Inquiets de la politique erratique de Trump, de riches Américains déplacent leur fortune en Suisse
Cette année, en plus d’une lumière étincelante sur le lac, le printemps a apporté quelques bonnes nouvelles sonnantes et trébuchantes sur les rives du Léman. Selon plusieurs témoignages, la place financière helvétique bénéfice depuis février d’un nouvel afflux de capitaux, issus des États-Unis. Inquiets de la politique erratique de Donald Trump, et notamment de l’évolution du dollar, des riches Américains viennent déposer depuis plusieurs semaines dans les coffres-forts suisses une part de leur fortune.
« Nous constatons un regain d’intérêt de la part des clients résidents en Amérique depuis quelques semaines, confirme Hippolyte de Weck, gestionnaire de fortune genevois à la tête de Forum Finance, une société agrée par le gendarme des marchés américains, la Securities and Exchange Commission (SEC). Soit des clients, avec qui nous travaillions déjà, nous confient plus de capitaux, soit des grandes fortunes qui n’ont pas encore diversifié leurs avoirs au sein de différentes places financières viennent chercher un autre style de gestion chez nous avec une exposition dans des marchés différents que ceux traditionnellement proposés par les banques américaines. »
La gestion américaine expose en effet peu ses clients aux marchés actions et obligations non américains. Ces derniers se retrouvent donc très sensibles aux fluctuations du dollar. Jusqu’il y a quelques mois, personne ne s’en plaignait. Les performances des actifs américains dépassant largement celles des autres régions du globe. Las, les guerres commerciales sont venues troubler ce bel ordre. « Nous observons une demande plus forte de clients existants ainsi que de nouveaux clients auprès de Pictet North America Advisers », a ainsi confirmé la banque Pictet à la télévision suisse RTS. Aujourd’hui, seules trois banques suisses - Vontobel, Julius Bär et donc Pictet - acceptent encore d’ouvrir des comptes à des clients américains qui ne se contentent pas de déposer leur salaire mais souhaitent investir sur les marchés.
Des années de guérilla juridique menée par Washington
Les autres ont renoncé à ces clients pour échapper aux tractations avec l’Administration américaine, qui exige désormais d’innombrables remontées de données fiscales au sujet des contribuables américains. Après des années de guérilla juridique menée par Washington contre les banques suisses, le Parlement de Berne avait ratifié en 2014 l’accord sur la loi Fatca qui prévoit un « échange semi-automatique d’informations » entre les institutions helvétiques et l’administration fiscale américaine. Depuis, aucune banque suisse ne peut plus s’abriter derrière la loi sur le secret bancaire pour protéger ses clients étrangers. Un accord similaire ayant été passé avec l’Union européenne.
Malgré ces évolutions et le spectaculaire effondrement de Credit Suisse en 2023, les flux américains témoignent de l’attrait persistant de la gestion de fortune suisse. « Notre système démocratique est parfois lent, mais il permet à toutes les opinions de s’exprimer et de converger en un consensus. Les réformes prennent du temps et le peuple souverain préfère les changements progressifs. C’est pourquoi lorsque des troubles surgissent dans un pays, la Suisse est vue comme un havre de sécurité, pour les personnes comme pour leurs actifs. Cela ne nous empêche pas de voter sur des idées assez extrêmes, mais celles-ci sont toujours largement rejetées », expliquait dans une tribune récente Grégoire Bordier, président de l’Association de banques privées suisses.
Première place pour la gestion de fortune dans le monde
« Après les dernières législatives françaises, il y a eu également un intérêt de la part de résidents français. Nous avons vu arriver quelques nouveaux clients qui ont déposé entre 500 000 euros et 5 millions, confirme Hippolyte de Weck. Ils suivaient l’exemple de grandes fortunes françaises qui se sont pour la plupart déjà organisées pour diversifier leur patrimoine parmi différents prestataires financiers. »
Au-delà de la stabilité, les clients fortunés des banques suisses évoquent des questions de confidentialité. « En Europe, les banques sont des agents du fisc gratuit, le fisc a accès à toutes les transactions, en Suisse, sauf soupçons graves, les banquiers ne communiquent pas la teneur de transactions », raconte une source. Selon une étude de 2024 du cabinet d’audit Deloitte, la Suisse demeure ainsi la première place pour la gestion de fortune dans le monde. « Avec un volume d’actifs internationaux de 2 200 milliards de dollars, la Suisse reste le premier centre de comptabilisation au monde, écrivent les analystes. Toutefois, son avance s’amenuise peu à peu : la Suisse est en effet talonnée par le Royaume-Uni, qui arrive en deuxième position avec seulement 8 milliards de dollars d’écart ».
La place financière est essentielle à l’économie helvétique : elle fournit 5 % des emplois totaux, 9 % du produit intérieur brut et 12 % des recettes fiscales de la Confédération, des cantons et des communes. Les flux américains font alors figure d’excellente nouvelle après le choc de 2023 : l’effondrement de Credit Suisse avait provoqué de gigantesques sorties de flux de capitaux en l’espace de quelques jours.