Accès à l’eau potable en Outre-Mer : dix associations dénoncent une « discrimination environnementale territoriale »

En matière d’eau potable, l’égalité territoriale est loin d’être respectée. Trois millions de personnes en France subissent des difficultés pour y accéder, rappelle un rapport de plusieurs ONG, rendu public ce lundi 23 juin. Intitulé « Soif de justice », il dénonce les inégalités d’accès à l’eau dans les Outre-Mer et tire la sonnette d’alarme sur les conséquences en termes sanitaires ainsi que pour les droits fondamentaux.

Dix associations, locales et nationales, sont à l’origine de cette alerte, déterminées à dénoncer une « discrimination environnementale territoriale » : L’ASSAUPAMAR (Martinique), le Collectif des luttes sociales et environnementales, Guyane Nature Environnement, Kimbé Rèd F.W.I. (Antilles), Lyannaj pou dépolyé Matinik, Mayotte a soif, Mayotte Nature Environnement, Notre Affaire à Tous, Sillages (La Réunion), et l’association VIVRE (Guadeloupe). Selon elles, la situation ne pourra pas être résolue tant qu’elle ne sera pas pleinement reconnue en tant que discrimination.

Plusieurs causes pour une même difficulté

Leur rapport sera donc transmis au rapporteur spécial des Nations Unies sur l’accès à l’eau potable pour « donner un éclairage international sur cette discrimination territoriale structurelle, et pousser la France à se prononcer et à avancer sur ces questions », indique Emma Feyeux, responsable de projet au sein de Notre Affaire à Tous.

Difficultés techniques ou d’infrastructures engendrant des coupures d’eau régulières, pollutions, tarification très élevée… Plusieurs causes sont pointées pour une même difficulté : l’accès à l’eau potable, pourtant reconnu comme un droit fondamental par le droit international et européen.

« Une des causes profondes de ces situations relève de la discrimination systémique entre les territoires ultramarins et l’Hexagone », dénonce Sabrina Cajoly, fondatrice de Kimbé Rèd FWI. Pour preuve, explique-t-elle, les « territoires français des Outre-mer sont exclus d’un traité des droits de l’homme, la Charte sociale européenne, qui porte sur tous les droits économiques et sociaux, y compris l’accès à l’eau. »

« En Guadeloupe, il y a eu du chlordécone dans l’eau du robinet »

En cause également, selon les ONG, un manque de mobilisation au niveau national et de compréhension de ces problématiques, mais également une dilution des compétences : « En matière d’accès à l’eau potable, il reste très difficile d’agir en responsabilité de manière globale du fait du nœud de compétences » estime Emma Feyeux. L’État renvoie aux collectivités, qui sont compétentes en la matière mais manquent de moyens. Et de nombreux acteurs interviennent : « Il reste difficile de remonter la chaîne des responsabilités », poursuit-elle.

Alors que les impacts sont multiples : sur le droit à la dignité humaine, la santé, la vie privée… Et les conséquences très concrètes, rappelle Sabrina Cajoly, sur la base de travaux de l’Unicef : « En Guadeloupe, les enfants perdent plus d’un mois de cours par an en moyenne du seul fait des coupures d’eau et de pollution de l’eau à l’école. » Les conséquences sont également sanitaires, comme dans le cas des contaminations au chlordécone, un pesticide utilisé dans les bananeraies jusqu’en 1993 et aux effets nocifs sur la santé pourtant connus.

« En Guadeloupe, il y a eu effectivement du chlordécone dans l’eau du robinet », explique Régis Huyet, militant au sein de Lyannaj pou dépolyé Matinik. Or, les politiques publiques sont à tout le moins insuffisantes. Le Plan Chlordécone IV, fustige-t-il, « affiche clairement qu’il ne cherche pas à faire une dépollution. Le but est de faire en sorte que les Antillais apprennent à vivre avec le chlordécone. »

« Un véritable sous-investissement chronique dans les territoires de l’outre-mer »

Pour s’attaquer à cette inégalité, le rapport insiste sur la nécessité d’un changement de paradigme, vers une justice environnementale, d’autant que ces difficultés seront encore accentuées par le changement climatique. Et demande des moyens, qui sont aujourd’hui largement insuffisants rappelle Sabrina Cajoly : « En Guadeloupe, pour l’accès à l’eau potable, le budget annoncé est de 320 millions d’euros sur quatre ans. Il est présenté comme colossal, alors qu’une enquête parlementaire évalue à 1,5 à 2 milliards le budget nécessaire pour remédier à la question de l’eau potable seulement en Guadeloupe. »

Quant à la pollution au chlordécone, la situation est « pire », souligne-t-elle. « Le budget total, pour Guadeloupe et Martinique, donc plus de 750 000 personnes, est de 130 millions sur cinq ans, et concerne tous les domaines : tant l’impact environnemental que la pollution de l’eau, de la santé, l’indemnisation des personnes. »

Un scandale qui ne date pas d’hier, analyse Sabrina Cajoly : « Il y a un véritable sous-investissement chronique dans les différents territoires de l’outre-mer, historique mais qui est toujours d’actualité. » Ce nouveau rapport vient le rappeler, pour inciter les pouvoirs publics à agir à la hauteur de la situation.

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