Droits de douane : "Le grand gagnant de cet accord, c'est Donald Trump, nous sommes dans une relation de quasi-soumission aux États-Unis", juge Louis-Samuel Pilcer, haut fonctionnaire

À l'issue d'une réunion en Écosse entre la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et Donald Trump, président des États-Unis, dimanche 27 juillet, Bruxelles et Washington ont conclu un accord sur les droits de douane, augmentés à 15% en Europe, contre 10% jusqu'à présent. Un chiffre éloigné des 30% que menaçait d'appliquer le chef d'État américain aux produits européens importés outre-Atlantique. Pour en parler, le haut fonctionnaire Louis-Samuel Pilcer, maître de conférences à Sciences Po et auteur du livre Souveraineté économique : analyse et stratégies, répond aux questions de Leïla Salhi, sur le plateau de "La Matinale", lundi 28 juillet.

Ce texte correspond à la retranscription d'une partie de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.

Leïla Salhi : Donald Trump et Ursula von der Leyen se sont tous les deux montrés très satisfaits. Bien sûr, c'est de la diplomatie, mais qui est le grand gagnant de cette histoire ?

Louis-Samuel Pilcer : Le grand gagnant incontestable, c'est Donald Trump. Cet accord, il est extrêmement déséquilibré. On a 15 % de droits de douane d'un côté, des engagements par ailleurs extrêmement forts de la Commission européenne sur des investissements européens aux États-Unis, sur également l'achat de gaz de schiste, de GNL, qui sera importé par l'Union européenne dans des quantités extrêmement importantes : on parle de 750 milliards d'euros d'achats de gaz naturel aux États-Unis, et en contrepartie, rien. Juste quelques exemptions sectorielles, mais qui étaient par ailleurs demandées par les États-Unis. Je pense notamment à l'aéronautique sur laquelle Boeing était extrêmement inquiet des taxes qui pourraient être appliquées à ses achats de composants fabriqués en Europe, donc quelques concessions qui permettent aux Allemands notamment d'éviter d'avoir des taxes très importantes sur leurs exportations automobiles aux États-Unis. Mais, in fine, aucune victoire pour la Commission. C'est une capitulation dans les règles. On n'a que des concessions réalisées par la Commission à Donald Trump. On passe de 20 % dans les menaces qu'avait formulées Donald Trump en début d'année, à 15 %. Est-ce que c'est une victoire ? Objectivement, je ne pense pas pour la Commission.

"La méthode qui est appliquée par Trump fonctionne avec l'Europe"

Donald Trump avait tout de même fait monter les enchères, avec ces droits de douane, menaçant de 30 %, de 80 %. Est-ce que finalement, à la fin, c'est la victoire de la méthode Trump, à savoir 'business first' ? Est-ce qu'il a gagné ce bras de fer ? Est-ce que ça fonctionne ?

Incontestablement. Et d'ailleurs, ce qu'on peut voir également, c'est que la méthode qui est appliquée par Trump fonctionne avec l'Europe, parce que nous sommes dans une relation de quasi-soumission, aujourd'hui, aux États-Unis. Par contre, elle ne fonctionne pas du tout avec la Chine. Quand on rentre en bras de fer avec Donald Trump, Trump respecte la force. Trump, en revanche, quand il voit une Ursula von der Leyen prête à accepter n'importe quoi pour éviter d'avoir 30 %, 40 % de droits de douane, et pour obtenir quelques exemptions sectorielles minimes, là, il n'hésite pas à nous marcher dessus.

Pourquoi finalement cette différence ?

Je pense que la faiblesse principale de l'Union européenne, c'est sa division. C'est-à-dire qu'on a des États membres qui ont des intérêts extrêmement opposés. D'ailleurs, on l'a vu, les deux pays les plus investis dans les négociations et qui se réjouissent de l'accord, ce sont l'Allemagne et l'Italie. L'Allemagne, qui exporte énormément aux États-Unis : on parle de plus de 80 milliards d'euros par an. Et l'Italie, qui exporte environ 40 milliards d'euros par an. Nous avons aussi l'Irlande, qui est un grand exportateur. Mais derrière, la France, par exemple, réalise un déficit commercial avec Washington. Donc nous avons d'un côté des États membres qui perdent au commerce transatlantique et de l'autre, des États membres dont le modèle économique même repose sur les exportations aux États-Unis. Et donc l'Italie et l'Allemagne sont extrêmement investies pour obtenir un accord, quitte à accepter des engagements extrêmement indécents de l'Union européenne. En revanche, la France et d'autres pays européens, je pense, ne sont pas satisfaits de cet accord. Nous pensons notamment au niveau français, au Conseil national d'Industrie, qui a adopté un avis appelant à une position ferme. Cet avis, visiblement, n'a pas été entendu, et je pense que la France n'a pas réussi à peser sur les positions qui ont été tenues par Bruxelles.

Un accord "totalement incompatible avec nos engagements climatiques"

Aude Soufi-Burridge : C'est pour ça qu'Emmanuel Macron, lui, militait pour de la fermeté jusqu'au dernier moment. D'ailleurs, encore ce matin, le ministre chargé de l'Europe, Benjamin Haddad, dit que c'est un accord déséquilibré, comme vous. Mais finalement, c'est un peu facile, justement, quand on est la France et qu'on a peu à perdre, de prôner la fermeté, l'inflexibilité, et beaucoup moins quand on est l'Allemagne et qu'on sait que le risque est plus important ?

Louis-Samuel Pilcer : Mais la France a quand même beaucoup à perdre dans cet accord, notamment selon les estimations qui sont réalisées par l'institut, le think tank européen, Bruegel. La France est un des pays qui perd le plus dans cet accord déséquilibré. Ensuite, c'est vrai que l'Allemagne a énormément en jeu dans cette négociation, mais la position consistant à sacrifier l'industrie française pour offrir un répit à l'Allemagne sur ses exportations aux États-Unis, je pense que ce n'est pas une position tenable et ce n'est pas une position pérenne pour l'Union européenne. Enfin, par ailleurs, cet accord, au-delà des intérêts des États membres, est également assez inacceptable sur le plan de ce qu'il comprend comme engagements incompatibles avec nos engagements climatiques, notamment sur l'achat de GNL. J'ai fait le calcul avant d'arriver ce matin : 750 milliards d'euros d'achats de viandes importées depuis les États-Unis, c'est à peu près 40 fois ce que la France importe en viandes américaines en une année. C'est totalement incompatible avec nos engagements climatiques. Nous sommes incapables de tenir notre trajectoire de décarbonation tout en achetant tout ce gaz naturel aux États-Unis.

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