambition, ravivée en particulier depuis cet été, certains affirment que la représentation proportionnelle serait plus démocratique que le scrutin majoritaire, traditionnellement préféré sous la Ve République. Encore faut-il préciser ce que l’on entend par « plus démocratique ». Commençons par une évidence : tout mode de scrutin, mécanisme permettant de transformer des voix en sièges, est démocratique. À corps électoral égal, on ne saurait hiérarchiser les modes de scrutin de la sorte.

Il existe certes des différences majeures entre le scrutin majoritaire, traditionnellement perçu comme plus efficace, et la représentation proportionnelle, souvent conçue comme plus juste parce qu’elle permettrait une représentation plus fine de la diversité des opinions dans le pays. Parce qu’on s’imagine qu’elle colle au plus près des sensibilités des électeurs, la seconde présente les apparences de la justice électorale et des vertus démocratiques. L’équation, pourtant, n’est pas aussi simple. Tout d’abord, il faut tordre le cou à l’idée selon laquelle le scrutin majoritaire, parce qu’il méconnaîtrait les minorités politiques, serait antidémocratique.

Une telle hypothèse ne saurait convaincre que dans une hypothèse précise : lorsque la distorsion entre les voix exprimées et les sièges attribués conduit à renverser la majorité et l’opposition – la minorité devenant artificiellement majoritaire. Or cela est peu probable au scrutin majoritaire du fait du « bonus » tendanciellement conféré au parti arrivé premier. En outre, cette vision repose sur une conception erronée de l’élection.

Cette dernière n’est pas un thermomètre permettant de prendre la température de la société, ni un journal intime publié : par elle, il s’agit de peser, en bout de course, sur le choix du gouvernement, sur ses décisions et sur la direction générale dans laquelle seront adoptées les lois à l’avenir. La finalité d’une telle élection est de choisir des représentants à qui est confié le soin de produire la volonté de la nation au nom de la collectivité politique.

Enfin, il convient de refuser la thèse selon laquelle une assemblée parlementaire aurait principalement vocation à être un miroir de la société. Trompeuse, cette idée revient à réduire la représentation parlementaire à la représentativité des députés, alors qu’elle n’en est qu’une petite partie. À l’aune de la conception traditionnelle de la représentation, la Nation entière confie au Parlement entier le soin de prendre des décisions en son nom. Les opinions multiples des électeurs ne peuvent jamais être incarnées que dans les grandes lignes à l’Assemblée nationale.

Pour ces différentes raisons (et bien d’autres), méfions-nous des fausses séductions de la représentation proportionnelle, qui ne saurait être considérée comme « plus démocratique » que le scrutin majoritaire.

Le système majoritaire déforme la représentation politique. L’Assemblée doit devenir le lieu de la construction de la volonté générale.

Dominique Rousseau

Professeur émérite de droit public

La vie politique d’un pays dépend de sa constitution, du poids de son histoire, de sa démographie, de sa structure sociologique, de l’influence des religions. Elle dépend aussi du mode de scrutin, c’est-à-dire, des modalités de transformation des voix en sièges. La rénovation de la vie politique passe par une modification du mode de scrutin pour l’élection des députés.

Une des causes de la crise de confiance des citoyens dans leurs institutions est qu’ils « se sentent » peu ou mal représentés. Et ce sentiment s’explique par une loi électorale, le scrutin majoritaire, qui réduit et déforme la représentation politique. Avec ce scrutin, les électeurs sont obligés de voter au second tour pour des candidats dont ils ne partagent pas les idées, et les partis politiques ne sont pas libres de leurs alliances mais contraints à des rassemblements artificiels, voire des marchandages dangereux.

Reconstruire la confiance passe donc par l’adoption d’un scrutin proportionnel rationalisé à un tour. La qualité reconnue au scrutin proportionnel est l’honnêteté politique puisqu’il garantit à chaque grand courant d’opinions une représentation à l’Assemblée conforme à son influence dans la société. Le scrutin proportionnel produit des alliances voulues puisque, n’étant pas imposées par la technique électorale, elles sont construites par le politique, par le constat de convergences, par la discussion et l’accord sur un programme de gouvernement. Et l’Assemblée devient le lieu du débat politique et de la construction de la volonté générale.

Une autre qualité incontestée de la proportionnelle est de favoriser la délibération politique alors que la figure du « député godillot » est la conséquence du scrutin majoritaire. « La gestion des mutations engendrées par la crise nécessite une capacité élevée de dialogue social et de débat politique ; le scrutin majoritaire ne facilite ni l’un ni l’autre. » Ces propos, tenus par Pierre Joxe lors de l’introduction du scrutin proportionnel en 1985, sont toujours pertinents. Le système majoritaire durcit les antagonismes et nuit à la recherche de compromis. Reconnectée par le scrutin proportionnel à la diversité politique de la société qui s’y reconnaîtra, l’Assemblée nationale retrouvera la confiance des citoyens et avec elle la légitimité et l’autorité nécessaires à son positionnement au centre de l’espace politique.

Une objection attendue : le spectre de l’instabilité ministérielle et le retour à la IVe République. Mais l’instabilité est provoquée par le jeu des partis qui décident de quitter la coalition majoritaire et non en raison du mode de scrutin. Et elle peut être réduite par l’introduction de la motion de censure constructive, qui oblige les députés qui font tomber un gouvernement à proposer le nom du premier ministre qui devra succéder à celui remercié. Avec ce système, en vigueur en Allemagne et en Espagne, le gouvernement Barnier ne serait pas renversé, sauf si le NFP et le RN se mettaient d’accord sur le nom de son remplaçant…

Contre la proportionnelle, de Julien Jeanneney, Tracts/Gallimard, 2024.

Six Thèses pour la démocratie continue, de Dominique Rousseau, Odile Jacob, 2022.

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