Notre critique de Chroniques d’Haïfa : une ronde des passions aussi séduisante que bouleversante
Allongée sur un brancard, elle relève ses longs cheveux pour que l’infirmier puisse lui poser une minerve. Fifi (Manar Shehab) vient d’être admise à l’hôpital après un léger accident de voiture nocturne à Haïfa.
Encore toute retournée, elle n’en croit pas ses yeux lorsqu’elle voit débarquer dans la pièce sa mère, son frère ainsi qu’une bonne partie de sa famille. « Pourquoi es-tu ici maman ? », demande-t-elle sur la défensive. D’emblée, la caméra capte l’inquiétude et la sourde défiance de cette jeune étudiante comme prise en défaut. Quel secret tente-t-elle donc de garder pour elle ?
Passer la publicitéDans la voiture qui la ramène à la maison, Hanan, la mère (Wafaa Aoun), demandera assez fermement à sa cadette de se changer et d’enlever sa minerve pour préserver les apparences. Quant à Rami (Toufic Danial) le frère aîné, il garde prudemment le silence. Lui-même se débat avec un autre secret plutôt encombrant : il entretient une liaison avec Shirley, une hôtesse de l’air juive qui lui annonce de but en blanc qu’elle est enceinte. Les deux autres chapitres de ce film choral dont la construction narrative rappelle les films de Cédric Klapisch ou Danièle Thompson développent ainsi des points de vue décalés liés à cette même famille.
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La saveur des secrets de famille bien gardés
De Fouad (Imad Hourani), le père entrepreneur empêtré dans des malversations financières, en passant par l’aînée qui prépare avec entrain son fastueux mariage, sans oublier la romance entre Wallid (Raed Burbara), jeune médecin qui s’est entiché de Fifi, ou encore la menace de la vente de la maison de famille, le réalisateur palestinien Scandar Copti (caméra d’or à Cannes en 2010 pour son premier film Ajami) tisse un drame familial au cœur d’Haïfa, la ville la plus cosmopolite d’Israël.
Chroniques d’Haïfa possède la saveur des secrets de famille bien gardés. Derrière l’impeccable façade d’un clan qui affiche sa réussite sociale, quatre voix se font entendre, quatre destins prennent corps façonnés par des passions brûlantes et des sentiments empêchés. Scandar Copti les imbrique parfaitement dans un film puzzle passionnant qui a obtenu le prix « Orizonti » du meilleur scénario à la Mostra de Venise l’an dernier. Copti filme le quotidien des membres de cette famille avec une énergie solaire et communicative. Ici, les non-dits sont légion, les liaisons, dangereuses et les élans du cœur, incontrôlables.
Hommes et femmes, mère et filles, père et fils, Arabes et Juifs, entament une ronde aussi périlleuse qu’irrésistible tout en dansant au-dessus du volcan : celui du poids des traditions et des préjugés. Au fil des quatre histoires qui se dévoilent, surgissent les tensions entre les générations, ainsi que la mise à mal des libertés individuelles, le tout mêlé aux préjugés, tabous et croyances qui divisent les deux communautés.
Avec un charme évident et une authenticité frappante, cette fresque à fleur de peau navigue entre drame intimiste et chronique sociologique… On en ressort aussi séduit que bouleversé. Quant à Manar Shehab, elle crève l’écran.
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La note du Figaro : 3/4