«Taxer davantage l’électricité aurait des conséquences délétère sur la décarbonation, la souveraineté et l'économie du pays»
Maxence Cordiez est ingénieur, expert en énergie et climat à l'Institut Montaigne. Nicolas Goldberg est responsable du pôle énergie de Terra Nova.
Pour limiter le déficit de l'État, le nouveau gouvernement cherche des économies à réaliser, ainsi que de nouvelles sources de financement. Parmi ces dernières, il compte relever en février prochain la taxe (accise) sur l'électricité de 21€/mégawattheures actuellement à 32,44€/mégawattheures, voire davantage, c'est-à-dire a minima le niveau qui était le sien avant l'instauration du bouclier tarifaire en 2022. S'il est indéniable que l'État doit trouver de nouvelles sources de revenus, celles-ci doivent être conçues de manière à ne pas aggraver le problème qui leur a donné naissance. Or force est de constater que ce n'est pas le cas.
Historiquement, la taxation sur l'électricité a fortement augmenté entre 2003 et 2016 car, à l'époque, elle finançait directement le soutien aux énergies renouvelables électriques. En 2016, le gouvernement a changé d'approche et choisi d'affecter cette taxe au budget général de l'État, ce qui revenait également à prélever le soutien aux énergies renouvelables électriques sur ce dernier. Cela a permis de stabiliser le niveau de taxation jusqu'à la crise de l'énergie de 2021-22.
Avec l'envol du prix de l'énergie (principalement gaz et électricité), le gouvernement a instauré un bouclier tarifaire, consistant notamment à réduire l'accise sur l'électricité à son minimum autorisé par le droit européen (0,5 €/mégawattheures). À présent que les prix sont redescendus, le gouvernement envisage de réaugmenter l'accise sur l'électricité à son niveau d'avant-crise – voire au-delà. Cette approche, contre un bénéfice de court terme, risque cependant d'aggraver la situation à moyen terme.
Avant la crise, l'accise sur l'électricité était élevée du fait d'une formule de calcul déjà obsolète, provenant du soutien passé aux énergies renouvelables électriques (dont le coût a par ailleurs fortement diminué depuis lors). Or, l'origine de la situation budgétaire compliquée de l'État provient en large part de la crise de l'énergie, de ses conséquences sur les entreprises françaises et des plus de 100 milliards d'euros de bouclier tarifaire dépensés à fonds perdu (notamment en subventions aux combustibles fossiles). En outre, chaque année les importations de combustibles fossiles coûtent plusieurs dizaines de milliards d'euros à la France, pesant lourdement dans le déficit commercial.
La Cour des comptes l’a souligné dans un rapport en septembre: la politique fiscale française ne peut viser le seul rendement et doit tenir compte des enjeux des politiques sectorielles, notamment en matière énergétique et climatique.
Maxence Cordiez et Nicolas Goldberg
Apporter une réponse durable requiert de s'attaquer à la racine du problème, c'est-à-dire réduire la dépendance de la France aux combustibles fossiles importés. Cela passera notamment par l'électrification des usages : voiture électrique, pompes à chaleur, électrification de procédés industriels, etc. Pour que les consommateurs – particuliers et professionnels – choisissent l'électricité par rapport au pétrole ou au gaz fossile, encore faut-il qu'ils y voient un intérêt économique. Or, l'électricité – bas carbone et produite en France – se trouve aujourd'hui plus taxée que le gaz fossile. C'est cette situation déjà problématique que le gouvernement compte aggraver alors qu'il devrait être du rôle de la puissance publique d'accompagner la fin inévitable du gaz fossile et la baisse de consommation du vecteur gaz dans notre mix énergétique.
Comme l'a justement souligné la Cour des comptes dans un rapport paru en septembre, la politique fiscale française ne peut avoir un unique objectif de rendement. Elle doit tenir compte des enjeux des politiques sectorielles, et notamment en matière énergétique et climatique. Ainsi, les sources et vecteurs d'énergie bas carbone (électricité, biogaz…) devraient être moins taxés que les énergies fossiles. La récente proposition du gouvernement d'instaurer une taxe sur les billets d'avion va d'ailleurs en ce sens, alors que le secteur aérien constitue encore aujourd'hui une niche fiscale, très carbonée et servant principalement une frange plutôt aisée de la population.
De nombreuses autres niches fiscales fossiles, comme celle du GNR non agricole ou le transport routier de marchandise, doivent prendre fin. Repousser la taxation des énergies fossiles est par ailleurs une impasse : avec l'élargissement des marchés carbone au transport et au bâtiment en 2027, le prix des énergies fossiles va inévitablement augmenter et il vaut mieux l'anticiper. Cela permettra de commencer à déployer les alternatives et, le moment venu, de pouvoir ajuster les taxes nationales en fonction de l'impact de cet élargissement futur. Encore faut-il s'être créé cette marge de manœuvre…
Revenir automatiquement au niveau de taxation de l'électricité d'avant-crise, ou pire aller au-delà sans tenir compte des conséquences que cela aurait sur la décarbonation, la souveraineté et l'économie du pays, constituerait donc une grave erreur stratégique. Concilier l'enjeu de court terme de réponse au déficit avec l'enjeu de long terme de décarbonation et de rééquilibrage de la balance commerciale française devrait conduire le gouvernement à augmenter les taxes sur les combustibles fossiles et non pas sur l'électricité.