Au cœur de la Chine, un laboratoire pour doper les ambitions nucléaires de Pékin

C’est la nouvelle installation nucléaire chinoise qui vaut des milliards. Les premières images satellite d’un imposant laboratoire de recherche nucléaire dans la région de Mianyang, une ville de la province de Sichuan en plein centre de la Chine, ont été publiées par l’agence de presse Reuters, mardi 28 janvier.

Son nom : le Laser Fusion Major Device Laboratory ("laboratoire d’équipements majeurs de fusion par laser"). Sur les clichés satellite fournis par la société américaine d’imagerie Planet Labs, ce centre ressemble un peu à une étoile avec un cœur – où doit se dérouler la fusion nucléaire – et quatre branches dans lesquelles se trouveraient les lasers.

Des installations coûteuses

"Le développement [de cette installation, NDLR] n’avait jusqu’à présent jamais été révélé au grand public", insiste Reuters. Ce qui ne veut pas dire que les plans chinois pour avoir ce type de laboratoire étaient inconnus. "Les photos ressemblent à ce qui pourrait être Shenguang IV, un site nucléaire pour ce type de recherche, dont les Chinois parlent depuis des années, y compris dans des conférences internationales. La taille correspond, le calendrier de construction correspond, et la localisation – au sud de Mianyang – aussi", précise John Pasley, physicien qui travaille sur la fusion par laser à l’université de York.

Pour lui, ce qu’on peut voir sur les images satellite n’est pas encore une installation terminée à 100 %. Mais ces clichés confirment la volonté de la Chine de devenir l’un des très rares pays à posséder un tel centre de recherche nucléaire. Même au sein du club très fermé des neuf puissances nucléaires, il n’y en a que deux à disposer d’un laboratoire de fusion par laser comparable à celui de la Chine : les États-Unis avec le NIF (National Ignition Facility) et la France avec le LMJ (Laser Megajoule) de Bordeaux.

"Ce sont des installations très coûteuses", souligne Grigory Kagan, physicien à l’Imperial College de Londres. Le NIF en Californie a coûté plus de 3 milliards de dollars à construire et il était jusqu’à présent le plus grand et le plus important au monde. Sauf que le Laser Fusion Major Device Laboratory semble être au moins aussi imposant.

Le "Saint Graal" des énergies renouvelables et des armes atomiques ?

Il ne s'agit pas (seulement) de remporter la course au plus grand centre de recherche en la matière. Ce site "s’inscrit dans le contexte plus général d’une accélération substantielle des efforts de la Chine pour agrandir son programme nucléaire depuis cinq à six ans", estime Henrik Hiim, spécialiste des politiques de sécurité en Chine à l’Institut norvégien pour les études de défense.

Attention, les installations du type du Laser Fusion Major Device Laboratory ne sont pas forcément militaires. "Ce sont des sites dont la vocation est par définition duale, c’est-à-dire à la fois civile et militaire", souligne Grigory Kagan.

La fusion par laser est l’un des principaux domaines de recherche consistant à reproduire la réaction physique qui entraîne la génération de lumière et d'énergie sur le Soleil. Des lasers sont censés y parvenir en propulsant à très grande vitesse deux atomes pour qu’ils fusionnent. Y arriver "permettrait d’avoir une source d’énergie sûre et inépuisable", note John Pasley. C’est le "Saint Graal" des énergies renouvelables.

La Chine serait probablement ravie de coiffer les Américains au poteau en réussissant cet exploit dans le domaine du nucléaire civil. Mais les militaires s'intéressent aussi à cette technologie. Les laboratoires de recherche sur la fusion par laser sont devenus des sites très utiles depuis le traité de 1998 interdisant les essais nucléaires, signé par la Chine.

Ils apportent une alternative aux essais grandeur nature. "Dans ce type d’installation, on peut recréer des conditions comparables à ce qui se passe lors de l'explosion d'une arme nucléaire. Il est ainsi possible d’obtenir des données qui permettront ensuite de nourrir les simulations par ordinateur d’essais d’armes nucléaires", souligne John Pasley. Ce n’est pas aussi efficace que des vrais essais, mais c’est ce qui s’en approche le plus.

Accélération des ambitions nucléaires chinoises

Et c’est important pour la Chine, car les essais sont un domaine "dans lequel le programme nucléaire chinois est en retard. Les autorités n’en ont effectué que 45 sur leur arsenal, à comparer aux milliers d’essais réalisés par les États-Unis et la Russie", note Nicola Leveringhaus, spécialiste du programme nucléaire chinois au King’s College de Londres.

Ces essais doivent permettre de doper le programme nucléaire chinois, qui est à la traîne sur plus d’un point. L'arsenal de Pékin est non seulement plus petit, mais "les Chinois n’ont des possibilités de lancements que terrestres. Leur flotte maritime nucléaire a encore beaucoup de problèmes, et ils n’ont quasiment aucun programme nucléaire aérien", explique Nicola Leveringhaus.

Pour cette experte, avant de construire toujours plus de bombes, les Chinois doivent travailler "sur la sécurité et sur la conception des armes nucléaires". Cela pourrait diversifier les possibilités nucléaires chinoises. Un site comme celui sur les photos satellite serait particulièrement utile pour les questions de sécurité, d’après Nicola Leveringhaus. Reproduire en laboratoire les conditions des explosions permettrait notamment de travailler sur la stabilité.

Le Laser Fusion Major Device Laboratory s’intègre donc bien dans ce que Henrik Hiim a décrit comme le coup d’accélérateur chinois pour monter en gamme dans le nucléaire. De quoi inquiéter les États-Unis et leurs alliés ? "Le problème est que personne ne sait vraiment pourquoi la Chine cherche depuis quelques années à fortement accroître sa puissance nucléaire. Pendant près de vingt ans, les autorités semblaient satisfaites d’avoir un arsenal plus réduit que les grandes puissances telles que les États-Unis et la Russie", souligne Henrik Hiim.

Cette humilité nucléaire correspondait bien avec la doctrine nucléaire chinoise "qui est de s’interdire, par exemple, de frapper en premier avec des armes nucléaires", note Nicola Leveringhaus. Officiellement, les efforts récents, dont la construction d’un laboratoire comme celui de Mianyang, restent purement à vocation défensive. Mais "ce qui inquiète davantage les États-Unis et les autres pays asiatiques, c’est que la Chine a des arrière-pensées plus offensives. Ils craignent que la Chine utilise une capacité nucléaire renforcée comme un bouclier si Pékin décidait d’attaquer un autre territoire, comme Taïwan par exemple", explique Henrik Hiim. Autrement dit, les Chinois pourraient s’inspirer de l’exemple russe qui brandit la menace nucléaire pour décourager d’autres pays de voler davantage au secours de l’Ukraine.