La rumeur d’une organisation européenne florissante, remplissant des stades en entier, enchâssant les combats dans des spectacles lumineux fantastiques, se répandit chez les Français amateurs de bagarre au début de 2019. À la faveur d’un événement particulier : un jeune combattant d’Aubervilliers nommé Salahdine Parnasse allait s’y battre pour la ceinture. C’est ainsi que la Konfrontacja Sztuk Walki (confrontation d’arts martiaux mixtes, en polonais dans le texte) commença à se faire connaître en dehors de l’Europe de l’Est.
Un certain scepticisme régnait. Il mua en incrédulité. Effectivement, la qualité de production des soirées surpasse tout sur le Vieux continent. L’autre concurrent pour la suprématie continentale est le Cage warriors de nos voisins britanniques. Sportivement, ça se vaut. En termes de divertissement, par contre, il n’y a pas de débat.
Pour comprendre comment le KSW a pu prendre une telle ampleur, il faut remonter aux sources de son histoire. En 2002, un certain Martin Lewandowski accepte la mission de relancer l’hôtel Mariott de Varsovie. Diplômé en économie et en commerce, ayant vécu deux ans en Australie, il est passionné de sports de combat. Pour se démarquer de la concurrence, il songe à du nouveau, du spectaculaire. C’est alors qu’il pense à décalquer dans son pays ce qui fait le succès du Pride au Japon : un mélange savant d’excellence sportive, de spectacle, et de rivalités. Le MMA était alors ni vraiment légal, ni vraiment illégal en Pologne. Martin Lewandovski s’engouffre dans la brèche, et organise un premier gala dans le restaurant. Puis un deuxième, pour lequel la télévision nationale Telewizja Polsat achète d’emblée les droits et sponsorise. Très rapidement, il démissionne pour s’occuper à plein temps du KSW.
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Malin, il fait marcher le KSW marche sur deux jambes. Il y a le parfum sulfureux d’un sport objectivement violent, associé dans l’imaginaire collectif «aux combats de chiens, de gangsters, aux hooligans» : mais aussi une image associée au luxe grâce au groupe Mariott où les premiers galas eurent lieu. Pour lier les deux, il utilise l’univers des gladiateurs et du Colisée, «de l’empire romain en fait». En quinze ans, son organisation n’a fait que croître avec régularité, dans le vivier fécond de l’Europe de l’Est. Il faut reconnaître que la mentalité locale n’attendait que ça : une organisation professionnelle bien huilée, avec un bon niveau et des histoires à raconter.
«Nous sommes sains économiquement et rentables» pavoise monsieur Lewandovski. Entre les lignes, il pointe avec ironie le fait que des financiers, sentant le vent passer, se sont lancés dans le MMA avec de l’argent parfois mystérieux. La principale ligue française, Ares, est encore loin de la rentabilité et c’est un euphémisme (Hexagone MMA, qui la talonne avec son style moins bling bling, est mieux structurée et rapporte de l’argent). Dans l’histoire du KSW, il y a bien sûr les stades : la trente-neuvième édition s’est tenue dans le Stadion PGE Narodowy, stade national de la Pologne à Varsovie. Des soirées ont aussi eu lien en Angleterre et en Irlande.
Au-dessus de nous il n’y a que l’UFC
Martin Lewandowski, patron du KSW.
Où se situe le KSW dans un monde dominé par l’UFC, par rapport au One (Asie), au groupe PFL-Bellator ? «Nous sommes depuis plus longtemps qu’eux dans cette industrie, nous avons plus d’expérience de ce marché. Nous sommes une entreprise solide depuis vingt ans, qui s’est montée brique par brique, nous aidons ce sport à se développer en Europe, nous avons déjà visité six pays : au-dessus de nous il n’y a que l’UFC».
Un proverbe apocryphe estime que «la révolution c’est comme une bicyclette quand elle n’avance pas elle tombe». Dans les affaires sportives la logique est identique : il faut être en posture de conquête. Ainsi, le KSW voit d’un très bon œil la légalisation du MMA en France, et y vient pour la première fois en avril 2024. L’expérience ayant été particulièrement bonne, Martin Lewandovski remet le couvert en ce mois de décembre 2024, pour appuyer le coup. Un gros contingent de Français est signé, et le combat principal verra s’affronter deux tricolores dans un classique Paris-Marseille, avec Salahdine Parnasse et Wilson Varela. Cet événement, en termes de places, sera le plus important que le sol français ait connu.
C’est là qu’intervient, il faut bien en parler, le principal reproche fait au KSW : et si ces Français étaient signés pour qu’il y ait le moins de Polonais à Paris, où comme chacun sait, les contrôles antidopage sont on ne peut plus stricts ? La question du dopage est le principal frein pour rejoindre cette organisation qui traite bien ses combattants et paie mieux qu’ailleurs. Héritant du passif lourd de l’URSS, l’Europe de l’Est a un rapport aux «produits» plus lâche qu’en France. Les grands champions de l’organisation ne viennent pas sur les cartes parisiennes, c’est un fait, et il est difficile de ne pas y voir un aveu. Le patron nous l’assure : «c’est un problème qui touche tous les sports, de tous les pays. Nous progressons, mais c’est impossible de tout contrôler». Soit.
Cette soirée a une carte séduisante, un concert inclus (de Gazo, sans commentaires), et promet des animations qui n’ont rien à envier à certains zéniths. L’UFC, dont la qualité des combats est inégalable actuellement (et pour vraisemblablement longtemps), verrouille farouchement le spectacle pour ne garder que du sport. La stratégie de conserver l’excellence sportive mais en ajoutant le divertissement pourrait aider le KSW à passer le cap continental si difficile à négocier. «Nous avons pour projet d’aller aux Etats-Unis» confirme Martin Lewandovski, qui figure régulièrement depuis 2017 dans le top trente des personnes les plus influentes dans le monde du sport.
Au fait, pourquoi le KSW fait-il combattre dans une cage en forme d’anneau, et non d’octogone comme le veut la coutume ? «En boxe on dit un ring. Ce qui signifie anneau. C’était du second degré» s’amuse le patron. Avant de reconnaître volontiers que l’anneau est un clin d’oeil au monde du luxe dont il est issu.