"Nous voulions montrer les résonances contemporaines de la Seconde Guerre mondiale" : une série documentaire retrace six ans de "guerre totale"

C'est une série documentaire qui revisite avec force détails la Seconde Guerre mondiale. A l'occasion des célébrations du 8-Mai commémorant la capitulation de l'Allemagne nazie, les quatre épisodes de 1939-1945. Et le monde bascule, réalisés par Mickaël Gamrasni et coécrits par l'historien Olivier Wieviorka, sont diffusés mardi 6 mai à 21h10 sur France 2. Illustrée par de nombreuses archives colorisées et des images en 3D, cette fresque historique, qui parcourt tous les continents, revient sur les évènements majeurs du conflit le plus meurtrier du XXe siècle, qui a redessiné les frontières politiques et transformé les sociétés.

Au-delà des batailles et des stratégies militaires, cette grande synthèse analyse les bouleversements sociaux, économiques et moraux engendrés par cette période et éclaire les événements qui ont façonné le monde actuel. Olivier Wieviorka, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, revient pour franceinfo sur certains épisodes majeurs de ce conflit hors norme. 

Franceinfo : Vous retracez six ans de guerre, grâce à des images d'archives, mais vous avez inséré également des moments historiques plus contemporains. Dans quel but ? 

Olivier Wieviorka : L'idée est de montrer que la Seconde Guerre mondiale a énormément influencé la seconde partie du XXe siècle, donc nous voulions fournir aux téléspectateurs des éléments de réflexion. Nous n'essayons pas d'asséner une version déterministe de l'histoire, mais nous montrons qu'un certain nombre d'éléments résonnent encore aujourd'hui. Cette guerre est, par exemple, la première dans laquelle il y a eu plus de morts civils que de morts militaires, ce qui fait grandement écho aux conflits actuels.

Autre exemple, la question de Taïwan, qui peut sembler relativement récente, se posait déjà en 1949, à cause de la guerre civile entre les nationalistes de Tchang Kaï-chek et les communistes de Mao. Il y a des résonances contemporaines de la Seconde Guerre mondiale évidentes et c'est ce que nous avons voulu mettre en avant afin de faire réfléchir le téléspectateur. 

On a le sentiment, en regardant la série, que les Etats-Unis ont tardé à intervenir en Europe lors de la Seconde Guerre mondiale…

Oui et non, car le président américain, Franklin D. Roosevelt, avant même que la guerre éclate, avait promis au Premier ministre britannique, Winston Churchill, qu'il s'occuperait d'abord de l'Allemagne. Mais pour que les Etats-Unis puissent intervenir en Europe, il fallait aussi qu'ils puissent se mettre en ordre de bataille.

En 1939, l'armée américaine est une toute petite armée, l'industrie américaine n'est pas du tout tournée vers la production de guerre, donc tout cela a pris du temps. Les Américains n'étaient pas en mesure d'intervenir en Europe avant 1943, ce qui explique le laps de temps qui sépare leur entrée en guerre fin 1941 et leurs premières interventions en Afrique du Nord puis les débarquements en Sicile, en Italie continentale et en Normandie.

Au début de la guerre, l'armée française est la plus puissante du monde ?

En 1939, l'armée française est considérée comme la première armée du monde, donc les Etats-Unis pensent légitimement que l'Allemagne ne va pas gagner la guerre, tout simplement parce que la coalition franco-britannique va permettre de l'abattre. La défaite française de juin 1940 est perçue comme un événement totalement surprenant, imprévisible et traumatisant, car tout le schéma stratégique des Américains reposait sur l'idée que la France serait en mesure de contenir l'offensive allemande.

Comment expliquez-vous que la France ait pu être défaite aussi rapidement ?

Disons qu'en substance, les Français ont été extrêmement routiniers, ils n'ont pas perçu les nouveautés que pouvaient représenter les blindés, mais surtout, ils n'ont pas respecté leur schéma stratégique. En fait, les militaires français ont un peu trop compté sur la ligne Maginot. Ils s'étaient dit qu'ils allaient attendre que l'offensive allemande se déclenche, et que ce rideau défensif ralentirait les attaques germaniques, ce qui permettrait à la France de gagner du temps, de mobiliser dans le calme et de préparer ce que l'on appelle la bataille méthodique.

Ce schéma n'était pas absurde, mais les Français ne se sont pas tenus à leur stratégie. Car lorsque la Belgique et les Pays-Bas ont été frappés par la Wehrmacht, les Français se sont portés à leur secours et sont sortis de la ligne Maginot. Or, la principale offensive allemande n'était pas aux Pays-Bas, mais dans le secteur des Ardennes. Cette zone, peu défendue, a cédé rapidement face aux blindés germaniques. L'état-major français endosse une énorme responsabilité dans la déroute de l'armée, car il n'a pas envisagé cette possibilité et, surtout, il est sorti de son schéma stratégique initial qui était au départ une guerre défensive.

Pourquoi Adolf Hitler décide-t-il d'attaquer l'URSS en 1941 ?

L'intervention allemande contre l'URSS sidère littéralement Staline, qui pense que les Allemands n'ont aucun intérêt matériel à frapper l'Union soviétique. Plusieurs éléments entrent en compte. Le premier est d'ordre idéologique : les nazis voulaient en finir avec le "judéo-bolchevisme", ce qui explique que cette guerre soit devenue assez vite une guerre d'annihilation des juifs. Le second argument est que l'Union soviétique est, à l'époque, la seule alliée continentale qui reste au Royaume-Uni. Il faut que les Allemands abattent les Russes avant que les Etats-Unis ne soient en mesure d'aider substantiellement le Royaume-Uni, donc il faut frapper vite.

Et la troisième raison est que l'Union soviétique est considérée comme un eldorado économique qui permettrait de fournir à l'Allemagne nazie du blé et des pommes de terre venant d'Ukraine, mais aussi du pétrole, qui se trouve dans le Caucase. Car il faut souligner que l'Allemagne n'a absolument pas de matières premières.

On a le sentiment que la politique génocidaire envers les juifs est née lors de l'offensive à l'est.

Non, elle existait déjà avant. Dès 1939 en Pologne, il y a une entreprise génocidaire qui se met en place, menée par les Einsatzgruppen, des unités mobiles d'extermination chargées d'assassiner des opposants au régime nazi, et plus particulièrement des juifs. Mais on pense que la décision d'exterminer les juifs de manière scientifique et programmée est prise entre septembre et novembre 1941. 

Quant aux raisons, elles restent floues et sujettes à réflexion : est-ce l'échec prévisible en URSS à partir d'octobre 1941 qui va pousser Adolf Hitler à prendre cette décision ? Ou est-ce la crainte de voir les Etats-Unis intervenir dans ce conflit malgré leur neutralité proclamée qui amène Hitler à utiliser les juifs, soit comme monnaie d'échange, soit comme otages qu'il pourrait liquider pour se venger de Franklin Roosevelt ? C'est, en tout cas, à partir de ce moment-là que l'on va voir une planification de l'assassinat des juifs.

Contrairement à ce que l'on pense, ce n'est pas lors de la conférence de Wannsee en janvier 1942 que l'organisation de l'extermination des juifs d'Europe occidentale a été décidée. Ce colloque, qui a réuni quinze hauts fonctionnaires du parti nazi et de l'administration allemande pour discuter de la mise en œuvre de ce qu'ils appelèrent "la solution finale à la question juive", n'a fait qu'entériner le principe et régler les détails, rien de plus.

Pourquoi le rôle tenu par l'Union soviétique dans la victoire contre l'Allemagne nazie a-t-il longtemps été minimisé ?

Le poids de la guerre a effectivement reposé sur les épaules de l'Armée rouge en Europe. Le rôle de l'URSS a été un peu oublié à l'Ouest, car nous étions dans une configuration de guerre froide, et ce, même si une partie de la guerre s'est jouée à Stalingrad. La mémoire collective retient le débarquement en Normandie, alors que l'intervention anglo-américaine sur le continent a été relativement tardive puisqu'elle n'a commencé qu'en juillet 1943 avec le débarquement en Sicile. Mais il faut souligner qu'en ce qui concerne la guerre en Asie, les Soviétiques ne sont pas du tout intervenus : ce conflit est avant tout américain. Et si la Russie commémore la victoire sur les nazis le 9 mai, ce n'est que pour une question de décalage horaire, car l'acte de capitulation a été signé dans la nuit à Reims le 7 mai, et est entré en vigueur le 8 mai 1945 à 23h01, soit le 9 mai à Moscou.

De ce chaos mondial, vous rappelez que des innovations sont nées.

Oui, il y a eu énormément d'avancées technologiques durant la Seconde Guerre mondiale. Certaines étaient déjà en germe pendant la Première Guerre mondiale, je pense aux tanks et à l'aviation, mais d'autres étaient vraiment novatrices, comme les débuts de l'informatique et, bien sûr, la bombe nucléaire. On connaissait déjà le principe de la fission, mais la grande réussite américaine, c'est d'avoir transformé ce qui était connu des scientifiques, y compris des chercheurs allemands, en un processus industriel qui a donné cette bombe. Cela a été une course vers l'atome relativement longue, car il a fallu six ans pour qu'elle soit exploitable. Tous les savants réfugiés aux Etats-Unis espéraient que cette bombe atomique servirait contre l'Allemagne, mais finalement, elle a servi contre le Japon.

En même temps, cette période de progrès est une période ambivalente. Est-ce que le fait que la bombe nucléaire ait été conçue et expérimentée est bénéfique ? On peut en discuter. Mais ce dont on peut être sûr, c'est que certains progrès scientifiques, comme la pénicilline découverte en 1929, développée en 1937 et utilisée dès 1943 sur des soldats, ont permis de sauver des milliers de vies.

La série documentaire 1939-1945. Et le monde bascule, réalisée par Mickaël Gamrasni, est diffusée mardi 6 mai à partir de 21h10 sur France 2 et visible sur la plateforme france.tv.