Budget 2026 : «En voulant taxer les touristes, on va surtout taxer les Français»

«C’est le concours Lépine de la taxation». Jean-Virgile Crance ne décolère pas. Le maire adjoint de la très touristique Saint-Malo et président de la Confédération des acteurs du tourisme (CAT), méga-syndicat qui représente 70.000 entreprises de l’hôtellerie-restauration ou du transport aérien, s’insurge contre une «surenchère» d’amendements visant son secteur sur les 3700 actuellement discutés dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) 2026. Dernier en date ? Une proposition déposée par LFI le 17 octobre et prévoyant une hausse à 33% de la TVA sur les «prestations dans les hôtels de luxe» - amendement adopté le 22 octobre, précise le site de l’Assemblée nationale.

«Encore faudrait-il savoir ce que l’on appelle luxe ! Si l’on considère qu’il s’agit des cinq-étoiles et palaces , on risque de voir les établissements renier leur cinquième étoile, voire sortir de ce système de notation pour éviter la taxe, alerte Jean-Virgile Crance. Or, on sait que ce classement  est un gage de qualité pour l’hôtellerie française. Les hôtels haut de gamme fonctionnent bien, en plus d’être la branche qui emploie, par établissement, le plus. Ne tuons pas la poule aux œufs d’or !», s’insurge l’édile.

Augmenter de 200% la taxe régionale en Bretagne ? Sur LinkedIn, le président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) Bretagne, a appelé au retrait immédiat d’un amendement «incompréhensible et dangereux». Umih Bretagne
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Et les hôtels de luxe ne sont pas les seuls à être touchés par ces projets de coupes budgétaires. La semaine passée, les professionnels bretons de l’hôtellerie se sont élevés d’une même voix contre une proposition visant dans le cadre du PLF à augmenter de 200% la taxe de séjour régionale, par le biais de la création d’une taxe additionnelle. Cette mesure devait permettre de compenser la suppression d’un impôt mobilité sur les entreprises. Sur LinkedIn, le président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) Bretagne, Anthony Rambaud, également gérant d’un restaurant malouin, appelait alors au retrait immédiat d’un amendement «incompréhensible et dangereux». La proposition a finalement été déclarée irrecevable par les députés.

Tant mieux pour Jean-Virgile Crance qui estime que «si la taxe de séjour augmente en parallèle, on va se retrouver, faute de coordination, avec une facture astronomique pour les voyageurs». Car ailleurs en France, la taxe de séjour, tout court, pourrait voir sa part additionnelle, régionale ou départementale (TAR ou TAD), augmenter. Divers amendements vont dans ce sens. «Nous sommes très attentifs à ce sujet», abonde Solange Escure, présidente du réseau Gîtes de France, qui fédère 55.000 gîtes, chambres d’hôtes et autres campings.

Urgence ou précipitation ?

Un autre amendement a fait grand bruit. Il prévoyait de s’attaquer aux «niches sociales» que sont les chèques vacances et autres tickets-restaurant en alourdissant la fiscalité patronale. Là aussi, les députés ont tué dans l’œuf cette proposition très impopulaire en votant contre à l’unanimité, dans la journée de lundi. Car tout l’enjeu est là : ces amendements en cascade - et en ordre dispersé - ont-ils une chance de passer le cap législatif avant le 3 novembre, date butoir des discussions dans l’hémicycle ? Jean-Virgile Crance se dit «très prudent». «Nous sommes dans une forme d’urgence, le budget devant être trouvé avant la fin de l’année faute de 49.3. Le risque, c’est que dans la précipitation législative, nos demandes passent à la trappe.»


  • «On met à mal un pilier de notre économie» 

Jean-Virgile Crance, président de la Confédération des Acteurs du tourisme (CAT)

«Quand on voit toutes ces propositions, la réaction du monde du tourisme est forcément très vive. L’économie touristique représente 8% du PIB et 2 millions d’emplois. Dans le contexte qui est le nôtre, c’est extrêmement important. Là on a l’impression que toute idée qui pourrait ramener quelques sous dans les caisses de l’État est bonne à prendre. Nous avions pourtant bien avancé avec la précédente ministre du Tourisme, Nathalie Delattre. Les professionnels veulent bien prendre en charge certaines responsabilités et par exemple, plancher sur une grande réforme de la taxe de séjour. Mais cela doit se faire de façon réfléchie, concertée. Et si on l’augmente, pour quoi faire ? On ne sait pas où on va, chacun travaille en silo et y va de sa mesure, sans appréciation de l’impact global. Au final, ce sont les consommateurs français qui vont en payer les conséquences. Quand on dit tourisme, on pense qu’on fait payer les étrangers. Grave erreur ! Rappelons que 70% de notre activité est fournie par les Français qui vont en France. En voulant taxer les touristes, on va taxer les Français.»

  • «Nous comptons sur le bon sens des députés pour que le territoire ne soit pas pénalisé»
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Solange Escure, présidente du réseau Gîtes de France 

«Nous sommes, nous les meublés de tourisme, touchés à deux égards, à la fois par l’augmentation potentielle de la taxe de séjour et aussi par ce qui concerne la fiscalité des locations meublées touristiques et les chambres d’hôtes. Sur la taxe de séjour, différents amendements ont été déposés pour augmenter la taxe additionnelle. Mais nous comptons sur le bon sens des députés et élus locaux pour que le territoire ne soit pas pénalisé. Quant à la fiscalité, des députés ont déposé un amendement pour que les chambres d’hôtes et gîtes ruraux soient exclus de la loi Le Meur qui visait avant tout les plateformes de locations type Airbnb. Il s’agirait de remettre en place l’abattement qui existait jusqu’ici et qui était de 71% pour les meublés classé. C’est une bonne nouvelle pour nous. Rappelons que ces logements permettent de contribuer à sauvegarder un territoire et un patrimoine bâti, en lieu et place de ce que faisait l’hôtellerie familiale, qui tend à disparaître. Avec cinq chambres maximum, on est plutôt sur un complément de revenu, donc nous espérons que ces propriétaires ne seront pas pénalisés. Il est important que ce tourisme rural perdure.»

  • «Nos entreprises du tourisme ont besoin de stabilité»

Leslie Rival, secrétaire générale de l’Alliance France Tourisme (AFT), groupe de réflexion qui rassemble de grandes entreprises françaises du secteur (Barrière, Accor, ADP, Pierre & Vacances, GL Events, Compagnie des Alpes…).

«Le tourisme est l’une de nos seules industries qui non seulement fonctionne, mais qui emploie, investit et structure nos territoires. Un plan ambitieux visant à atteindre les 100 milliards d’euros de recettes touristiques en 2030 avait été annoncé par le gouvernement Bayrou ; nous sommes aujourd’hui dans l’attente de précisions quant à sa poursuite et à sa mise en œuvre. Ce qui est certain, c’est que nos entreprises ont besoin de stabilité et de visibilité pour investir : notre secteur est à forte intensité capitalistique, en particulier dans l’hébergement et les loisirs. Or, le spectacle politique actuel n’est pas rassurant, et certaines propositions — telle une TVA à 33 % sur l’hôtellerie de luxe — relèvent de l’impossibilité juridique, compte tenu du cadre européen de la TVA, et alimentent l’incertitude plutôt qu’un débat sérieux. Cet amendement avait été adopté en commission, mais il a été écarté lorsque la commission des Finances a rejeté l’ensemble du texte. Nous ne pouvons qu’espérer que la séance publique conduira au même résultat. Pour autant, cette surenchère ne peut que renforcer l’inquiétude, alors même que nos entreprises prennent leur part : elles investissent, forment, recrutent, modernisent leurs infrastructures et élèvent la qualité de l’accueil. Elles souhaitent plus que jamais que leurs efforts s’inscrivent dans un cadre lisible et durable, garant de la confiance et de la compétitivité, et par conséquent de celle de la France.»