À Versailles, Jordan Bardella unit les droites le temps d’une séance de dédicace

«Oh la la ! Elle est magnifique ! Regardez la photo. Il n’est pas trop beau sur cette photo ?» Latifa * est fière d’elle. Son iPhone en main, la trentenaire, apprêtée pour l’occasion, se tourne vers ses voisins pour leur montrer le cliché qu’elle vient de prendre. Elle ne connaît pas les gens qui l’entourent, mais peu importe. «Vous la voulez ? Je peux vous la partager». Les modes Bluetooth s’activent. L’image arrive rapidement sur les smartphones. Quelques «mercis» et deux rires un peu gênés. Et puis tout le monde reprend sa place dans la file d’attente. Tous tiennent fermement leur livre, celui de Jordan Bardella, Ce que je cherche (Éd. Fayard), publié en novembre dernier. À l’arrivée, ils auront droit à une dédicace du président du Rassemblement national (RN), et s’ils ont de la chance, un petit échange avec le poulain de Marine Le Pen. Mais il faut faire vite, des centaines de personnes attendent dehors, sous la pluie.

La «Bardellamania» de l’année dernière, qui a porté le jeune loup nationaliste aux élections européennes puis législatives, a-t-elle atteint Versailles, son château monarchique, ses immeubles cossus et sa bourgeoisie de droite ? C’est ce que voulait vérifier l’intéressé avec cette séance de signature, vendredi soir, pour son autobiographie, vendue à quelque 230.000 exemplaires selon le RN. Premier indice : lorsqu’il est arrivé - avec 15 petites minutes de retard - dans l’ancienne ville royale des Yvelines, chef-lieu du département, une longue queue l’attendait déjà. Les curieux ayant bravé la pluie se pressaient le long de la petite salle attenante à l’hôtel «Le Louis». Un établissement qui affiche quatre étoiles au compteur et dont les tables accueillent parfois Marine Le Pen, qui y donne quelques rendez-vous. La file s’étendait même jusqu’à l’avenue de Paris, et ses grands arbres, qui mènent jusqu’à la principale attraction de la ville, l’ancienne résidence de Louis XIV.

Combien de livres Jordan Bardella a-t-il dédicacé ce soir-là ? Un bon millier, au bas mot. Tous les adeptes n’avaient pas leur exemplaire en poche, mais un stand de vente était là pour y remédier. Parfois, ce ne sont d’ailleurs pas des livres que Jordan Bardella dédicace. Ici, une bouteille ; là, des drapeaux bleu blanc et rouge. Parfois des affiches. Et même une poupée à son effigie. L’eurodéputé ne quittera sa chaise qu’autour de 23 heures, le poignet gauche endolori. Armé d’un petit paquet de bonbons et d’un grand verre d’eau, prévus pour tenir le coup, il se sera octroyé deux pauses dans la soirée. La première, pour s’éclipser quelques minutes. La seconde pour répondre aux questions des caméras. D’abord sur le très attendu verdict dans le procès des assistants d’eurodéputés du Front devenu Rassemblement national, où Marine Le Pen risque, le 31 mars, une peine d’inéligibilité sans possibilité de faire appel. Mais aussi sur son voyage inédit en Israël, les 26 et 27 mars prochains, pour évoquer la lutte contre l’antisémitisme. Sans oublier enfin la manifestation «antiraciste» organisée ce week-end dans le pays par la gauche politique, syndicale et associative ; ou encore le bras de fer engagé par Paris avec Alger.

«Dans la file, on reconnaît bien la sociologie de Versailles, se marre une proche de Jordan Bardella. Tout le monde est sage ici ! Vous auriez vu la foule à Valencienne, c’était beaucoup plus festif...», ajoute-t-on de même source, en raillant les accessoires du public : poussettes et jupes plissées pour les unes, contre cravates et doudounes - avec ou sans manches - pour les autres. Un propos volontiers caricatural, alors que, sur place, des Normands croisaient pourtant des Marseillais. «La ville a été choisie parce qu’elle est avant tout la préfecture du département», note un cadre du RN, selon qui cette étape n’était pas forcément prévue dans la tournée.

Reste qu’il s’agissait là d’une occasion de planter des graines dans cette commune longtemps acquise à la droite traditionnelle, susceptible de se laisser aujourd’hui tenter par le zemmourisme après avoir cédé aux sirènes du macronisme. «Ici, c’est soit des électeurs d’Emmanuel Macron, soit d’Éric Zemmour, concède, réaliste, Mathilde Androuët, eurodéputée RN et amie proche de Jordan Bardella. Mais s’ils ont un choix à faire en La France Insoumise et nous, ils glisseront un bulletin RN», affirme-t-elle. Et pour cause, aux dernières élections européennes, en 2024, c’est la liste LR menée par le local de l’étape, François-Xavier Bellamy, qui est arrivée en tête (23,55%), devant Valérie Hayer (17,34%). Quant à Jordan Bardella, il n’a récolté 13,46% des voix, soit moins de la moitié de son score national (31,37%).

Or, si le RN veut conquérir de nouveaux électorats pour tenter de percer le plafond de verre qui le tient écarté du pouvoir, cela passe en partie - à Versailles comme ailleurs - par la jeunesse. Cela tombe bien : à 850 mètres du fameux hôtel «Le Louis» se trouve le lycée Hoche. Un groupe de six lycéens - quatre garçons, deux filles -, ont profité de l’occasion pour toucher de près celui qui s’est imposé comme l’un des responsables politiques les plus populaires sur TikTok. «Nos parents aussi sont plutôt fans de lui. Mais on vient discrètement ici, parce que sinon on va parler de nous au lycée», dit Ronan *, 16 ans, qui attend patiemment la majorité pour pouvoir voter à la prochaine présidentielle. «Nos parents sont plutôt à droite, mais même s’ils aiment bien Bruno Retailleau, ils préfèrent le RN», abonde Olivier *. Sans faire taire pour autant les voix critiques du groupe. «Je trouve que Jordan Bardella n’est pas très féministe, j’aimerais lui en parler», tranche Élise *. «Pour moi, le RN n’est pas assez libéral. Il faut moins d’impôts, moins de taxes», renchérit un de leurs amis.

Mais à Versailles, il n’y a pas que la jeunesse des autres dont il est question : sa propre jeunesse se rappelle aussi au bon souvenir de Jordan Bardella, lorsqu’une jeune femme se présente avec deux livres à dédicacer, dont un pour son professeur d’économie. «C’était votre ancien prof, souffle-t-elle au président du RN, qui a fait ses classes en Seine-Saint-Denis. Il nous raconte plein d’anecdotes sur vous». «Mais oui je m’en souviens ! Incroyable», s’emballe Jordan Bardella. Le président du RN prend cette fois le temps de s’appliquer. Pour saluer celui qui, dit-il, lui a «appris à redresser les comptes de la France». 

* Les prénoms ont été modifiés