Conclave, The Brutalist, Anora, Emilia Pérez... Les pronostics du Figaro avant des Oscars électriques et inédits
Il y a deux sortes de courses aux Oscars. Celle où les gagnants sont connus d’avance, où les palmarès se répètent de cérémonie en cérémonie qui précèdent le grand soir comme l’an passé avec le triomphe d’Oppenheimer. Et puis il y a les années où des surprises peuvent se produire jusqu’au bout, y compris le jour J sur la scène du Dolby Theater. Les Oscars 2025 sont de cette trempe. Leur 97e édition, qui se tient dimanche à Los Angeles et que les Français pourront suivre à partir d’une heure du matin sur lefigaro.fr, va être rythmée par plusieurs duels, voire triangulaires, très serrés. À commencer par les catégories les plus convoitées : meilleur film, meilleur acteur et actrice.
La faute à une saison des prix indécise, jalonnée de polémiques nées sur les réseaux sociaux, où aucun favori - d’Emilia Pérez à Anora en passant par The Brutalist - n’a été en mesure d’asseoir pleinement sa domination. Golden Globes, Bafta britanniques, guildes des acteurs, producteurs et réalisateurs... Chacun a choisi un champion différent. Une fois n’est pas coutume, le suspense est réel. Les organisateurs des Oscars promettent de dégainer des bottes secrètes sur scène : nouveau présentateur, numéros musicaux inédits, un hommage aux pompiers qui ont sauvé Los Angeles des feux. Le Figaro fait le point.
Meilleur film : un putsch des cardinaux de Conclave en vue ?
Sur le papier et statistiquement, la palme d’or Anora est la mieux placée pour décrocher la récompense reine. La comédie noire de Sean Baker sur une danseuse exotique à la poursuite d’un fils d’oligarques russes disparaissant au lendemain de leurs noces à Las Vegas a remporté, début février, le prix de la guilde des réalisateurs (DGA) et de la guilde des producteurs (PGA). Cette dernière organisation utilise le même complexe système de vote préférentiel que celui qui détermine l’Oscar du meilleur film et désigne huit fois sur dix le même vainqueur. Dans un scrutin préférentiel, les votants classent par ordre de préférence les films nommés. Les films ayant le plus petit nombre de votes en première position sont éliminés mais le deuxième choix des votants sur ce même bulletin est alors pris en compte. Pour gagner, il ne suffit pas toujours d’être en première position, un film doit aussi être bien placé en deuxième et troisième choix.
Sauf qu’Anora au lieu de capitaliser sur son élan a aussitôt pilé. Les Bafta -l’équivalent anglais des Oscars - ont élu Conclave meilleur film et meilleure production britannique. Puis le syndicat des acteurs (SAG) a donné aux cardinaux d’Edward Berger le prix de la meilleure distribution. Anora est reparti bredouille des SAG awards, comme des Golden Globes d’ailleurs. Ce qui signale une certaine faiblesse. La remontada de Conclave rappelle celle d’un certain Shakespeare In Love. La comédie romantique avec Gwyneth Palthrow avait elle aussi fait main basse sur les Bafta et le SAG avant de damer le pion aux Oscars à Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg. Autre vainqueur surprise de l’oscar du meilleur film, CODA. Le remake de La Famille Bélier avait lui aussi triomphé aux SAG awards. L’histoire se répétera-t-elle ?
Meilleur réalisateur : Sean Baker et Brady Corbet au coude à coude
Sur le papier, la victoire de Sean Baker pour Anora ne devrait faire aucun doute. Seuls trois lauréats du prix de la DGA ont échoué à remporter l’Oscar de la meilleure réalisation au XXIe siècle. Mais la fresque monumentale de Brady Corbet The Brutalist, réflexion sur les mirages du rêve américain d’un rescapé de la Shoah, a de nombreux admirateurs. Comme en témoigne sa victoire aux Bafta. Si les votants des Oscars, dont certains grommellent devant les 3 h 30 du film (avec entracte) et une seconde partie moins aboutie, veulent récompenser The Brutalist, la catégorie réalisation semble taillée sur mesure. Brady Corbet a réussi à monter son récit fleuve avec un budget de 10 millions de dollars et était en position de force en janvier avec ses Golden Globes du meilleur drame et réalisation. Les bulletins de vote anonymes recueillis par les publications spécialisées montrent un vote plus que serré.
Meilleur acteur : l’heure de gloire pour Timothée Chalamet ?
Golden Globes, Bafta, Critics Choice Awards... Adrien Brody , architecte brisé de The Brutalist, a fait un grand chelem jusqu’aux SAG awards où il s’est incliné dans la catégorie meilleur acteur face à un Timothée Chalamet étonné. Pourquoi ce prix du syndicat des acteurs pour la star d’Un Parfait inconnu rebat les cartes ? Parce que les acteurs sont le collège électoral majoritaire des Oscars. Idole de la génération Z, Timothée Chalamet a en huit ans de carrière porté sept longs-métrages nommés aux Oscars et consacré cinq ans de sa vie à se transformer en Bob Dylan. Une abnégation et une jeunesse que les membres des Oscars, avides de regagner les faveurs du public, pourraient être tentés de récompenser.
Si Timothée Chalamet remportait dimanche la statuette, il deviendrait le plus jeune vainqueur de cette catégorie à 29 ans battant de quelques semaines le record de... Adrien Brody, récompensé à ce même âge pour Le Pianiste de Roman Polanski où il campait déjà un survivant de la Shoah.
Meilleure actrice : la triangulaire Moore-Madison-Torres
Avec son Golden Globe de la meilleure actrice dans une comédie et son prix de la SAG, Demi Moore conserve une légère avance portée par sa métamorphose monstrueuse dans The Substance. Reste que la fable féministe horrifique de la Française Coralie Fargeat se heurte aux préjugés au plafond de verre du genre. Même si les votants des Oscars aiment les rebonds de carrière, certains restent hermétiques au gore. Cela pourrait profiter à la révélation d’Anora Mikey Madison , lauréate inattendue des Bafta. Mais les deux comédiennes américaines pourraient se faire doubler par la fabuleuse actrice brésilienne Fernanda Torres , Golden Globe de la meilleure actrice dramatique. Son drame sur les souffrances d’une famille déchirée sous la junte Je suis toujours là trouve un certain écho dans l’Amérique de Trump et de Musk. Son nom revient dans de nombreux bulletins de vote anonyme.
Des seconds rôles presque sûrs
Enfin une catégorie avec un peu plus de certitudes ! Kieran Culkin a raflé tous les trophées en jeu de la saison pour sa performance à fleur de peau dans A Real Pain, road trip dans la Pologne des camps. Une merveille douce-amère écrite et réalisée par le comédien Jesse Eisenberg (Social Network).
Malgré l’implosion de la campagne d’Emilia Pérez suite aux tweets racistes de Karla Sofia Gascon, sa partenaire Zoe Saldana tient bon la barre et continue de dominer sa catégorie triomphant aux Golden Globes, BAFTA et SAG awards. Elle est la chance de statuette la plus probable et peut-être unique du film de Jacques Audiard. Est-ce que le scandale, survenu au tout début de la période de vote des Oscars, finira par l’atteindre ? Ou est-ce que les votants auront à cœur de distinguer une performance totale (danse, chant) d’une actrice, piliers de deux franchises phare (Avatar et Gardiens de la Galaxie). L’élan qui porte Conclave pourrait lui mettre dans les pattes Isabella Rossellini. À moins que les votants ne jouent la carte pop star avec Ariana Grande, en lice pour Wicked.
Emilia Pérez très affaiblie, l’Oscar du meilleur film international s’éloigne
Pas sûr que le Bafta et le Golden Globe remportés dans cette catégorie soient représentatifs du rapport de forces actuel. Même sans la polémique Karla Sofia Gascon, le drame musical de Jacques Audiard faisait face au défi de concrétiser ses 13 nominations. Réitérer l’exploit de Parasite semblait déjà compliqué vu le caractère clivant d’Emilia Pérez, son format atypique. De la manière de dépeindre le Mexique au regard sur la transidentité, les critiques bouillonnaient déjà. Les catégories les plus gagnables semblaient meilleur second rôle, musique et chanson, son, film international. Après le tsunami des tweets, seule Zoe Saldana reste compétitive. Porté par la ferveur de tout un pays et la performance déchirante de Fernanda Torres, le drame brésilien aux résonnances politiques Je suis toujours là n’a cessé de grignoter du terrain et est la star des bulletins de vote anonymes au contraire d’Emilia Pérez très dénigrée et souvent en queue de peloton.
Scénario : Conclave et une invitée surprise ?
Dans la catégorie meilleure adaptation, le scénariste de Conclave Peter Straughan a assis sa domination. Dans la catégorie scénario original, au moins quatre candidats ont une chance Sean Baker (Anora), lauréat du prix de la guilde des scénaristes, Brady Corbet (The Brutalist), Jesse Eisenberg (A Real Pain) couronné aux Bafta et Coralie Fargeat (The Substance ), primée à Cannes souvent mentionnée par les votants, qui saluent son audace.
Animation : gare au Petit poucet félin letton
La poésie de la production américaine Le Robot sauvage signée du vétéran Chris Sanders part avec une courte longueur d’avance. Mais le petit chat de Flow , qui cherche à échapper à la montée des eaux, n’a cessé de gagner ses fans depuis sa victoire surprise aux Golden Globes. La cote d’amour de la coproduction franco-belgo-lettone est réelle. Flow est aussi en lice dans la catégorie meilleur film international !
Une cérémonie pleine de surprises scéniques avec Wicked, James Bond et Los Angeles en majesté
Le spectacle ne sera pas que dans le palmarès mais aussi sur scène. Les Oscars changent également de maître de cérémonie : après Jimmy Kimmel, qui a officié quatre fois, ils accueillent un autre présentateur, Conan O’Brien.
Les organisateurs misent aussi sur des grands noms de la pop pour dépoussiérer les traditionnelles séquences musicales. Exit l’interprétation des chansons nommées. Les Oscars ont mobilisé Doja Cat, Queen Latifah (qui rendra hommage au répertoire du défunt Quincy Jones), Raye et la sensation K-pop Lisa du groupe Blackpink. Variety annonce un medley des chansons phare des films de James Bond, dont Amazon vient de récupérer les rênes. Autre moment attendu, les retrouvailles des stars de la comédie musicale Wicked, en lice pour dix Oscars, Ariana Grande et Cynthia Erivo.
Les pompiers de Los Angeles, cité ravagée en janvier par des incendies meurtriers, seront aussi à l’honneur. La séquence devrait honorer l’ensemble de la communauté du cinéma, dont les nombreuses petites mains (costumières, cadreurs, monteurs, etc.) d’Hollywood affectées par les flammes.
L’inconnue politique
Ces Oscars sont les premiers depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche et le dépeçage de l’État fédéral lancé par son administration, sous la tutelle du patron de X, Elon Musk. Certains lauréats appelleront-ils à la résistance ? Souvent politique par le passé, la tribune des Oscars s’est assagie lors des dernières éditions pour ne pas lasser des spectateurs et des cinéphiles de plus en plus difficiles à fidéliser. En cas de victoire de Je suis toujours là à l’Oscar du meilleur film étranger, est ce que son réalisateur Walter Salles réitérera les propos tenus à Hollywood reporter. Il y déclarait notamment : « Nous vivons parfois dans des régimes qui menacent la démocratie. »
L’an passé, plusieurs nommés arboraient un pin rouge appelant au cessez-le-feu entre Israël et Gaza. Feront-ils de même cette année ? La situation du Proche-Orient pourrait être évoquée sur scène si No Other Land remporte la statuette du meilleur documentaire. Écrit par un Palestinien et un Israélien, ce récit, récompensé à la Berlinale 2024, décrit la détresse des Cisjordaniens.
Et sera-t-il question de l’Ukraine ? Et notamment de l’échange particulièrement virulent entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky à la Maison Blanche qui avait tout d’une scène mais qui n’était, hélas, que la triste et dramatique réalité...