Pourquoi est-il rare en France de licencier un collaborateur pour ses propos sur les réseaux sociaux ?

Aux États-Unis, la parole n’est pas aussi libre que ses dirigeants veulent bien le prétendre. Des dizaines de salariés ont été sanctionnés par leur employeur pour avoir critiqué Charlie Kirk, l’influenceur et fervent soutient du mouvement Maga, après son assassinat la semaine dernière. Le consultant politique Matthieu Dowd a ainsi été remercié par la chaîne d’information MSNBC, proche du parti démocrate, pour avoir déclaré à l’antenne : « Les pensées haineuses mènent à des paroles haineuses, qui mènent ensuite à des actes haineux. » Les réseaux sociaux sont tout particulièrement scrutés par l’administration. Une employée d’une université publique du Tennessee, qui a tenu sur Facebook à peu près les mêmes propos que l’analyste politique, a été congédiée. Un enseignant de l’Oklahoma fait quant à lui l’objet d’une enquête menée par le ministère de l’Éducation de cet État pour avoir écrit: "Charlie Kirk est mort de la même façon qu’il a vécu: en faisant ressortir le pire chez les gens".

Si en février, lors de la conférence de Munich, le vice-président américain, JD Vance accusait les Européens de censurer la liberté d’expression, il serait difficile, en France en tout cas, d’engager des procédures disciplinaires pour des formules aussi générales que celles de Matthieu Dowd ou de l’enseignant de l’Oklahoma. Dans le secteur privé, rappelle François Hubert, avocat associé au cabinet Voltaire Avocats, «s’il peut exister des restrictions par rapport à une tâche professionnelle exercée, un salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d’expression selon l’article L1121-1 du code du travail».

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Des chartes de bonnes pratiques

Cependant, ces dernières années, des actions de sensibilisation à l’usage des réseaux sociaux ou des chartes de bonnes pratiques se sont multipliées dans les entreprises. En cas de litige sur un message susceptible de nuire à l’image de la société, l’appréciation portée par la justice tiendra compte de la nature du canal utilisé. Elle ne sera évidemment pas la même selon que le collaborateur aura utilisé un compte privé sur un service en ligne ou qu’il aura posté un message sur un réseau professionnel permettant d’identifier l’entreprise où il exerce. «Il est souvent difficile de faire la preuve d’abus au préjudice de l’image de l’entreprise. La justice est plus encline à être à l’écoute du respect de la liberté d’expression», relève maître François Hubert.

Le code général de la fonction publique prévoit en revanche une obligation de neutralité du fonctionnaire. Le texte dispose qu’il doit exercer «ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. À ce titre, il s’abstient notamment de manifester ses opinions religieuses. Il est formé à ce principe.
L’agent public traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité». En résumé, souligne maître Benoît Arvis du cabinet Arvis Avocats, «un fonctionnaire bénéficie d’une liberté d’opinion comme tout le monde mais sa liberté d’expression est limitée ».

En service, un fonctionnaire ne peut donc pas exprimer d’opinion politique et dans sa vie privée, il a un devoir de réserve qui le contraint à conserver dans son comportement une attitude prudente et mesurée afin de ne pas porter atteinte à l’image de l’administration. Dans la police comme dans l’armée, des textes spéciaux renforcent ces obligations. Quant aux enseignants, un arrêt du Conseil d’État de 2018 mentionne qu’un devoir d’exemplarité et d’irréprochabilité leur incombe dans leur relation avec des mineurs, y compris en dehors de leur travail.

De l’avertissement à la révocation

Des chartes d’utilisation des réseaux sociaux ont également été mises en place dans l’administration. En cas de non-respect des règles, il existe une large gradation de mesures qui vont de l’avertissement à la révocation. Dans l’intervalle, un changement d’affectation, un retrait d’habilitation ou de responsabilité spéciale peuvent notamment être décrétés.

Si la justice américaine est plus expéditive, maître Arvis rappelle qu’un arrêt de la Cour suprême des États-Unis, Rankin / McPherson, avait considéré comme illégal le licenciement d’un fonctionnaire qui avait déclaré, après la tentative d’assassinat de Reagan : « "if they go for him again, I hope they get him." » (S’ils s’en prennent à lui à nouveau, j’espère qu’ils l’auront). «En conséquence il est probable que les agents américains sanctionnés selon les propos précédemment cités obtiennent des décisions de justice de réintégration».