«Il a eu l’idée de l’azote car c’est un très bon physicien» : deux chercheurs du CNRS condamnés à de la prison pour l’attaque du consulat de Russie à Marseille

Les deux chercheurs suspectés d’avoir attaqué le consulat de Russie à Marseille ont été condamnés à une peine de huit mois d’emprisonnement ferme avec mandat de dépôt pour avoir attaqué le consulat de Russie à Marseille ce jeudi. Cette peine sera toutefois aménagée d’ici cinq jours sous la forme d’un régime de détention à domicile avec bracelet électronique.

Vasile H., 48 ans, et Georges S., 59 ans étaient mis en cause pour des faits de «tentative de dégradation ou détérioration du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes» et de «fabrication non autorisée d’engin explosif ou incendiaire». Ces deux chercheurs affiliés au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) étaient suspectés d’avoir lancé trois bouteilles en plastique remplies d’azote liquide dans les jardins du consulat de Russie à Marseille. Un geste «politique» que les prévenus ont justifié par leur exécration pour la guerre entre la Russie et l’Ukraine.

«Je suis complètement dépassé, je regrette. Tous les moyens mis en place à cause de ça. Pour quelqu’un qui est écolo, ça me fait mal», souffle Vasile H., docteur en physique des matériaux né en Roumanie. Timide, l’ingénieur aux cheveux bouclés grisonnants reconnaît d’emblée l’intégralité des faits en précisant qu’il ne souhaitait blesser personne. «Je suis assez sensible au climat actuel. Les élections aux États-Unis ne vont pas dans la bonne direction. Avec Georges, on discute souvent et on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose pour le 24 février», détaille le chercheur en référence au troisième anniversaire de l’invasion russe en territoire ukrainien.

De l’azote liquide dans un thermos

«Moi, je voulais faire du bruit. Il a eu l’idée de l’azote car c’est un très bon physicien», abonde Vasile H. en dévoilant volontiers les contours de l’opération. Tôt dans la matinée, la paire s’est rendue au CNRS pour aller chercher de l’azote liquide, un produit conservé à -196 degrés Celsius qui, une fois versé dans une bouteille fermée, se transforme en gaz et fait monter le tout en pression «comme l’air dans le pneu d’un cycliste». «L’azote liquide, cela ne se trouve pas dans le commerce, c’est trop volatil. On est allés le chercher le matin même au labo et on a tout mis dans un thermos», ajoute très sérieusement Georges S. devant le président et ses assesseurs qui l’écoutent avec attention.

Les deux complices sont ensuite montés à bord d’une voiture en direction du consulat de Russie équipés de masques, de gants et de bouteilles de soda en plastique afin d’y verser l’élément chimique. Les images de vidéosurveillance exploitées par les forces de l’ordre montrent ensuite Georges S. et Vasile H. prendre deux directions différentes, leurs «explosifs» dans les mains. «J’ai lancé une bouteille mais c’est tombé à côté chez le voisin. Je suis parti en courant et je n’ai rien entendu. Je me suis dit que j’avais fait ça pour rien», souffle ce dernier. «J’avais repéré les lieux sur Google Maps afin de jeter le projectile sur une toiture. Si cela venait à tomber sur quelqu’un, il aurait pu avoir très mal à la tête», complète Georges S..

Au moins deux détonations suivies d’une «fumée blanche» ont été enregistrées et entendues par des témoins de la scène, dont un voisin du bâtiment diplomatique qui a retrouvé des débris fumants dans sa propriété. Dans la foulée, une trentaine de marins-pompiers avaient été déployés aux côtés des forces de l’ordre accompagnées de démineurs. Le personnel du consulat avait quant à lui été confiné toute la matinée, des sources indiquant la présence de «cocktails Molotov» aux abords du bâtiment. Moscou avait rapidement dénoncé ce qu’il estimait être une «attaque terroriste», tandis que le quai d’Orsay avait lui condamné «toute atteinte à la sécurité des emprises diplomatiques».

Compagne d’origine ukrainienne

Prenant connaissance de ces agitations, Vasile H. et Georges S. auraient commencé à prendre conscience de la portée de leur geste. Rentrant au CNRS, le chercheur en nanomatériaux aurait alors éprouvé des remords. «On aurait pu se dire, et après ? Mais on ne s’est pas posé cette question avant», concède Georges S.. «Je n’ai aucune hostilité envers le peuple russe, simplement contre son gouvernement. Je n’ai pas évalué ni apprécié l’impact diplomatique que cela entraînerait», complète Vasile H.

Se doutant que la police était à leurs trousses, les chercheurs se sont rendus en fin de journée à une manifestation de soutien à l’Ukraine afin d’y être interpellés. «Je me doutais qu’on allait être pris. Après coup, je me suis dit qu’on avait été vraiment très stupides», avoue honteusement Georges S., dont la compagne est d’origine ukrainienne.

«Mais vous savez pourtant que les diplomates sont protégés en France. C’est un territoire sacré auquel on ne peut pas toucher. Vous n’aviez pas pensé aux conséquences de vos actes malgré votre intelligence supérieure à la moyenne ?», interroge un assesseur, qui confesse être surpris de voir face à lui deux individus «sans histoire» ni antécédent judiciaire. «Il ne faut pas rester bras croisés face aux violences», répond timidement Vasile H.. Placés en garde à vue, ils avaient évité de justesse la détention provisoire, ce qui leur a permis de comparaître libres devant le tribunal.

On n’attaque pas les représentants d’un pays extérieur. C’est un tabou absolu des relations internationales et diplomatiques

Le ministère public

De maigres concessions loin d’être au goût du consul général de Russie, assis aux côtés des prévenus. Via une interprète, il réaffirme le caractère «terroriste» de l’acte. «Ils ont agi en groupe, on sait qu’ils se sont bien préparés en identifiant la substance à l’avance et en laissant leur portable chez eux. Les conséquences de cet acte auraient pu être pires», traduit l’interprète sous les yeux médusés du délégué régional du CNRS Provence et Corse, Jérôme Vitre, dont la direction s’est constituée partie civile et reste «consternée» par les faits. «Il y a bien eu un détournement du matériel du CNRS», confirme-t-il simplement.

«On n’attaque pas les représentants d’un pays extérieur. C’est un tabou absolu des relations internationales et diplomatiques. Ce tabou a été largement violé», balaye le procureur. «Les faits ne sont pas dangereux, ce sont des manipulations que l’on montre à des écoliers. On est sur des chercheurs sans histoire, qui ont des opinions et veulent les manifester. Mais ce n’est pas de la bonne façon de faire», souligne-t-il, requérant une peine d’un an d’emprisonnement à effectuer avec un bracelet électronique.

«Ce ne sont pas des terroristes ni des activistes ou des délinquants. Ils voient des choses qui les angoissent. La situation générale a provoqué de l’anxiété chez eux», plaide Me Rami Chahine, qui avait préconisé une amende et un remboursement des dégâts occasionnés. Ces réquisitions ont été suivies par le tribunal, qui a condamné les deux chercheurs à une peine de huit mois de prison ferme avec mandat de dépôt, aménagée d’ici cinq jours sous la forme d’un régime de détention à domicile avec bracelet électronique. Vasile H. et Georges S. iront donc en prison ce jeudi soir. Une nouvelle audience se tiendra le 23 janvier 2026 afin de débattre des intérêts civils, c’est-à-dire de l’indemnisation, du consulat de Russie et du CNRS.