En Inde, l’incroyable maison de retraite pour vaches sacrées... qui produit du biogaz

Le salon de l’agriculture ouvre ses portes à Paris. Mais la «plus grande ferme du monde» semble bien petite vue d’Inde. Bienvenue à Barsana, un des lieux saints de l’Utar Pradesh. Cette bourgade de 25.000 âmes à 120 km au sud de New Delhi – soit 3 heures de route - est aussi connue pour abriter un des plus grands cheptels du monde. Dans les environs, près d’un million de vaches sacrées travaillent dans les champs et sont exploitées pour leur lait. Mais surtout pas pour leur viande. « La vache est plus que sacrée, c'est une déesse », explique-t-on aux voyageurs. Une déesse qui a droit à sa maison de retraite, « Gaushala », littéralement, abri pour vache. L'un des plus importants de la région, le Shri Mataji Gaushala, héberge 60.000 têtes dans d'immenses enclos. Celui-ci se distingue des autres, depuis qu’un méthaniseur, ces installations aux allures de yourtes destinées à la production de biogaz à partir de biodéchets, a été installé juste à côté.

Le « Barsana Biogas Project » est détenu à parts égales par TotalEnergies et son partenaire local, le groupe Adani. Face aux accusations de corruption à l’encontre du groupe indien aux Etats-Unis, TotalEnergies a pour le moment gelé ses nouveaux investissements avec son partenaire. Mais il continue de faire tourner les installations déjà en place dans le pays, à l’image du Barsana Biogas Project.

L'endroit n’a pas été choisi par hasard pour installer ce complexe. La matière première est littéralement à portée de la main. Le méthaniseur est alimenté par les bouses de vaches, notamment celles de la «maison de retraite», ainsi que par la paille de riz, résidu qui jusqu'à présent était brûlé dans les champs en fin de récolte. Les bouses, une fois séchées, sont traditionnellement utilisées comme combustible dans les cuisines rurales. Transformer ces matières en gaz, plutôt que de les brûler et de contribuer à la pollution ambiante, est un des principaux avantages de cette installation. D’autant que l’Inde fait régulièrement face à des épisodes de pollution plus que préoccupants pour la santé de ses concitoyens et pour la planète. Eviter ce type de pratiques devient indispensable. De plus, le biogaz se substitue au charbon et au bois, massivement utilisés dans les cuisines locales, réduisant là encore les émissions de gaz à effet de serre. « C'est aussi un moyen de lutter contre l'exode rural. Nous avons créé 500 emplois, autant de familles qui ne partiront pas en ville », ajoute Sangkaran Ratnam, directeur général de TotalEnergies Inde.

Une très forte portée sociale

TotalEnergies et Adani distribuent gratuitement le digestat, un engrais naturel issu des méthaniseurs qui se substitue aux produits phytosanitaires utilisés dans les cultures. Enfin, et ce n'est pas le moins important, le Barsana Biogas Project rémunère le Gaushala, permettant d'améliorer l'ordinaire des bovins, mais aussi de financer un dispensaire pour les habitants. « Ce projet a avant tout une portée sociale, résume Sangkaran Ratnam. Il s'inscrit pleinement dans notre programme « clean cooking », visant à apporter une alternative à la cuisson au bois ou gaz à 100 millions de personnes, en Inde et en Afrique, en leur proposant du gaz naturel liquéfié ».

L’enjeu est de taille. Les forêts, qui sont des puits de carbone, sont moins exploitées et le biogaz est renouvelable. Pas question ici de parler de rentabilité - la cible est l'équilibre économique -, ni de quantité de gaz produit, tant elle est dérisoire au regard des besoins du pays. Le projet Barsana permet aux deux partenaires industriels de répondre à une injonction du gouvernement Modi, très engagé dans la promotion de ce type de solutions.

D’une façon générale, le biogaz ne permettra pas de répondre aux objectifs du gouvernement indien qui veut faire passer de 6% actuellement à 15% en 2030 la part du gaz dans le mix énergétique du pays. Au cours des vingt dernières années, l'Inde en a déjà doublé sa consommation. Les stations -services distribuant du gaz naturel compressé (CNG) se multiplient le long des routes. Les rickshaws, ces emblématiques triporteurs, sont passés du diesel au gaz et au premier semestre, les ventes de voitures et camions au CNG ont bondi de 33%. Parallèlement le gouvernement de Narendra Modi a porté le réseau de gaz de 14.000 km en 2018 à près de 25.000 en 2024. « 5000 à 6000 foyers sont raccordés quotidiennement », souligne Sagra Adani, directeur général Energies renouvelables chez Adani. Le gaz doit aussi participer à la décarbonation des centrales électriques indiennes, qui tournent pour 75% d’entre elles au charbon et pour 5% au gaz (le solde provenant des renouvelables). Pour faire face à ses énormes besoins, le pays recourt massivement à l'importation de gaz naturel liquéfié (GNL).