Guerre en Ukraine : à qui profiterait un cessez-le-feu d'un mois limité aux frappes contre les infrastructures énergétiques ?
Une première étape vers un cessez-le-feu plus large ? La proposition américaine d'une trêve de 30 jours dans la guerre en Ukraine, soutenue par Kiev, ne s'est pas concrétisée à l'issue de l'appel téléphonique entre Donald Trump et Vladimir Poutine, mardi 18 mars. L'échange entre le président américain et l'autocrate russe a toutefois permis l'émergence d'une autre option, plus limitée : l'arrêt, pendant un mois, des frappes visant les infrastructures énergétiques des deux pays. Un "minimum syndical", selon l'ancien général Patrick Dutartre.
Vladimir Poutine a "réagi positivement à cette initiative et immédiatement donné aux militaires russes un ordre correspondant", a affirmé mardi le Kremlin. Même son de cloche du côté de Volodymyr Zelensky : "L'une des premières étapes vers la fin de la guerre pourrait être de cesser les frappes sur les infrastructures énergétiques et autres infrastructures civiles", a-t-il déclaré mercredi à l'issue d'un appel avec Donald Trump. "J'ai soutenu cette mesure et l'Ukraine a confirmé que nous sommes prêts à la mettre en œuvre."
Un peu plus tôt, Moscou et Kiev s'étaient pourtant mutuellement accusés d'avoir mené, dans la nuit, le type de frappes auxquelles ils disent vouloir mettre fin. "Des tentatives ont été faites pour cibler nos infrastructures énergétiques", a affirmé le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. Des site similaires ont également été visées par la Russie en Ukraine cette même nuit, ont assuré à leur tour les autorités ukrainiennes. Malgré le discours de Vladimir Poutine en faveur de cette trêve limitée, "rien n'a changé", a fustigé jeudi Volodymyr Zelensky.
Un "répit évident" pour les infrastructures ukrainiennes, mais aussi russes
Si ce moratoire était confirmé et appliqué, il offrirait une respiration loin d'être négligeable aux autorités et à la population ukrainienne, après plus de trois années d'offensive russe. Moscou cible régulièrement les infrastructures énergétiques ukrainiennes, et ce depuis l'automne 2022. De cette date à la fin de 2023, "environ la moitié des capacités de production d'électricité de l'Ukraine ont été soit occupées par les forces russes, soit détruites ou endommagées", rapportait l'Agence internationale de l'énergie en septembre. Mi-2024, après une nouvelle intensification des attaques russes, "l'Ukraine ne disposait plus (...) que d'un tiers environ de sa capacité de production d'électricité d'avant-guerre."
Une arrêt de ces frappes ciblées "serait un répit évident pour les Ukrainiens", confirme auprès de franceinfo Carole Grimaud, professeure en géopolitique de la Russie à l'Université Paul-Valéry de Montpellier. Pour la spécialiste, ce mois de trêve serait aussi un temps précieux pour "remettre sur pied des installations" énergétiques. "Les Ukrainiens ont acquis une rapidité et une dextérité exemplaires pour reconstruire après des attaques russes", souligne-t-elle.
Mais une telle trêve sur les infrastructures énergétiques bénéficierait également à Moscou, de l'avis du chercheur Alexander Vershbow, ancien secrétaire général adjoint de l'Otan. Vladimir Poutine a probablement eu à l'esprit les installations de son propre pays en se disant ouvert à ce moratoire, estime-t-il dans une analyse publiée par le cercle de réflexion américain Atlantic Council : "C'est le seul domaine où un cessez-le-feu profiterait davantage à la Russie qu'à l'Ukraine, compte tenu de la capacité croissante de Kiev à mener des attaques de drones à longue portée contre des cibles énergétiques russes." Ce que confirme Carole Grimaud :
"C'est une bonne nouvelle [pour la Russie], car ces installations sont régulièrement attaquées par des drones ukrainiens, qui ont énormément progressé. Ils ont pu frapper jusqu'aux environs de Moscou."
Carole Grimaud, spécialiste de la Russieà franceinfo
L'armée ukrainienne mène régulièrement ces attaques en terrain russe depuis le début de l'année dernière. Une des frappes dénoncées mercredi par le ministère russe de la Défense a ainsi visé un dépôt pétrolier de la région de Krasnodar, dans le sud-ouest de la Russie. Raffineries, dépôts pétroliers... Pour Kiev, l'objectif est d'affaiblir l'approvisionnement en énergie de l'armée de Moscou, et d'affecter un secteur clé de l'économie russe. "Toutes ces infrastructures endommagées pèsent sur l'économie du pays, sur les exportations et la capacité à faire la guerre", appuie Carole Grimaud. Le New York Times souligne en outre que l'Ukraine peut espérer atteindre le moral de la population russe en frappant son territoire.
Un facteur d'incertitude qui permet à Moscou de gagner du temps
Communiquer sur cette trêve énergétique aux contours flous, après l'appel entre Donald Trump et Vladimir Poutine, a donné un premier avantage à Moscou, souligne l'Institute for the Study of War (ISW). Vladimir Poutine "sème la confusion sur le calendrier et les détails du cessez-le-feu, dans le but d'accuser faussement l'Ukraine d'avoir violé la trêve avant même que les deux pays n'aient officiellement mis en œuvre l'accord", dénonce le cercle de réflexion américain, référence dans le suivi quotidien de la guerre.
Une manière de "profiter du manque de clarté" et "un indicateur de la manière dont Vladimir Poutine exploitera probablement tout accord futur", avance l'ISW. L'organisation souligne la façon dont le ministère de la Défense russe a communiqué dès mercredi, tentant "de présenter la frappe ukrainienne" sur un site pétrolier la nuit précédente "comme une violation de l'accord de cessez-le-feu", bien qu'il soit encore loin d'être approuvé.
"Les affirmations russes selon lesquelles la Russie a respecté le cessez-le-feu en s'abstenant de mener des frappes contre les infrastructures énergétiques ukrainiennes, et selon lesquelles l'Ukraine a violé le cessez-le-feu, sont inexactes. La Russie et l'Ukraine n'ont pas encore officiellement mis en œuvre l'accord."
Le groupe de réflexion Institute for the Study of Wardans un rapport
Cette esquisse de trêve, bien plus limitée que la proposition américaine initiale, sert-elle aussi à faire gagner du temps à la Russie dans les négociations ? Lors de son échange avec Donald Trump, Vladimir Poutine a réitéré ses conditions pour un cessez-le-feu en Ukraine, comme "la nécessité de mettre fin" à ce qu'il décrit comme "la mobilisation forcée en Ukraine et le réarmement des forces armées ukrainiennes", c'est-à-dire la fin de l'aide militaire occidentale. Une ligne rouge évidente pour Kiev. "Vladimir Poutine n'est pas pressé de parvenir à un cessez-le-feu à long terme, et encore moins à un accord de paix permanent", rappelle Alexander Vershbow. Le compte-rendu de l'appel entre Washington et Moscou, mardi, est rempli de "conditions, de mises en garde" russes, que "l'Ukraine ne manquera pas de rejeter", observe le membre de l'Atlantic Council.
Les prochains jours s'annoncent déterminants pour l'entrée en vigueur de cette possible trêve énergétique. Lundi, les Etats-Unis mèneront des pourparlers à ce sujet avec l'Ukraine et la Russie en Arabie saoudite, ont annoncé jeudi Kiev et Moscou.