Violences sexistes et sexuelles dans les transports en commun : un rapport détaille l'ampleur du phénomène qui concerne sept femmes sur 10
Regards insistants, harcèlement, voire agressions sexuelles ou viols... Les transports en commun constituent un milieu hostile pour les femmes. L'Observatoire national des violences faites aux femmes publie, lundi 10 mars, une synthèse de plusieurs études mettant en lumière l'ampleur des violences sexistes et sexuelles subies dans les trains, métros ou autres modes de transport collectif. Franceinfo en résume les principaux enseignements.
Au cours de leur vie, sept femmes sur 10 ont déjà été victimes dans les transports franciliens
Sept femmes sur 10 déclarent avoir déjà été victimes de violences sexistes et sexuelles au cours de leur vie dans les transports franciliens. Un chiffre qui grimpe à 90% pour les femmes de 19 à 25 ans, selon une enquête de l'institut Enov menée en juin 2022 pour la RATP.
La nature des violences subies est diverse : pour 39% des victimes, il s'agissait d'outrages sexistes et sexuels ; pour 19%, de faits de harcèlement sexuel. Par ailleurs, 15% rapportent avoir été victimes d'une agression sexuelle, 13% d'une exhibition sexuelle et 6%, d'un viol ou d'une tentative de viol.
"Les agresseurs auxquels on pense toujours, ce sont les exhibitionnistes et les 'frotteurs'. Il est vrai que les caractéristiques liées à l'espace des transports – enfermement, saturation des corps, impossibilité de fuir du véhicule – peuvent engendrer ces formes de violences sexuelles spécifiques", constate Manon Marguerit, chercheuse en urbanisme au laboratoire Ville Mobilité Transport de l'Université Gustave-Eiffel, citée dans le rapport. Toutefois, la chercheuse évoque également d'autres formes de violences comme "les regards – qu'ils soient insistants, intrusifs, menaçants, voyeuristes – les insultes sexistes, les attouchements, etc. Considérés trop souvent comme banals, ils peuvent engendrer des traumatismes à la personne qui les subit", souligne-t-elle.
Seules 7% des victimes ont porté plainte
Seules 7% des victimes recensées par l'étude Enov pour la RATP ont porté plainte auprès d'une gendarmerie ou de la police. Selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, sur l'ensemble des victimes de violences sexuelles enregistrées en 2024, 3% l'ont été dans les transports en commun, une proportion stable depuis 2016, selon l'Observatoire national des violences faites aux femmes.
La quasi-totalité des mis en cause sont des hommes
La quasi-totalité (99%) des personnes mises en cause pour violences sexuelles en France dans les transports en commun sont des hommes, selon les chiffres 2024 du ministère de l'Intérieur. Les victimes sont des femmes dans 91% des cas. Les femmes de moins de 30 ans représentent 75% des victimes et les mineures, 36%.
"Il faut sortir de la représentation de l'agresseur comme un 'pervers', un 'marginal' ou un 'monstre'", plaide Manon Marguerit.
"Comme dans le cas des violences conjugales ou de l'inceste, les agresseurs dans l'espace public n’agissent pas par pulsion mais déploient toute une stratégie".
Manon Marguerit, chercheuse en urbanismeà l'Observatoire national des violences faites aux femmes
D'après le rapport, citant l'Observatoire national de la délinquance dans les transports, 29% des violences sexistes et sexuelles constatées en 2023 ont été commises après 19 heures, 28% entre midi et 17 heures, puis 20% et 19% entre 7 heures et midi et entre 17 et 19 heures. Le reste a été commis avant 7 heures. "Ils choisissent leur pratique en fonction du risque légal encouru, ils agissent souvent aux mêmes heures et aux mêmes endroits. Dans les transports en commun, les flux durant les heures de pointe leur permettent à la fois de jouer sur l'ambiguïté – est-ce un sac ou une main qui m'a touchée ? – mais aussi de disparaître rapidement et facilement", détaille Manon Marguerit.
"Le harcèlement sexiste ou sexuel a pour but de rappeler que cet espace appartient au groupe masculin. Il ne s'agit pas uniquement d'assouvir des prétendues pulsions mais de véhiculer l'asymétrie des rôles de genre et la domination masculine dans l'espace", explique Raphaël Adamczak, doctorant en psychologie sociale, spécialiste de l'impact des environnements urbains sur les émotions et la peur du crime, dans le rapport.
Des stratégies pour éviter les agressions
Au total, plus de la moitié (56%) des femmes ont déclaré ne pas se sentir rassurées dans les espaces du réseau ferré, et 80% des répondantes ont déclaré "rester en alerte" lorsqu'elles voyagent. Cette charge mentale, causée par la peur d'être agressées, les conduit à adopter un certain nombre de comportements d'évitement : 68% s'habillent différemment dans les transports, et 60% évitent les transports en fonction des tenues qu'elles portent. Pour ce qui est du comportement, 83% se placent dos aux portes ou aux murs quand elles voyagent debout, et 93% essaient de s'asseoir à côté d'une femme, d'un couple ou d'une famille plutôt d'un homme seul.
Sur le plan psychologique, plus d'une femme victime sur trois a éprouvé un sentiment de honte (34%) à la suite de violences subies, 26% ont ressenti de la tristesse ou de la déprime et 23% ont ressenti un besoin d'isolement. Les victimes sont encore plus nombreuses à avoir éprouvé un sentiment de colère (70%) et une envie de changer les choses (60%).
Des dispositifs de prévention mis en place
Les témoins interviennent un peu plus qu'avant : 23% des victimes ont déclaré avoir été aidées par une tierce personne, soit deux fois plus qu'en 2016 (10%), un chiffre tiré d'une étude de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut). Dans les transports franciliens, quatre victimes sur cinq ayant sollicité un agent ou une agente de la RATP se sont senties bien prises en charge, écoutées ou comprises. Les signalements ont augmenté de 86% depuis 2016.
Face aux violences, les opérateurs ont également mis en place des dispositifs pour renforcer la sécurité des femmes : campagnes de communication, formation, descentes à la demande sur les lignes de bus après 22 heures, outils d'alerte et de signalement, et marches exploratoires avec les usagères (enquêtes de terrain pour identifier les espaces générateurs d'insécurité), selon le bilan des atteintes à caractère sexiste dans les transports (PDF) de 2023 du ministère des Transports.