« En Hongrie, tout est construit pour nous coller des peines exorbitantes » : Ilaria Salis, camarade antifasciste de Gino Abazaj et eurodéputée italienne
La répression politique en Hongrie, Ilaria Salis ne la connaît que trop bien. Entre son arrestation à Budapest en février 2023, en marge de la « Journée de l’honneur », un rassemblement de néonazis commémorant une cuisante défaite contre l’Armée rouge en 1945, et son élection au Parlement européen, en juin 2024 – elle siège dans le groupe de la Gauche (GUE-NGL) –, elle a dû endurer pendant près d’un an et demi ce qui ressemble à de la « torture blanche »…
Un traitement injuste et inhumain qu’elle veut épargner à Rexhino Abazaj, alias « Gino », et à d’autres de ses camarades, cibles sur tout le continent d’une même vengeance d’État planifiée directement par le premier ministre hongrois, Viktor Orbán.
Dans le cadre de l’examen du mandat d’arrêt européen délivré à l’encontre de Rexhino « Gino » Abazaj, la justice française a réclamé à la Hongrie des « garanties » qu’elle doit examiner ce mercredi. Qu’en pensez-vous ?
Tout a déjà été dit sur les conditions inhumaines de détention et la non-indépendance de la justice en Hongrie. C’est établi, et Viktor Orbán a déjà été sanctionné par l’Union européenne. J’ai vécu tout ça dans ma chair. J’ai subi les vingt-trois heures par jour en cellule, sans garanties de pouvoir se laver, faute de produits hygiéniques, ni de manger. Le soir, le chariot de nourritures ne passait pas. Cela, c’est le lot commun. Mais moi, comme antifasciste, j’avais un traitement spécial, pour me briser… J’ai dû attendre plus de six mois juste pour parler au téléphone, ou simplement recevoir une lettre de ma famille. Il y avait des menaces permanentes et un régime d’isolement notamment, et ça continue pour Maya, une autre camarade qui a été extradée, à la sauvette et en toute illégalité, par l’Allemagne…
Que peut-on attendre de la justice en Hongrie ?
Pour moi, pour Gino et les autres antifascistes qui se sont mobilisés contre une manifestation proprement néonazie en février 2023, le verdict est écrit d’avance. On ne compte plus les déclarations de Viktor Orbán et de ses ministres qui nous désignent comme des « terroristes », des « vermines » ou même – c’est le summum pour eux – des « communistes »… Quand j’étais présentée au tribunal, c’était toujours entravée et menottée, comme une bête exposée à cette vindicte politique. C’est ainsi que la Hongrie traite les opposants, et ça n’est pas l’exception, c’est la norme.
À partir de quelle construction judiciaire Orban vous poursuit-il ?
Au moment de mon arrestation, ils parlaient d’un délit assez paradoxal : ils me reprochaient des violences contre une communauté discriminée, une imputation qui sert à protéger les LGBT ou les Roms qui sont, en l’occurrence, attaqués en Hongrie. En gros, ils avaient l’air de considérer que les néonazis étaient une minorité discriminée qui devait être mise sous protection. Après, ils ont changé en parlant de coups et blessures, pouvant entraîner la mort, en bande organisée.
Un jour, ils m’accusent d’une agression, puis ils se rendent compte que je n’étais pas à Budapest à ce moment-là, et ils en prennent une autre. Alors même que, dans le dossier, il n’est question que de blessures légères guéries en moins d’une semaine, tout est construit, en réalité, pour nous coller des peines exorbitantes. Si j’avais accepté de ne pas me défendre et de plaider coupable, comme ils le proposent, je pouvais obtenir une peine réduite à onze ans de prison ferme. Si je refuse, je risque vingt-quatre ans. Autrement dit, la perpétuité… Avant sa décision pour Gino, la justice française devrait mesurer cette folie.
Vous n’avez été sortie des geôles hongroises que grâce à une vaste campagne de solidarité qui a culminé avec votre élection au Parlement européen. Quelle portée cela peut-il avoir aujourd’hui ?
Quand j’étais derrière les barreaux en Hongrie, je n’avais pas vraiment idée de ce qui se passait à l’extérieur. Toute cette solidarité, c’est un mouvement rare, et plus encore en Italie aujourd’hui, où la société paraît souvent si apathique. Disons que c’est une heureuse anomalie ! Avec ma candidature aux européennes – que j’ai acceptée non sans craindre de payer plus cher encore dans mes conditions de détention –, on a permis aux citoyens de faire un geste concret pour réparer une injustice.
Maintenant, nous attendons que la France résiste à son tour, et qu’elle ne s’abîme pas dans la collaboration avec la Hongrie. Gino est un citoyen européen par excellence. Il n’a pas la nationalité italienne, malgré le fait qu’il a grandi chez nous. Il a voyagé, il parle des tas de langues, il a des amis partout, il ne connaît pas les frontières. Il doit être libéré, comme tous les antifascistes pourchassés aujourd’hui par la Hongrie. Quel meilleur pays que la France, avec ses traditions politiques et ses mouvements plus vivaces qu’ailleurs, pour enrayer les visées d’un régime comme celui d’Orban ?
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