Festival de Cannes 2025 : "Les enfants n'ont pas de préjugés", note Hasan Hadi qui signe "The President's Cake", fable sur l'Irak de Saddam Hussein
Irak, années 1990. Les Irakiens ont faim et vivent sous les bombes américaines, mais Saddam Hussein tient à ce que son anniversaire soit célébré par ses compatriotes. C'est à la petite Lamia que revient la lourde tâche de confectionner le gâteau du président pour le compte de sa classe. La mission culinaire devient une question de vie ou de mort pour la fillette, embarquée dans l'aventure avec son ami Saeed. À travers l'odyssée de ces deux enfants, Hasan Hadi dresse le portrait d'un pays où rien ne va plus : le rais est omniprésent et tout sourire, mais les Irakiens sont livrés à eux-mêmes pour gérer leurs multiples galères quotidiennes, comme les pénuries et les denrées alimentaires hors de prix. Le premier film du cinéaste irakien Hasan Hadi, qui a vécu une enfance sous les bombes dans le sud de l'Irak, est l'un des rares longs-métrages à représenter l'Irak dans un festival majeur depuis des décennies. Il a été projeté à la Quinzaine des cinéastes où il a conquis le cœur de nombreux cinéphiles après celui des organisateurs. Entretien avec Hasan Hadi.
Franceinfo Culture : Pourquoi installer votre intrigue dans l'Irak des années 1990 marquée par le pouvoir dictatorial de Saddam Hussein et les bombes américaines ?
Hasan Hadi : C'est une période critique dans l'histoire du pays. Ce qui s'est passé dans les années 1990 continue à avoir des conséquences. Ça a changé le visage de l'Irak, le tissu social. Par ailleurs, j'avais trouvé étonnant qu'aucun film n'ait été fait sur cette époque, aussi bien vue de l'intérieur que de l'extérieur. Pour mon premier film, j'avais aussi envie de parler de quelque chose qui m'était familier [comme dans le film, son instituteur désignait celui qui serait en charge du gâteau du président]. Ce long-métrage est un équilibre parfait entre fable, réalisme et mes souvenirs d'enfance.
L'autre choix, c'est de faire des enfants les héros de votre histoire…
J'ai pensé que c'était la perspective idéale pour aborder un sujet aussi chargé politiquement. Les enfants n'ont pas de préjugés. Ce ne sont pas des politiciens. Ils n'ont pas d'idées préconçues. Ils perçoivent le monde tel qu'il leur apparaît. S'il est ardu, c'est ardu pour eux. S'il est beau, il est beau pour eux. C'est nous qui projetons sur eux nos jugements, autrement les enfants sont généralement neutres.
Comment avez-vous découvert vos jeunes comédiens, notamment Baneen Ahmed Nayyef qui interprète Lamia et qui est avec vous à Cannes ? Comment les enfants ont-ils réagi à cette époque dont ils ne connaissent rien ?
C'est un casting de rue : nous avons trouvé certains à l'école, d'autres dans la rue. Nous avons multiplié les auditions et essayé de créer une dynamique qui leur semble réaliste. Pour le reste, il faut se fier à son instinct, c'est un parcours. C'est vrai que ces enfants ne connaissent rien à l'époque, mais ils savent que c'est que la précarité, la faim, se battre pour survivre, l'amitié, l'amour… Ce sont de véritables ressorts émotionnels qui permettent à n'importe quelle histoire de résister au temps.
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Dessins, photos, peintures : on voit des portraits de Saddam Hussein presque dans chaque plan du film. Où les avez-vous trouvés ?
C'est le résultat de nos recherches et les portraits ont été ensuite imprimés. La philosophie derrière tout ça est simple : Big Brother vous surveille. Quel que soit ce que vous faites, il vous regarde en riant.
Cannes est l'endroit où l'on prend des nouvelles du cinéma à travers le monde. Que peut-on dire du 7e art en Irak ?
Il émerge. Des années 1990 à 2003, année de la chute de Saddam Hussein, il n'y avait pas de cinéma. Les salles ont été fermées et transformées en entrepôts pour certaines. D'autres ont commencé à projeter des films érotiques. En réalité, on ne pouvait même pas importer des films parce qu'ils contiennent des substances chimiques qui peuvent être utilisées dans une arme. À partir de 2003, quand le pays s'est rouvert et jusqu'à aujourd'hui, nous n'avons même pas produit une cinquantaine de films [à titre de comparaison, les membres de la Société des producteurs indépendants en France présentent 57 films cette année sur la Croisette].
Il semble que c'est une première, depuis très longtemps, de voir un film irakien à un festival...
Oui, c'est le premier film tourné dans le sud de l'Irak, dans des décors réels et des lieux historiques, avec une distribution entièrement irakienne.
Vous évoquiez les conséquences de ce qui est arrivé à l'Irak dans les années 1990, comment les résumeriez-vous ?
Elles sont multiples et fortement liées à des questions géopolitiques. Je peux néanmoins dire une chose : les sanctions ne les résoudront pas et favoriseront les dictateurs. Prenez n'importe quel pays qui fait l'objet de sanctions et dites-moi si le dirigeant s'affaiblit ou devient plus fort ? Quand on limite les ressources, les gens au pouvoir deviennent plus puissants. Montrez-moi un pays sous sanctions qui n'a pas vu la corruption se développer comme un cancer ! Je crois que, d'une certaine manière, les sanctions peuvent devenir plus violentes que des roquettes. Ce n'est pas parce qu'on ne les voit pas exploser qu'elles ne le sont pas.