Procès Le Scouarnec : «Je reconnais avoir commis des abus sexuels sur ma petite-fille», lance l’accusé à son fils
«La première chose que je voulais dire, c’est que je voudrais avoir une pensée pour toutes les victimes, celles que je connais et celles que je ne connais pas.» Dans l’amphithéâtre qui accueille les parties civiles, à quelques centaines de mètres du palais de justice de Vannes, une femme applaudit silencieusement, en agitant les mains en l’air et en tournant les poignets, à la manière des personnes malentendantes. L’homme que cette partie civile salue et qui se tient à la barre en ce vendredi après-midi, c’est Erwann*, 44 ans, le fils aîné de Joël Le Scouarnec. L’ancien chirurgien comparaît actuellement devant la cour criminelle du Morbihan pour des agressions sexuelles et viols aggravés sur 299 patients, âgés en moyenne de 11 ans lors des faits, commis entre 1989 et 2014.
Crâne chauve, barbe et moustache, pull noir, Erwann est le dernier enfant de l’accusé à déposer devant la juridiction. Né en 1980, il grandit avec ses parents et ses deux frères cadets dans différentes villes de l’ouest de la France. «Je n’ai jamais manqué de rien, je n’ai pas de souvenirs négatifs», souligne-t-il. Il se souvient d’un père «peu présent du fait de son activité professionnelle», mais qui a «beaucoup été là pour [l’]aider au collège pour [ses] devoirs, pendant [son] année de médecine et après». Les deux hommes partagent un univers professionnel commun, celui de la chirurgie, Erwann étant technico-commercial en matériel médical. «Je conseillais techniquement les chirurgiens et les opérateurs au bloc sur le matériel utilisé», décrit-il.
«Ça m’a plongé au fond, moralement et physiquement»
Lorsqu’en mai 2017, Joël Le Scouarnec est interpellé après le viol d’une voisine de six ans, le monde de son fils aîné s’effondre. «J’avais un fort lien avec lui, une forte admiration. On avait énormément de choses en commun, dont la médecine. Quand il a été arrêté... J’étais tellement abasourdi, ce père que j’estimais tellement et dont j’étais si proche... J’étais sidéré et stupéfait. Ça a brisé quelque chose.» En 2020, le procès de Saintes «affecte» encore plus profondément celui qui est entre-temps devenu chauffeur routier, ne voulant pas «retourner dans le milieu médical par peur d’être jugé par les personnes avec qui [il pouvait] avoir des interactions professionnelles».
«Je ne sais pas comment vous décrire à quel point ça m’a plongé au fond, moralement et physiquement», confie Erwann, qui plonge alors dans l’alcool. Car au procès de Saintes, un passage des journaux intimes de son père concernant sa propre fille est lu à l’audience par le représentant de l’accusation. «Ça a créé un grand traumatisme chez moi et beaucoup de colère», déclare-t-il. Il ne dépose pourtant pas plainte, ce que la cour criminelle du Morbihan lui fait remarquer. «Je n’ai pas bien dû analyser ce qui m’a été dit à Saintes. Ce qu’on m’a lu ne relevait pas directement d’agressions. Je me rends bien compte que peut être que ça l’est», répond celui qui demande à consulter les extraits concernant sa fille en privé. Dans un de ces passages, dont Le Figaro a eu connaissance, Joël Le Scouarnec se qualifie lui-même de «grand-père incestueux» et conclut, après avoir détaillé ses actes : «Pardonne moi, mon Erwann, mais j’aime tant les petites filles!»
«Il m’a trahi»
Si aujourd’hui, Erwann a vaincu son addiction à l’alcool, sa «colère» reste intacte. D’abord à l’encontre de son père. «Ma colère est aussi grande que l’estime que j’avais pour lui. Il m’a trahi, il a abusé de ma confiance, de tellement de choses !» Ensuite à l’encontre de sa mère, qui ne lui a pas donné les «réponses» qu’il attendait, et qui ne l’a pas mis en garde lorsqu’il a lui même eu des enfants. À la même barre, mercredi, cette mère a assuré n’avoir jamais été au courant de la condamnation de son mari à quatre mois de prison avec sursis pour détention d’images pédopornographiques - une position très peu crédible au vu du dossier.
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Depuis 2017, Erwann ne voit plus sa mère. Et il ne «pense pas» reprendre contact avec son père, contrairement à ses frères. «Peut-être que mon cheminement de pensée est plus avancé que celui de mes frères.» Lorsque Me Tessier, l’avocat de la défense, lui demande s’il a quelque chose à dire à l’accusé, la colère du quadragénaire resurgit. «Pourquoi il n’est pas arrêté avant ? Pourquoi il ne s’est pas soigné ? Pourquoi au cours de sa vie, d’une main il a sauvé des gens, et de l’autre main il les a souillés ? [...] Ce que je lui reproche, c’est de ne pas avoir fait des démarches pour éviter ça. C’est pour ça que ça me met en colère.»
Comme de coutume, la parole est donnée à Joël Le Scouarnec en dernier. «C’est peut-être, sans doute, la dernière fois que je vois Erwann car j’ai entendu sa colère et son désarroi, il a su l’exprimer. Je respecte cette colère, elle est fondée», déclare-t-il, avant de lâcher : «je reconnais avoir commis des actes d’abus sexuels sur ma petite fille, sur sa fille. Erwann, je te demande pardon.» Dans la salle, le silence semble peser une tonne. Le fils de Joël le Scouarnec est statufié. À sa sortie de l’audience, il est pris en charge avec son épouse par deux psychologues.
*Le prénom a été modifié