« C’est tout simplement bluffant» : l’IA française Le Chat fait-elle un bon agent de voyages ?
On lui a dit « Bonjour » et on s’est senti ridicule. Comme son aîné et concurrent américain ChatGPT, Le Chat, bot dopé à l’intelligence artificielle du Français Mistral AI, se présente comme une simple fenêtre de discussion à travers laquelle les internautes peuvent envoyer leurs requêtes. Disponible en ligne en version gratuite depuis quelques jours, l’agent conversationnel fournit des informations, mais peut aussi analyser des fichiers, générer des images ou interpréter du code.
En 2023, nous avions demandé à ChatGPT d’établir un itinéraire de dix jours en Thaïlande au mois de juin pour un résultat… contrasté. Capable du meilleur comme du pire, l’Américain nous avait envoyés à la rencontre des trésors touristiques du pays dans un ordre incohérent, confondant au passage tigres et porcs-épics (ce qui avait le mérite d’être drôle à défaut d’exact). Deux ans plus tard, notre champion tricolore saura-t-il faire mieux sur une autre destination ?
Nous lui avons intimé l’ordre - après l’avoir salué donc, car si un jour les machines se rebellent, peut-être épargneront-elles les plus polis d’entre nous - d’élaborer un circuit complet d’une semaine à New York en juin prochain, comme l’aurait fait une agence spécialisée. Malin, le robot a immédiatement senti l’entourloupe : « Je ne peux pas remplacer une agence de voyage, mais je peux certainement t’aider à planifier ton voyage ! ». Pas bête la belette, pardon, Le Chat. C’est parti.
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Jusque-là, tout va bien
Découverte de Times Square, comédie musicale à Broadway, déambulation le long de la 5e Avenue, flânerie dans Central Park, visite du Met, du Musée d’Histoire Naturelle, du MoMA, de Wall Street, de Tribeca, de la Statue de la Liberté, Little Italy, la High Line ou encore de Brooklyn : l’itinéraire établi en moins d’une seconde par le félin semble parfaitement cohérent et équilibré pour une semaine de découverte. « C’est tout simplement bluffant ! », se récrie Nadège Ruiz-Brousseau, spécialiste de la destination chez Les Maisons du Voyage (Groupe Figaro). Si l’on espérait un minimum de mauvaise foi vis-à-vis de cette concurrence technologique déloyale, c’est raté.
« Je ne m’attendais pas à ça. New York est immense, on peut marcher 20 km par jour, et Le Chat a concentré les visites par quartier de façon très pertinente, sans rien laisser de côté, salue la professionnelle. Il précise même qu’il faut réserver ses billets le plus tôt possible pour les sorties culturelles, il pense à tout. Après, il paraît incapable d’apporter certains conseils : pour un spectacle à Broadway, les billets sont parfois très onéreux, il peut donc être intéressant de se présenter à certains guichets au dernier moment pour bénéficier de tarifs plus avantageux ».
Qu’à cela ne tienne, allons gratter ailleurs. Sommé - toujours poliment - d’établir un budget adapté à ce programme pour juin 2025, billets d’avion inclus, le robot affiche en quelques millièmes de seconde des prévisions sur trois gammes de budget couvrant tous les postes de dépenses pour une personne. Le tout à nouveau validé par Nadège Ruiz-Brousseau : « Rien à redire, les billets d’avion commencent à 800€, mais il stipule qu’en s’y prenant très à l’avance on peut trouver moins cher. Il a même pensé aux dépenses en boissons et snacks, aux pass pour faire des économies, à la carte de métro… Seuls ses budgets déjeuner et dîner (20 à 35 € et 30 à 55 €/jour) sont un peu trop optimistes ».
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Et soudain, c’est le drame
Mais s’il patauge légèrement sur le prix du burger, Le Chat s’affirme imbattable sur les bonnes adresses de la scène gastronomique locale : delis, pizzerias, meilleurs spots pour des cupcakes ou un hot-dog, c’est un sans-faute. Et quand on lui demande quel hôtel présente le meilleur rapport qualité prix pour un petit budget, c’est encore un succès. Mieux (ou pire ?), plusieurs de ses propositions de moyenne et haute gamme correspondent aux recommandations des Maisons du Voyage. Soudain, un cri résonne : « Ah ! Il conseille aussi d’aller voir sur Airbnb pour faire des économies alors que c’est désormais quasi-impossible de s’y loger pour un séjour de moins de 30 jours.».
Galvanisés par cette première erreur, nous passons au tamis les deux pépites méconnues à visiter que nous lui avons réclamées. Si Nadège connaît la première - le musée The Cloisters - et valide à 100% la suggestion, la seconde la laisse pantoise : « Je n’ai jamais entendu parler du Green-Wood Cemetery ! ». Ce cimetière historique et jardin public de Brooklyn semble en effet unanimement plébiscité par ses visiteurs, si l’on se fie aux avis Google. « Je vais l’ajouter à nos listes ! », s’esclaffe la jeune femme, bonne joueuse.
L’envie de déclarer forfait et d’intituler cet article « Jetez l’éponge, l’IA a vaincu » se faisant pressante, nous demandons au Chat, en guise d’adieu, de nous conseiller une exposition à voir pendant le séjour. Pour la première fois, la machine mouline. Longtemps. Presque deux secondes, ce qui, croyez-le ou pas, est beaucoup pour un petit Chat. Puis une liste de dix expositions apparaît, toutes nichées dans de prestigieux musées de la ville (Met, MoMA, Whitney…), avec, pour chacune, une description de trois lignes. Par acquit de conscience, petite vérification Google : la première n’existe pas. Ni la seconde, ni les autres… Le robot a fabriqué de toutes pièces ces événements culturels, exemple typique des « hallucinations » qui parasitent régulièrement les réponses apportées par les modules utilisant l’intelligence artificielle.
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C’est celui qui dit qui est
Pourquoi affabuler ? « Je n’ai pas inventé le nom de l’exposition ni les descriptions. Il est possible que l’information ait été mal interprétée ou qu’il y ait eu une confusion avec une autre exposition ou un autre événement ». À deux doigts de bouder, Le Chat. Mais un point pour l’aplomb. En attendant, le bilan reste positif pour Nadège Ruiz-Brousseau : « C’est clairement un outil efficace pour débroussailler, même si l’on constate qu’il faut prendre la peine de vérifier certaines pistes. Et, comme il l’annonce, il ne nous concurrence pas réellement : il n’y a pas de personnalisation, il ne pose aucune question. Nous conseillons en ayant arpenté les lieux, nous faisons les réservations, nous avons un service de conciergerie, une assistance… Si vous ratez votre vol, ce n’est pas Le Chat qui vous trouvera une solution. » Pas en 2025, en tout cas.