La beauté a le sourire de Naples. Parthenope, qui a un nom de sirène, est née dans la baie de sa ville. Elle en garde quelque chose de fluide, d’irréel, de mystérieux. C’est une princesse. La demoiselle brune dort dans un carrosse qu’un drôle d’oncle armateur a rapporté de Versailles spécialement pour elle. Même ses rêves ont de la grandeur. Son frère cache une muette fragilité. Elle a un amoureux transi dont le tic consiste à embrasser la médaille qu’il porte autour du cou. Elle étudie l’anthropologie, fume cigarette sur cigarette, traîne tous les cœurs après elle. Un de ses professeurs lui met vingt sur vingt et possède un douloureux secret qu’elle sera la seule à découvrir.
Parthenope flotte. Parfois, une immense tristesse passe dans son regard. Son art de la repartie n’épargne personne. Ses moues disent à chaque fois une chose différente. Quand elle bronze sur le balcon de son palais décati au bord de la Méditerranée, les rameurs lâchent leurs avirons. Elle s’offre des vacances en contrebande dans un hôtel de Capri où elle croisera son écrivain américain favori. Un milliardaire en hélicoptère lui promet la lune. Elle préfère les étoiles. Une coach de théâtre la pousse à devenir actrice. Peine perdue. Parfois, elle est accablée d’elle-même.
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Les années glissent sur elle comme ces baisers qu’elle souffle sur la paume de sa main. Un demi-siècle, quand même. Des erreurs, des regrets, oui, il y en a eu. Il a dû y en avoir. Sa mère avait été un peu trop accusatrice. Le père s’était enfoncé dans une dépression soignée devant un téléviseur allumé en permanence. Il est inutile de s’attarder sur son séjour dans le Nord. Qu’est-ce qu’ils avaient tous à la harceler avec leur « à quoi penses-tu ? ». S’ils savaient.
Une plastique de déesse
Cette célibataire endurcie se demande si elle n’a pas raté sa vie. La question provoque chez elle un haussement d’épaules. Mais non, il suffit de se souvenir de tous ces admirateurs qui, depuis le rivage, l’observaient en train de pagayer sur son kayak. C’était une apparition en deux-pièces jaune, en bikini rouge. Ciao, Parthenope. À la fin, elle contemple avec ravissement et indulgence les supporteurs du Napoli fêter leur victoire sur le front de mer.
Naples est là, somptueuse et décadente, vulgaire et sublime, avec ses bas-fonds, ses ruelles encombrées, ses prostituées attendant mollement le client sur le trottoir. Une diva emperruquée et sur le retour s’épanche dans la salle des machines d’un paquebot à quai. L’héroïne l’écoute. Un mafieux l’emmène dans la nuit sur sa moto. Elle tombe sur un prêtre libidineux aux cheveux teints.
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Celeste Dalla Porta prête sa plastique de déesse à cette énigmatique inconnue qui a appris que le sexe est l’enterrement du désir et qui souhaite « tuer les intellectuels en col roulé noir ». Paolo Sorrentino déploie ses sortilèges avec une liberté sans fard, brasse les miracles et les turpitudes, saute d’un suicide à un avortement, le tout bercé par Richard Cocciante et Sinatra. Le film baigne dans un parfum d’amours mortes et de temps perdu. Il y règne une constante mélancolie, une parfaite harmonie entre le fond et la forme. Cela permet de revoir Stefania Sandrelli esquisser une révérence devant ses anciens élèves ou Gary Oldman en nœud papillon et canotier se saouler consciencieusement au gin tonic, l’ivresse ayant le mérite de lui avoir enseigné qu’après un certain âge il n’était pas question de voler le moindre instant à la jeunesse, surtout si elle a des allures de panthère laconique.
Un cortège funèbre stoppe devant un camion aspergeant la chaussée de désinfectant contre le choléra. Des paniers translucides, vibrant d’un halo bleuté, descendent du haut des immeubles. Derrière une vitre, un jardinier tend une rose à une fille qui s’approche au ralenti, comme ça, pour rien. Les images coupent le souffle. Fellini avait tort : contrairement à ce que proclamait l’affiche de son Roma, c’est Naples qui est le plus bel endroit pour attendre la fin du monde. Si la foudre peut frapper en plein soleil, alors Parthenope foudroie. Tout s’arrête pendant deux heures et quelques. Il n’y a plus que cette magie sur l’écran.
L’avis du Figaro : quatre étoiles sur quatre.