La dernière mode à gauche… c’est « la Dernière » Guillaume Meurice et ses acolytes sur Radio Nova
D’ordinaire, les dimanches soir sont déprimants… sauf pour les auditeurs de Radio Nova, qui chaque semaine retrouvent Guillaume Meurice et sa bande. Ni pour les spectateurs de l’Européen, à Paris, qui peuvent suivre l’émission en direct. « Vous danserez avec moi, hein ? Comme c’est Aymeric qui a choisi la musique… » Avant que les trois autres piliers de la Dernière n’apparaissent sur scène, au son d’une chanson choisie donc par Aymeric Lompret, « la fille de la bande », Juliette Arnaud, s’inquiète de bien recevoir. Premiers rires quand résonne l’introduction de Voici les clés, de Gérard Lenorman, sur lesquelles se dandine (presque tout) le quatuor. Nous voilà mis en condition pour deux heures de « grosse rigolade… mais pas que ».
Depuis septembre dernier, l’émission fait les beaux jours de la station Radio Nova. « Le jour où j’ai été viré (de France Inter – NDLR), Djamil Le Shlag me prévient : “Tu dois avoir un message de Pigasse qui te propose de rejoindre Nova”. » L’opportunité est trop belle, et Meurice embarque « tous ceux qui n’avaient plus de taf », Aymeric, GiedRé, Juliette et Pierre-Emmanuel Barré. « Les retrouver, c’est comme enfiler ton meilleur jean, celui qu’on a depuis le plus longtemps et dans lequel on se sent bien », assure Juliette Arnaud. « Il y a une interview d’Alexandre Astier qui dit qu’il lance des projets avec des gens avec qui il a envie d’aller bouffer. » En droit on appelle cela « reconstitution de ligue dissoute ». En « meuricien », on dit « Cheh ! »… en se tournant vers la Maison ronde.
Humour et connaissance
La Dernière doit son succès à l’accueil de Nova, mais aussi à la gestion lamentable de la liberté d’expression sur le service public. De cet épisode reste un traumatisme, exorcisé à coups de pied de l’âne par le « patron » et ses acolytes, Aymeric Lompret parti dans le même mouvement et Pierre-Emmanuel Barré, en 2017 après une chronique refusée sur l’entre-deux-tours de la présidentielle. Seule Juliette Arnaud ne fait « jamais de blague sur Inter. C’est ma manière à moi de gérer mon trauma, la politique de la terre brûlée. Ça n’existe plus. »
Comment un média privé, aussi « cool » soit-il, peut-il faire figure de terre promise pour cette « arche de Noé islamo-gauchiste » (dixit l’humoriste Mamari) ? « J’ai eu des problèmes avec France Inter et France télévisions…1 pas encore avec Nova », sourit Pierre-Emmanuel Barré. « La liberté d’expression, c’est comme l’amour, analyse Guillaume Meurice. Il n’y a pas d’amour, il y a des preuves d’amour. Pour l’instant, on est peinards. » Thomas VDB a même fait une chronique sur Pigasse épinglé par « le Canard enchaîné » pour ses notes de frais impayées à l’hôtel Costes ! « Au moins là, on ne nous dit pas “Gna gna gna, vous dilapidez l’argent des Français !” », plaisante Aymeric Lompret.
Les chroniques s’enchaînent, dans des styles différents mais avec pour point commun les éclats de rire. Le non-sens d’Aymeric, qui parfois « se perd dans ses personnages » en donnant l’illusion que rien n’est écrit ; Pierre-Emmanuel Barré, qui sous une misanthropie sans bornes cache une grande finesse humaniste ; Guillaume Meurice, qui brasse l’écume du bouillon médiatique. Les jeunes talents que la bande invite à chaque émission (Jean-Noël Mistral, Akim Omiri…) ajoutent à la partition : « Il faut rester attentif à ce qui se passe pour pas devenir des vieux cons entre nous », rigole Guillaume. Mais sans doute son succès tient tout autant à la variété qu’à un autre ingrédient essentiel.
Car dans la Dernière se côtoient l’humour et la connaissance. Dans cet ordre, ou l’un dans l’autre. « C’est de l’éducation populaire », assène Guillaume Meurice. Quand Juliette prend la parole après son « fameux jingle » à base d’extraits des Deschiens et de publicité Playmobil, on mesure ce que l’expression a de noble : pendant quatre minutes elle propose de dérouler « un fil de réflexion » avec des personnages et une histoire. « Avec la littérature (ou le cinéma, ou les séries), il y a moyen de comprendre les choses pour moins les subir… »
Mais la « clef de voûte » de l’émission, « c’est son invité », explique « le patron ». Historiens, docteurs en neurosciences, philosophe, physicienne méconnus du grand public, invités ou « invités de l’invité » se sont succédé au micro de la Dernière – avec une juste place accordée aux femmes. « On n’est spécialistes de rien. Les questions que je vais poser à un universitaire, ce sont celles de monsieur Tout-le-monde », assume Guillaume. Pire tabou journalistique : l’équipe n’hésite pas à dire « je n’ai pas compris ». Les invités sont « ravis d’expliquer, d’avoir le temps pour le faire ». Ainsi on peut apprendre des choses sur le cancer, et même « parler de manière politique, de la prévention publique, de la manière dont se sont mis en place des lobbys de l’état, de l’hôpital public »…
Un succès qui « tire tout le monde vers le haut »
À entendre ce discours, on comprend que l’émission soit devenue un petit phénomène de société à gauche, pour des auditeurs orphelins d’un espace de ce genre. Le quatuor ne renie pas cette filiation, allant même jusqu’à la laisser parler en pleine émission. « On voyait Malo (le réalisateur de l’émission – NDLR) brancher ses câbles tout l’après-midi, un mec extrêmement sympa, très compétent et qui était vraiment très peu payé. On s’est dit qu’il y avait un problème. » Et d’interpeller la direction en pleine émission, jusqu’à évoquer une grève. « On était en direct avec le sociologue Nicolas Framont, ça nous a chauffés », sourit Guillaume Meurice. Résultat, le « membre du collectif » (l’équipe fait régulièrement applaudir les techniciens) a été augmenté.
Ce n’est pas le seul, car le succès de la Dernière « tire tout le monde vers le haut », assure Thierry Paret, coanimateur de T’as vu l’heure ?, la matinale de Nova, et représentant SNJ-CGT au comité social d’entreprise. Sur la tranche du dimanche soir, on compte « 301 000 auditeurs » selon Médiamétrie, « + 246 % sur un an », précise Frédéric Antelme, le directeur délégué de la radio. La chaîne figure même parmi les 20 radios numériques les plus écoutées de France, avec la plus forte progression (+ 48 % en janvier) : « 776 000 auditeurs quotidiens », continue Antelme. Sans compter les téléchargements de podcasts (2e place pour la Dernière en janvier, première pour la radio tous programmes confondus).
« Quand on a vu les audiences, les salariés sont très vite montés au créneau », lance Thierry Paret. La direction a attendu plusieurs vagues de chiffres, et finalement n’a « plus eu le choix » : les augmentations étaient attendues avec les paies de février. « Après des vagues de licenciements depuis plusieurs années, ça reste fragile », assure le journaliste syndicaliste. Mais si l’arrivée de nouvelles émissions à l’antenne, comme la Dernière ou celle de Charline Roux, le Score, marque une évolution dans l’identité de la radio, « il faudra embaucher des gens ». Peut-être en s’appuyant sur de nouvelles rentrées publicitaires générées par les bonnes audiences, mais dont les montants n’ont pour l’instant pas été transmis.
La Dernière, Radio Nova, tous les dimanches de 18 heures à 20 heures.
- Sur France 5 pour une chronique refusée sur Brigitte Macron en janvier 2023, après celle sur Hanouna la semaine précédente qui a fait polémique. ↩︎
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