Tensions, «vitesse fulgurante», non-respect du code de la route... L’enfer de la cohabitation entre cyclistes, piétons et automobilistes

Il est 18h13, Place Vendôme, et la nuit commence à tomber en ce soir de novembre. En sortant du rond-point au centre duquel trône la colonne Vendôme, une Fiat 500 noire entre en collision avec un vélo, dont le cycliste choisit de prendre la même sortie que la voiture. «C’est encore ces conna*** de cyclistes, je suis sûr que c’est de sa faute», déclare un jeune homme en tenant le bras de sa partenaire. Un piéton qui scrute la scène s’énerve : «C’est bien il veut sauver la planète, mais il s’agit aussi de respecter les autres usagers».

Cet exemple s’inscrit dans un contexte de plus en plus tendu dans l’espace public où cyclistes, piétons et voitures se retrouvent en conflit. Le décès de Paul Varry, un jeune cycliste renversé à Paris par un automobiliste il y a plus d’un mois, a ravivé le débat sur cette question. Quelques jours après la mort de cet homme de 27 ans, le ministre des Transports, François Durovray a annoncé le lancement d’une mission de quatre mois, intitulée «contre les violences, protéger tous les usagers de la route».

«Ce dont j’ai le plus peur, ce sont les cyclistes»

Le hashtag «cyclopathe» sur le réseau social X, anciennement Twitter, est le témoin de cette montée du mécontentement. De nombreux tweets condamnent le comportement de certains cyclistes avec une certaine virulence. Certains réagissent à l’accident de Cécile Siméone, ancienne animatrice de Canal+ qui a été violemment frappée par un cycliste ce 17 novembre : «Et voilà encore un velotafiste cyclopathe avec un véhicule non-immatriculé qui use de violence.»

David, un parisien de 40 ans administrateur d’un groupe Facebook «anti-cycliste», qu’il met rarement à jour en raison d’insultes qu’il a reçues raconte : «Ce dont j’ai le plus peur, ce sont les cyclistes. J’ai abandonné la trottinette électrique à cause des vélos qui vont désormais plus vite que moi». En tant que piéton, il explique avoir eu deux accidents avec des cyclistes qui ont traversé au feu rouge alors que le feu tricolore était vert pour les piétons. «Ils me sont rentrés dedans car ils n’ont pas tourné la tête pour s’assurer qu’il n’y avait personne. Ils ne respectent pas les feux de circulation», s’agace-t-il. Selon lui, ces deux accidents sont survenus car la distinction entre piste cyclable et trottoir est de plus en plus ténue. 

Comportement cavalier

Aujourd’hui, les aménagements urbains sont devenus tellement complexes que les usagers ne savent plus comment se déplacer. «Des exemples dans Paris, j’en ai pleins. À la porte de Saint-Cloud, il y a deux sens de circulation, ce qui rend le passage des piétons très risqué. Au Centre Beaugrenelle, près de la Maison de la Radio, c’est pareil : des cyclistes arrivent par la droite à une vitesse fulgurante alors qu’il n’y a pas de feu», explique Cyril, 61 ans, visiblement agacé par les choix d’aménagements effectués par la mairie d’Anne Hidalgo. La situation devient encore plus complexe lorsqu’il s’agit de traverser un carrefour, où les cyclistes empruntent la même sortie que les voitures sans signaler qu’ils vont tourner.

«Depuis quelques années, ce changement de modèle urbain qui consiste à privilégier l’aménagement de pistes cyclables se construit sur le modèle du rapport de force», explique le sociologue Éric Le Breton, maître de conférences à l’université Rennes 2. La place grandissante qu’occupent les élus écologistes dans les grandes métropoles françaises confère une grande légitimité aux usagers de vélos. «Il y a pas mal de cyclistes qui n’ont pas appris à circuler de manière sécure en vélo. Ils sont nimbés d’une légitimité qui peut parfois se traduire par un comportement cavalier. Le conducteur du SUV est vu comme celui qui ne fait pas l’effort collectif», détaille le sociologue. Cette préoccupation de la mobilité douce s’exprime aussi en dehors des grandes villes où l’on peut voir des aménagements cyclables dans des bourgs, périphériques à la ville.

Ils n’ont pas les mêmes réflexes que les automobilistes. Ils ne vérifient pas la priorité, ils ne s’arrêtent pas aux feux

Françoise, retraitée à Grenoble

Le sociologue identifie plusieurs catégories de cyclistes, chacune avec des pratiques distinctes, parfois sources de tensions au sein de l’espace public. En premier lieu, les vélos-piétons qui sont des cyclistes utilisant des vieux vélos pour de courts trajets urbains, souvent le cas d’étudiants. D’après Françoise, une retraitée de Grenoble, cette catégorie de cyclistes n’a jamais conduit de voiture et ne peut donc, de fait, appliquer le code de la route. «Ils n’ont pas les mêmes réflexes que les automobilistes. Ils ne vérifient pas la priorité en jetant un coup d’œil à droite, ne s’arrêtent pas aux feux et ne laissent même pas les piétons traverser. Il m’arrive d’attendre plusieurs minutes pour qu’on me laisse passer», raconte-t-elle.

Les vélos-caboteurs, sont quant à eux, des cyclistes parcourant entre 5 et 15 km par jour, équipés de vélos plus performants. Enfin, il y a les cyclistes au long cours, qui parcourent 20 à 30 km par jour, bien équipés et expérimentés. Ils sont souvent en conflit avec les autres usagers de la route en raison de leur vitesse et de leur maîtrise du vélo. Ces catégories génèrent des conflits d’usage sur l’espace public, notamment entre cyclistes aguerris et cyclistes moins expérimentés. C’est ce que raconte Cyril qui utilise un vélo musculaire et qui se sent dépassé par l’utilisation des vélos électriques et des vélos cargo. «Lorsque je suis au feu rouge et que je vois un vélo électrique remonter l’avenue à toute vitesse et griller le feu, j’hallucine complètement. Encore pire quand ils n’ont pas de gilet et qu’ils ont des enfants derrière», déplore ce cadre d’entreprise qui fait du vélo tous les jours depuis 30 ans. 

Selon ce membre actif du groupe Facebook «Sauvons Paris» le développement de pistes cyclables s’est fait «de manière anarchique, en dépit du bon sens avec un entretien qui n’est pas régulier». En parallèle, on assiste à une montée en puissance de modèles de vélos particulièrement imposants, comme les fatbikes, qui complexifient davantage la cohabitation entre les différents usagers de l’espace public. 

Plus de vélos

Pour Christian Machu, secrétaire général de l’association 60 Millions de piétons, le Covid-19 a entrainé une accélération de la pratique du vélo. «Avant le Covid, la préoccupation principale des piétons portait sur la circulation automobile, tandis qu’après la pandémie, un tournant s’est opéré, avec un mécontentement croissant des piétons envers les cyclistes», déclare-t-il. Selon les résultats de l’enquête annuelle sur la pratique du vélo en 2023 publiés par le ministère délégué chargé des transports le 14 mai 2024, on observe en France une augmentation de 48 % des trajets à vélo en 2023 par rapport à 2019. 

Dans cette configuration, chacun appréhende son environnement avec un prisme réducteur qui ne prend pas nécessairement en compte le point de vue des autres usagers. En termes de mobilité «l’enfer c’est les autres», abonde Xavier Bernier, docteur en géographie et spécialiste des questions de mobilités. Chaque usager de la mobilité va se prévaloir de son droit en fonction du choix d’aménagement fait par les politiques. Selon lui, tout se joue dans l’éducation et dans la mise en place de formations qui prennent en compte les évolutions du code de la route.