Jean-Noël Barrot à Alger : derrière la reprise du dialogue, l’obligation de résultat
Une journée pour évoquer une longue liste de dossiers sur lesquels Emmanuel Macron «veut aller vite» et «obtenir des résultats» : voilà l’ambitieuse mission de Jean-Noël Barrot, en escale à Alger dimanche 6 avril, d’où il repartira le soir-même pour rejoindre le président français au Caire.
Après huit mois de crise sans précédent, de notes verbales restées sans réponses, de messages jetés comme des bouteilles à la mer, d’envoyés officiels et d’intermédiaires officieux mobilisés pour garder «une main tendue» (selon l’expression de l’Elysée), de colères maîtrisées et de fierté ravalée, de menaces de «riposte graduée» (selon les mots de Bruno Retailleau) et de «rupture diplomatique», Alger a rouvert la porte.
Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron, entre les mains desquels repose toute la relation bilatérale, ont eu lundi par téléphone «un long échange franc et amical» selon un communiqué conjoint, pour évoquer «les tensions qui se sont accumulées» depuis la décision du chef de l’État français, en juillet 2024, de soutenir le plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental.
C’est maintenant au tour des ministres des Affaires étrangères de prendre le relais pour travailler sur la feuille de route de sortie de crise, document de base pour Alger et Paris listant tous les sujets qui fâchent.
Dossiers cruciaux
À commencer par le dossier migratoire. L’attaque au couteau par un Algérien sous OQTF, en février à Mulhouse, avait conduit le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau à mettre la pression sur l’Algérie pour qu’elle reprenne ses ressortissants en situation irrégulière sur le sol français. Un bras de fer s’était alors engagé aboutissant finalement à un rejet par Alger d’une liste d’une soixantaine de personnes expulsables. Selon les informations recueillies par Le Figaro, cette liste ne serait plus d’actualité, l’objectif pour Paris étant plutôt de mettre en place une procédure pour qu’Alger reprenne ses ressortissants présents illégalement en France, et dont les réadmissions ont encore chuté ces dernières semaines.
Pour cela, il faudra rapidement défaire plusieurs nœuds. Le premier : alors qu’Alger refuse de reprendre les ressortissants munis d’une pièce d’identité prouvant leur nationalité, les conditions de ces réadmissions, fixées par le protocole de 1994, doivent être discutées. Le second : la délivrance des laissez-passer consulaires, ces documents exigés par les Algériens pour reprendre leurs ressortissants, doivent être débloqués dans les villes – Nice, Marseille, Lyon et Montpellier – où les consulats d’Algérie ont rompu leurs relations avec les préfectures. Bruno Retailleau a annoncé une réunion la semaine prochaine entre préfets et consuls algériens.
Autre dossier majeur, la coopération sécuritaire. La coopération entre les renseignements extérieurs a bien repris, surtout depuis la visite à Alger de Nicolas Lerner, patron de la DGSE, en janvier. Entre états-majors des armées et DGSI, en revanche, les échanges doivent être réanimés.
Chapitre économique
La feuille de route comprend également un chapitre économique. Paris attend d’Alger un déblocage sur les dossiers où les entraves sont les plus claires. En particulier pour l’usine Renault (voitures) et l’usine Volvo Group-Renault Trucks (camions) qui ont, toutes les deux, reçu le 12 mars une notification défavorable du comité technique attaché au ministère de l’Industrie pour reprendre leur activité production. Paris attend aussi des autorités algériennes qu’elles envoient un signal fort à leur administration pour débloquer les autorisations nécessaires aux importations françaises.
De son côté, la France s’est déjà engagée à soutenir l’Algérie dans la renégociation des accords d’association avec l’Union européenne et à appuyer la relance des relations entre communautés d’affaires. Kamel Moula, le président du CREA, syndicat patronal le plus proche du pouvoir, a été invité par le Medef pour une visite à Paris.
Autre secteur à avoir besoin d’une relance, la coopération judiciaire, qui couvre de la formation de magistrats algériens à l’entraide judiciaire en passant par les échanges sur les dossiers sensibles. Un cas illustre combien l’absence de communication peut être à l’origine de malentendus : l’ex-ministre algérien, Abdeslam Bouchouareb, installé en France depuis 2019. Alors que la justice française a refusé de l’extrader, les Affaires étrangères ont dénoncé «des tergiversations et des atermoiements injustifiés et inexplicables de la partie française».
Tensions récurrentes
Enfin, et c’est le sujet où les avancées se verront sans doute le plus vite: la mémoire. La commission mixte des historiens doit reprendre son travail et, avant l’été 2025, remettre ses recommandations aux deux chefs d’État. En parallèle, Paris compte aussi relancer tout le dialogue politique sur les questions internationales : le Sahara occidental, le Sahel, Gaza…
Le journaliste algérien Otmane Lahiani estime que «les sources de désaccords et de tensions récurrentes entre l’Algérie et la France sont bien plus nombreuses et plus puissantes que les facteurs qui pourraient permettre d’établir de bonnes relations». Certes, il imagine rapidement l’envoi d’un nouvel ambassadeur algérien en France, la reprise de la coordination dans les domaines d’intérêt commun, et un retour au cadre habituel qui régit les relations bilatérales sur la base des ententes en place. «Il existe un accord pour revenir à une forme de routine diplomatique, reconnaît-il, mais elle est limitée à la reprise du niveau de communication politique tel qu’il existait avant juillet 2022 – rien de plus.»
Dimanche, Paris et Alger se retrouveront face à face pour un exercice auquel ils sont rodés : une réconciliation autour de sujets imposés. Avec toujours le même risque, celui de voir la relation bilatérale retomber dans l’inertie une fois les déclarations d’intention passées. Du côté français, on en est bien conscient. «C’est pour ça que cette fois, on va insister sur les échéances», souffle-t-on en espérant que d’ici aux premiers résultats, aucun Algérien sous OQTF ne fasse s’effondrer la fragile reconstruction bilatérale.