«Le tout ski, c’est fini !» : face au manque de neige, cette petite station des Alpes-Maritimes se réinvente pour survivre

Tombera ou tombera pas ? À Roubion sans doute plus qu’ailleurs, la neige est attendue cette année comme la providence. Et pour cause, l’an dernier la petite station de la Tinée (Alpes-Maritimes) - l’une des moins chères d’Europe - a souffert d’un manque cruel d’or blanc si bien que le domaine skiable n’a pu ouvrir qu’à la toute fin du moins de février, et encore, dans des conditions particulièrement dégradées. «C’est le désert, je suis très inquiet», s’était alors alarmé l’édile, Philip Bruno, face à l’absence de touristes. Un état de fait que certains avaient traduit comme la mort annoncée de la station nichée à 1400 mètres d’altitude. Roubion ne pouvait que rejoindre la liste des 180 microstations françaises dont le domaine skiable a fermé depuis les années 1970.

À dix jours de l’ouverture des pistes dans la plupart des stations du département, force est de constater que telle n’est pas la trajectoire empruntée. Mercredi, sur le front de neige de Roubion, des ouvriers s’activent de tous les côtés. Ici on construit le futur office de tourisme dont l’ouverture est prévue courant janvier, là ce qui sera bientôt le centre commercial de la station... Un grand restaurant devrait également voir le jour dans les temps à venir. Les chalets, quant à eux, poussent comme des champignons. Trois sont déjà sortis de terre, neuf suivront bientôt. «Eh quoi ? Ici ça bouge ! Vous avez vu les grues ?», s’enthousiasme le promoteur de tous ces chantiers, Adoretti Renato, 86 ans et demi. «Il est venu à Roubion parce qu’il y croit», abonde l’un de ses partenaires. 

Ici la construction de ce qui devrait être le futur centre commercial de la station. N.D. / Le Figaro

1500 rotations quotidiennes 

«On refuse d’assister les bras croisés à la descente aux enfers. On ne veut pas mourir !», martèle de son côté Philip Bruno, au pied d’un télésiège, à l’occasion d’un exercice de secours. Le maire prône «l’antifatalisme» et veut croire dans la capacité de sa station - située à une heure et demie du littoral - à survivre, voire à se réinventer. «La vie de la station s’organise aujourd’hui en grande partie autour du ski. Quand il n’y a pas de neige, il ne se passe rien. Mais quand il y en a, ce sont 1500 rotations quotidiennes de touristes. Des gens qu’il faut accueillir dans de bonnes conditions, nourrir, héberger etc.», explique-t-il. C’est en ce sens que le premier magistrat mise sur le développement des infrastructures. Si la commune peut compter sur différentes aides de l’État, de la Région, du Département et de la Métropole Nice Côte d’Azur, une grande partie de son budget passe dans ces aménagements. «On est suivi par la majorité des habitants. Il y a bien quelques défaitistes, mais c’est à la marge», soutient le maire. 

De fait, le pari est risqué. Que faire s’il ne neige pas, trop peu ou alors trop tard comme l’hiver dernier ? «Nous sommes une station de montagne avant d’être une station de ski, les touristes le savent bien. Les gens viennent ici pour trouver un peu de tranquillité», balaye Valérie, propriétaire avec son mari du Chalet des Buisses, en plein cœur de la station. «Roubion vit à chaque saison. Nous avons fait un très bel automne, avec beaucoup de réservations. Pour Noël, on est déjà complet et les réservations commencent pour les vacances de février», ajoute-t-elle. 

À Gauche, Valérie et Axel, propriétaires du Chalet des Buisses, en plein cœur de la station. À droite, Céline et Éric, propriétaires du gîte Les Écureuils, plus haut dans la station. N.D. / Le Figaro

Le son de cloche est un peu moins joyeux du côté du gîte Les Écureuils, plus haut dans la station. «Nous n’avons pour l’instant aucune réservation. Les gens attendent de savoir s’il va y avoir de la neige, c’est évident. Nous les premiers, on regarde tous les jours les bulletins météo...», confie Céline, anxieuse. Cette dernière se veut aussi moins optimisme quant au développement du ski à Roubion. «On voit bien qu’il neige un peu moins chaque année. Il va falloir qu’on trouve un plan B avec d’autres activités à proposer aux touristes», observe-t-elle. Et de nuancer : «Reste que d’être une petite station, c’est aussi ce qui fait notre force. Ici c’est familial, les gros skieurs vont à Valberge ou Isola 2000. On ne peut pas faire plus authentique que Roubion». 

Je garde les pieds sur terre. La politique que je mène actuellement consiste justement à intégrer le fait que parfois, il faudra faire sans la neige, et sans doute même de plus en plus souvent

Philip Bruno, maire de Roubion

Philip Bruno n’est pas du genre borné. «Le tout ski, c’est fini !», clame-t-il lui-même. «Je garde les pieds sur terre. La politique que je mène actuellement consiste justement à intégrer le fait que parfois, il faudra faire sans la neige, et sans doute même de plus en plus souvent», développe-t-il sous l’œil approbateur de son épouse. C’est ainsi par exemple qu’un grand projet de musée préhistorique pourrait voir le jour dans les années à venir. «Nous aimerions aussi mettre en place un système d’ascenseur pour se rendre sur le site protohistorique, classé monument historique, qui a été découvert sur l’un de nos sommets», imagine Philip Bruno. La municipalité nourrit également l’ambition d’installer de petits logements insolites avec des balades à dos d’âne. «On est la station qui œuvre le plus pour le vélo, été comme hiver», ajoute Axel, l’époux de Valérie. Il est par ailleurs facile de s’en aller marcher sur les nombreux sentiers de randonnée (de raquettes l’hiver) de la station. «Il y a en a pour les sportifs et les contemplatifs», résume le maire. 

Créer de l’emploi 

La station compte en l’état quatre salariés permanents et une douzaine indirects. La municipalité en voudrait beaucoup plus. «Il faut que nous arrivions à faire venir de nouvelles familles. Et l’habitat passe par l’emploi», pense Philip Bruno. Il se félicite pour l’heure d’avoir réintroduit des vaches laitières sur la commune avec l’installation d’un fromager qui produit la tome du village. «On veut lui faire une vacherie prochainement», annonce-t-il. Côté ski, le maire est à la recherche d’un moniteur pour la saison. 

Philip Bruno, maire de Roubion depuis 1992. N.D. / Le Figaro

«C’est vrai que le pari est risqué. Certes ça coûte, mais ça devrait rapporter, commente la maire voisine de Roure, Yanne Souchet. On entend aussi beaucoup parler du réchauffement climatique, de la mort du ski faute de neige... mais sauf erreur de ma part, on nous dit bien que tout cela n’est pas encore irréversible. Alors tout compte fait, c’est un pari d’avenir que fait Philip Bruno, c’est courageux». Que la neige ne soit bientôt plus l’alpha d’une saison hivernale réussie - autrement dit rentable - à Roubion n’est pas impossible. Elle n’en demeure pas moins aujourd’hui l’oméga. Ce sans quoi l’avenir reste très incertain. Les prochains flocons sont attendus dans le courant de la semaine prochaine.