Laurent Lafitte : «Cannes vous rappelle qu’il y a toujours plus puissant que vous»

Douze ans de Comédie Française ont - en grande partie - vacciné Laurent Lafitte contre le trac. Un atout pour l’acteur qui a accepté d’être sur la scène du Grand Théâtre Lumière, les 13 et 24 mai *, pour ouvrir et clôturer le 78e Festival de Cannes devant un parterre de 2 300 personnes. Neuf ans après s’être prêté à l’exercice, l’acteur reprend du service pour l’amour du cinéma et du bon mot. Humour et élégance seront les priorités de son discours concocté avec l’aide de Fanny Herrero, la showrunneuse de Dix pour cent, du réalisateur et scénariste Thomas Bidegain et du chroniqueur Yann Marguet. Mais Laurent Lafitte sera aussi sur la croisette pour accompagner deux films : La Femme la plus riche du monde, de Thierry Klifa, librement inspirée de l’affaire Liliane Bettencourt (l’ancienne patronne de L’Oréal, disparue en 2017) et sélectionnée hors compétition, et Classe moyenne, comédie d’Antony Cordier avec Ramzy Bedia, Laure Calamy et Élodie Bouchez, projetée à la Quinzaine des cinéastes.

Une fois le rideau cannois baissé, le comédien voguera vers d’autres horizons. À peine sorti du tournage de la prochaine comédie de Jérôme Commandeur, il boucle l’écriture de son second film – après L’Origine du monde, sélectionné à Cannes en 2020. Il poursuit par ailleurs son apprentissage du chant pour préparer le rôle de Zaza dans La Cage aux folles, adaptation française de la comédie musicale version Broadway 1983 d’après la pièce de Jean Poiret. De quoi, peut-être, envisager d’entonner un air lors de l’ouverture du Festival ? Réponse le 13 mai.

Madame Figaro . – Vous avez été maître des cérémonies cannoises en 2016. Avez-vous hésité avant de réitérer ?
Laurent Lafitte. – Oui, car l’expérience a été contrastée. Cette année-là, j’avais pour la première fois un film en compétition, Elle, de Paul Verhoeven. C’était un baptême puissant, galvanisant, mais également angoissant. J’hésitais d’autant plus à recommencer que je n’avais plus très envie de présenter des cérémonies : d’une certaine manière, l’exercice vous place non pas en acteur du milieu, mais en commentateur. Cependant, l’époque et le contexte actuels me permettent de renouveler l’exercice. Il y a de quoi faire quelque chose de drôle, et pas seulement. Le Festival de Cannes dépasse le simple cadre du cinéma depuis sa création, en 1939, période où l’ordre mondial était bousculé. Sans devenir pontifiant ou donneur de leçons, il ne faut pas négliger le retentissement qu’un tel événement peut avoir alors que nous sommes à nouveau confrontés à des idéologies nauséabondes.

Depuis votre première cérémonie, le milieu du cinéma a énormément évolué…
En effet. En 2016, donc avant MeToo, j’avais osé une vanne sur Woody Allen qui était mal passée (où il remerciait le réalisateur de tourner en Europe, sans même avoir été condamné pour viol aux États-Unis, NDLR). Blake Lively et Kristen Stewart, ses actrices dans Cafe Society, avaient été scandalisées. Je n’étais ni un lanceur d’alerte ni le petit malin qui avait mieux compris que les autres les défaillances du système, mais je pensais simplement qu’on pouvait faire de l’humour. Beaucoup me sont tombés dessus au point que j’ai tweeté : « Désolé si j’ai blessé quelqu’un.» À l’époque, dans cet endroit d’entertainment, la parole devait aussi être lissée. Aujourd’hui, au regard des récents mouvements féministes qui ont secoué le cinéma et la société, cette vanne passerait sans doute plus facilement.

La parole peut-elle être totalement libre à l’ère des réseaux ?
Non. Si je suis sur un plateau télé, ou en interview, je ne peux pas imposer la même parole que celle dont je dispose avec des amis qui connaissent ma vie, ma personnalité, mes convictions, mon humour. On sait que tout peut être sorti de son contexte, amplifié, caricaturé… Ça tend la parole. Mais dans ce périmètre, j’essaie pourtant de rester vrai.

Laurent Lafitte aux côtés d’Élodie Bouchez pour Classe moyenne. Copyright Tandem

Quel soin accordez-vous à votre tenue pour ces cérémonies ?
Il y a un protocole à respecter : le costume, le nœud papillon… Ce qui m’importe, c’est d’avoir une image cohérente, qui me ressemble. Je ne suis pas quelqu’un de spécialement rock. J’aime les élégances classiques, intemporelles.

Un souvenir de votre première montée des marches ?
C’était pour le film d’animation Le Petit Prince, dans lequel je faisais une voix. Je me souviens des photographes qui hurlaient aux actrices de remonter légèrement leur robe ou de poser sous tous les angles pour qu’on voie leurs chaussures ou leurs bijoux. Les marchands étaient rentrés dans le temple. Ça avait un peu désacralisé le moment.

Une rencontre marquante à Cannes ?
J’ai dîné face à George Lucas, qui a bercé mon enfance avec Star Wars. Ses films m’ont donné envie de faire ce métier. J’étais hyper impressionné, je n’étais capable que de small talk. Je me souviens aussi avoir rencontré rapidement Jodie Foster, dont je suis un fan absolu. J’ai hâte de voir Vie privée, le film qu’elle a tourné avec Rebecca Zlotowski.

Laurent Lafitte retrouve Isabelle Huppert dans La Femme la plus riche du monde. Copyright Haut et Court

Cannes a lancé la carrière du Comte de Monte-Cristo l’an dernier. Quels souvenirs en gardez-vous ?
Les projections à Cannes sont uniques : elles provoquent des émotions très puissantes. À celle du Comte de Monte-Cristo, nous avions ressenti une adhésion immédiate. Cette sélection a été un tremplin, le début d’un incroyable alignement de planètes que l’on connaît rarement dans une carrière.

Un mot sur La Femme la plus riche du monde, de Thierry Klifa, un film sur l’affaire Bettencourt présenté hors compétition à Cannes. Vous y jouez François-Marie Banier ?
Mon personnage ne porte pas ce nom, mais libre à vous d’y voir des personnages ayant existé. Ce serait purement fortuit… Mais disons que j’avais quelques sources d’inspiration possibles ! (Rires.) Je connais très bien l’affaire Bettencourt, que j’ai beaucoup suivie, et j’ai adoré jouer ce personnage très théâtral, un peu over the top, comme Bernard Tapie (qu’il incarnait dans la série Netflix, NDLR). Sans compter le plaisir de retrouver Isabelle Huppert après Elle, de Paul Verhoeven.

Une rencontre que vous espérez faire sur la croisette ?
Aucune. Quand je rencontre une personne que j’admire, je me sens stupide, j’ai l’impression que je ne trouverai jamais les mots à la hauteur du respect que je lui porte.

Un petit bémol cannois pour conclure ?
Il y a toujours un moment où vous êtes humilié. Cannes vous rappelle qu’il y a toujours plus puissant, plus intelligent, plus reconnu que vous. Vous pouvez aussi triompher avec un film une année et vous prendre un mur l’année suivante. C’est comme à l’opéra, où le public, très impliqué, acclame ou hue avec la même intensité. C’est quitte ou double, et c’est aussi ça qui est excitant.

* Le 13 mai, à 18 h 50, et le 24 mai, en direct sur France 2.