À Nantes, le monde du stand-up à la conquête du Grand Ouest
Ce soir-là, l’antre du handball à Nantes a troqué l’art des roucoulettes pour celui des balivernes. La proposition a plu. Pas moins de 6000 curieux se sont amassés aux abords du palais des sports de Beaulieu - H Arena, le 7 février dernier, s’enroulant en double file indienne devant le stade couvert du centre-ville. Quelques semaines plus tôt, seules 4500 personnes étaient attendues - mais c’était sans compter sur l’engouement particulier suscité par le spectacle et sa promesse : une soirée de stand-up taille XXL, animée par une quinzaine d’humoristes, soit le plus grand plateau de ce genre jamais organisé dans l’Ouest.
Dans la foule, attirée par cette grande première, un attirail hétéroclite de jeunesse enthousiaste et de curieux plus âgés. Des couples en goguette et des bandes hilares. Des ados et des actifs de tout âge. Quatre têtes argentées se distinguent dans la marée humaine. Ce sont deux couples de vieux amis. «Je ne connais aucune des personnes à l’affiche, mais cela nous faisait plaisir d’aller voir ce spectacle ensemble !», explique Christophe, 81 ans, le regard facétieux. Avec son épouse, Claude, et leurs «bons camarades de toujours», le groupe a pris l’habitude de se retrouver au théâtre Graslin de Nantes, au cinéma, ou autour d’un dîner. «Les humoristes, on en voit surtout à la télé, donc cela nous intéressait aussi de voir ce que cela donne en public», ajoute-t-il, en confessant révérer Pierre Desproges. Même goût de la variation chez Pierre et Clémence, deux trentenaires très amoureux, mais bien incapables de citer le moindre intervenant. «Ça change de juste regarder des séries. Et puis on était allé les voir au Micro Comedy Club et c’était très chouette», témoignent-ils.
Une «bande de potes» à l’assaut de Nantes
Le nom est lâché. La genèse de la soirée baptisée «Micro Arena 360°» est à trouver du côté du Micro Comedy Club de Nantes et de ses deux fondateurs, Yoan Bertetto et Maxime Stockner. Le duo faisait depuis 2017 la tournée des bars et les cafés nantais pour organiser des plateaux de stand-up. Cette pratique de l’humour livré dans un «seul en scène» intimiste, hérité de l’univers du cabaret, connaît un regain d’intérêt en France, suivant le renouveau insufflé dans les années 2000 par Jamel Debouzze et Gad Elmaleh, puis l’arrivée d’une nouvelle génération d’artistes. En 2021, Yoan Bertetto et Maxime Stockner s’installent avec «une bande de potes» au centre de Nantes, sur les quais de la Fosse, et ouvrent leur Micro Comedy Club, fruit d’une volonté d’offrir un point d’ancrage hors de Paris, destiné aux nouvelles pousses du stand-up. La scène, associée à un bar, a été l’un des premiers comedy club ouvert en province, avec le Garage, à Marseille. Et depuis quatre ans, le succès de l’adresse ne se dément pas, avec des soirées qui s’enchaînent régulièrement à guichets fermés dans le théâtre de l’humour, aménagé en cabinet des curiosités et doté de 50 places.
Avant, le schéma classique d’un humoriste en voie de professionnalisation passait forcément par du stand-up dans la capitale. Mais il se trouve qu’on aime Nantes, son cadre de vie… et qu’on ne voulait plus aller s’embêter à Paris !
Yoan Bertetto
Victime de son succès, le Micro Comedy Club s’est vite avéré trop «micro» pour satisfaire toutes les ambitions de la troupe nantaise et éviter les frustrations de son public, alors que - signe d’un bon bouche à oreille - plus de 80% des spectateurs du lieu avouent venir pour la première fois. Dès 2022, des soirées-événements devant 300 à 400 personnes ont également été organisées au Warehouse, le plus gros club de Nantes. Un second bar a également vu le jour en octobre dernier dans la banlieue de la cité des ducs, à Saint-Sébastien-sur-Loire, avec une capacité d’une centaine de personnes. Chemin faisant, la piste d’un spectacle majeur à la H Arena est devenue réalité.
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«On ne s’attendait pas un tel engouement. C’est d’autant plus fort que nous avons gardé le désir de nos débuts, avec la volonté de jouer tous les soirs et de faire tourner le plus de monde possible, en laissant la place aux artistes qui débutent», témoigne Yoan Bertetto, la tête sur les épaules. «Avant, le schéma classique d’un humoriste en voie de professionnalisation passait forcément par du stand-up dans la capitale. Mais il se trouve qu’on aime Nantes, son cadre de vie… et qu’on ne voulait plus aller s’embêter à Paris !». Le groupe d’amis n’entend pas en rester là et prépare d’ores et déjà son prochain rendez-vous d’envergure, avec une nouvelle soirée stand-up géante… sous un chapiteau. Attendu pour le 22 mai dans le cadre du festival Euphoria, ce nouveau spectacle devrait rassembler entre 1400 et 2000 personnes.
Sexe, caca et nazis
Difficile, pourtant, de garder les pieds sur terre au milieu d’un terrain de handball reconverti en plateau de stand-up. Évaporée par les dimensions du lieu, l’atmosphère feutrée des bars nantais a laissé place à un spectacle tous azimuts, et à la bonne humeur livrée aux quatre vents. Pour garder intacte l’esprit pionnier des organisateurs, la soirée s’est articulée autour des «seuls en scène» d’humoristes de plein vol - Swann Périssé, Mathieu Madénian, William Pilet, Camille Lellouche, etc. - en amont et en aval d’une tranche plus dynamique réservée aux artistes nantais. Et le public était au rendez-vous. Le visage fermé et le sourcil bas des réfractaires, contraints d’accompagner leur belle ou leur beau, se sont illuminés au fil des heures, au rythme des rires francs, des larmes outrées, des gondoleries grasses. Sans oublier les blagues sur les Parisiens, chaudement applaudies. Les plus convaincus, nombre de jeunes étudiants, ont laissé échapper des exclamations colorées en voyant débarquer tel ou tel humoriste, découverts, «likés» et partagés sur les réseaux sociaux. «Ça tournait quand même beaucoup autour du sexe, du caca et des nazis», remarque, songeur, un adolescent à la fin de la soirée. «Des blagues qu’on aime, quoi !», lui rétorque son copain, une grande claque dans le dos.