INTERVIEW. "Un nouveau partenaire à un an des Jeux, un défi inédit", avoue Guillaume Cizeron, sorti de sa retraite pour viser les JO 2026 avec Laurence Fournier
Il n'était pas totalement prêt à raccrocher ses patins. Le 3 décembre dernier, Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron annonçaient "mettre un terme à leur carrière et prendre des chemins séparés". Si la Française s'est lancée dans un nouveau projet loin de la compétition, Guillaume Cizeron a, lui, décidé d'y retourner, accompagné de sa très proche amie et partenaire d'entraînement depuis plus de dix ans, la Canadienne Laurence Fournier.
Ce nouveau binôme, qui tentera de représenter la France aux Jeux olympiques de Milan-Cortina en 2026, continue de s'entraîner à Montréal, aux côtés d'une équipe inchangée composée de Romain Haguenauer, Marie-France Dubreuil et Patrice Lauzon. Les deux patineurs racontent, dans un entretien croisé à franceinfo: sport, les dessous de ce nouveau chapitre.
Comment l'idée d'une association vous est-elle venue ?
Guillaume Cizeron : Nous nous sommes retrouvés à un moment où, tous les deux, nous avions des réflexions similaires sur notre avenir et où on envisageait même la fin de notre carrière sportive. On s'est alors dit : "Pourquoi ne pas envisager un nouveau chapitre ensemble ?". C'est moi qui ai amené l'idée à Laurence lors d'un dîner. Je l'avais en tête depuis quelques semaines déjà. Cela semblait être un projet un peu fou, en tout cas assez inédit.
Laurence Fournier : Oui nous étions tous les deux en réflexion de notre côté. Et puis, nos étoiles se sont alignées. J'étais très flattée, surprise aussi, mais l'idée de reprendre la compétition ensemble m'a beaucoup plu.
Avez-vous tout de suite accepté ?
G.C. : Non, elle a pris un petit temps de réflexion (rires).
L.F. : (rire) Je lui ai dit : "Ecoute Guillaume, j'ai juste besoin d'un petit moment parce que je suis en grosse réflexion dans ma vie." J'avais besoin de réfléchir à cette idée un peu folle, mais qui était aussi un très beau challenge. On a décidé de se lancer à 100 % dans le projet courant décembre et on a repris l'entraînement mi-janvier.
G.C. : C'était important pour nous aussi de savoir qu'on allait avoir le soutien de la Fédération [française des sports de glace], de l'Agence nationale du sport (ANS), de nos coachs, de nos parents. On voulait tâter le terrain à tous les niveaux pour voir si on allait nous suivre dans l'aventure. Et jusqu'à maintenant, tout le monde a vraiment répondu présent.
Guillaume, vous avez fait une pause après votre titre aux Jeux de Pékin en 2022. À quel moment avez-vous ressenti le besoin de revenir à la compétition ?
G.C. : Depuis ma dernière compétition en 2022, je suis passé par plein d'étapes différentes. Assez naturellement, je ne m'attendais vraiment pas à être dans la situation dans laquelle je suis maintenant, au début de ce nouveau chapitre.
"J'avais le sentiment de chercher quelque chose. J'aurais été prêt à prendre ma retraite sportive."
Guillaume Cizeron, champion olympique en titre en danse sur glaceà franceinfo: sport
Mais d'être passé, au cours des derniers mois, complètement du côté entraîneur et chorégraphe [avec le tandem vice-champion d'Europe à Tallinn début février Evgeniia Lopareva et Geoffrey Brissaud] m'a donné l'impression de ne pas être du bon côté de la barrière.
Observer d'autres athlètes vivre leur carrière sportive aux Jeux de Paris 2024, voir la longévité de certains d'entre eux, m'a beaucoup inspiré. Cela m'a fait comprendre que ce n'était pas une nécessité de m'arrêter tout de suite, et que c'était possible d'envisager une carrière un peu plus longue que celle que j'ai déjà eu la chance d'avoir.
Cette décision est donc assez récente finalement ?
G.C. : Oui, je dirais qu'elle a mis du temps à mûrir, et je pense que les circonstances n'étaient pas réunies auparavant pour que je prenne cette décision. Les choses se sont vraiment accélérées courant novembre, après l'annonce de notre retraite [avec Gabriella Papakadis, le 3 décembre 2024].
Et j'ai vu, dans la situation dans laquelle se trouvait Laurence [elle s'est séparée de son binôme Nikolaj Sorensen, qui a été suspendu indéfiniment, en octobre dernier, pour "maltraitance sexuelle"], une porte qui n'existait pas avant. Je ne serais pas revenu à la compétition avec quelqu'un d'autre. C'est vraiment ce projet-là qui m'a inspiré.
Guillaume, vous avez patiné pendant une vingtaine d'années avec Gabriella Papadakis. De quelle manière parvient-on à changer de binôme après autant d'années avec la même partenaire ? Doit-on repartir de zéro ?
G.C. : En tant qu'athlète et danseur, on se développe personnellement au fil des années, mais aussi à deux. Il y a des réflexes qui sont là, quel que soit le partenaire avec qui on danse, et on en développe des nouveaux. Pour ce qui est de Laurence et moi, nous avons beaucoup de similarités et points en commun dans notre manière de patiner.
"Nous sommes à des niveaux d'excellence qui nous permettent de nous adapter extrêmement rapidement."
Guillaume Cizeron, quintuple champion du monde en danse sur glaceà franceinfo: sport
L.F. : Je comparerais un partenariat en danse avec l'apprentissage de certains langages. C'est un moyen de communication corporelle. Au cours de notre carrière, avec nos partenaires respectifs, on a développé ce langage et cette communication. C'est un nouvel échange ensemble, mais c'est une adaptation qui se fait très bien et très facilement.
Le public français vous a toujours vu aux côtés de Gabriella Papadakis, en symbiose sur la glace. Cette symbiose justement, c'est quelque chose qui prend du temps à construire ?
G.C. : L'expérience a beaucoup d'importance dans la performance sportive. Notre but est de construire le plus d'expérience ensemble pour être le plus compétitif possible. Nous avons une grande connexion, une certaine intimité en dehors de la glace et je pense que l'on va être capable de retranscrire cela aussi sur glace. On s'est choisi justement parce qu'on avait cet instinct qu'on allait pouvoir développer facilement une osmose. On va développer un monde qui nous est propre.
L.F. : On unit nos forces pour développer quelque chose de nouveau et je crois que cela va amener un peu de nouveauté aussi, que ce soit pour nous ou pour le public.
Guillaume, vous avez toujours voulu dépoussiérer les codes du patinage avec Gabriella. Allez-vous garder cette même ligne directrice ?
G.C. : Ce qui nous intéresse tout particulièrement dans ce défi, c'est de réaliser quelque chose d'assez inédit en termes de challenge sportif. Avec nos forces respectives, on va être capable d'aller chercher des innovations pour se renouveler, se redécouvrir individuellement, mais aussi en tant qu'équipe et en tant que couple.
"Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de champions olympiques en titre qui se sont présentés à un an des Jeux avec un nouveau partenaire."
Guillaume Cizeron, champion olympique en titre de danse sur glaceà franceinfo: sport
L.F. : Oui, former un nouveau partenariat à moins de douze mois des Jeux c'est très ambitieux et inédit. La combinaison de tous les facteurs fait que le projet est très particulier.
Laurence, vous avez déjà concouru pour le Danemark et le Canada. Qu'est-ce que cela signifie pour vous de représenter à présent la France ?
L.F. : J'ai eu la chance de concourir pour la nation de mon partenaire au tout début de ma carrière. J'ai eu la chance de représenter le pays dans lequel je suis née aux Jeux olympiques.
"J'ai aujourd'hui l'opportunité de représenter les couleurs de la France, un pays que je considère comme ma deuxième famille, puisque j'ai des proches qui y résident."
Laurence Fournier, patineuse canadienne, 9e aux JO 2022à franceinfo: sport
Mon grand-père habite en France depuis plus de dix ans, mon meilleur ami et mon entraîneur sont Français. J'ai beaucoup de liens avec la France. Je me sens très reconnaissante d'avoir cette opportunité pour permettre au pays de briller.
Guillaume, vous êtes le chorégraphe du tandem français Evgeniia Lopareva et Geoffrey Brissaud. Pour obtenir votre qualification aux JO de 2026, vous allez notamment être en concurrence avec eux. Allez-vous, malgré tout, continuer cette collaboration ?
G.C. : On a collaboré ensemble deux années d'affilée. Je ne suis pas leur chorégraphe attitré, ils ont la liberté de travailler avec qui ils le souhaitent. De mon côté, peu importe le rôle que j'endosse, que ce soit celui de chorégraphe, d'entraîneur, de camarade ou de compétiteur, j'ai beaucoup d'admiration et de respect pour eux.
J'ai toujours pris beaucoup de plaisir à les entraîner ou à chorégraphier pour eux. Là, c'est sûr que je vais me mettre un peu en retrait, pour me concentrer sur mon propre entraînement. Mais évidemment, je vais continuer à les soutenir en tant que camarade d'entraînement.
Quelles sont vos prochaines grandes étapes à moins d'un an des Jeux olympiques de Milan ?
L.F. : Nous sommes déjà en phase d'entraînement et de processus artistique. La saison va ensuite commencer avec des compétitions internationales, suivies de Grands Prix et des championnats nationaux. Puis il y aura les Jeux, si tout se passe bien, et les championnats du monde (mars 2026).
Cette association est-elle amenée à se poursuivre au-delà de 2026, qu'importent les résultats ? On pense évidemment aux Jeux de 2030 dans les Alpes françaises.
G.C. : On ne s'est pas mis de limite. Étant donné le temps qui nous sépare des Jeux de Milan, qui sont dans moins d'un an, on est extrêmement focalisés sur ce but-là. Mais évidemment que les Jeux olympiques de 2030, qui seront en France, sont très alléchants en tant qu'athlètes français. Surtout, quand on se souvient des Jeux de Paris cet été. C'est très inspirant de penser à cette possibilité.