REPORTAGE. "J'espère reprendre le cours de ma vie" : à la prison de Washington, des émeutiers du Capitole et leurs proches attendent une grâce de Donald Trump

Il faut longer plusieurs voitures de police avant d'apercevoir dans la pénombre l'imposant bâtiment hypersécurisé. La prison de Washington se détache derrière des barbelés, à côté d'un cimetière recouvert d'un fin manteau de neige. Devant la grille, un petit groupe installe pancartes religieuses et drapeaux américains avant d'allumer une enceinte. Il est près de 20 heures, mercredi 15 janvier, et la 898e veillée en soutien aux émeutiers du 6 janvier débute à l'est du Capitole. Bienvenue au "coin de la liberté".

Le serment d'allégeance au drapeau des Etats-Unis résonne devant le vaste complexe carcéral. "Une nation unie sous l'autorité de Dieu et indivisible, avec la liberté et la justice pour tous !", clament cette poignée d'Américains enjoués, micro à la main. Des proches et soutiens d'émeutiers impatients à l'approche de l'investiture de Donald Trump, lundi à Washington. Le président élu, dans une récente interview à NBC News, s'est engagé à gracier "très probablement" et "très vite" des participants à l'assaut sur le Congrès, en 2021.

Cette violente contestation des résultats de l'élection présidentielle de 2020 est vue comme "un jour d'amour" par le républicain, qui avait chauffé à blanc ses partisans quelques heures plus tôt. Ce jour-là et ceux qui ont suivi, sept personnes dont trois policiers ont péri, d'après un rapport bipartisan du Sénat*. Deux autres agents intervenus au Capitole se sont suicidés des mois plus tard, rapporte le New York Times. En quatre ans, 1 583 personnes ont été inculpées pour des crimes liés à cette attaque, notait début janvier le ministère de la Justice

"J'attends que Trump prenne ses fonctions et commue ma peine"

"Seigneur, je te remercie, je suis heureux d'être désormais sorti de cette prison", lance au micro Brandon Fellows, à peine 30 ans, casquette Make America Great Again (Maga) à l'envers. France Télévisions l'avait rencontré quelques heures avant son arrestation, le 16 janvier 2021. Dix jours plus tôt, ce gérant d'une petite entreprise de cheminées pénétrait dans l'antre du pouvoir législatif américain et allumait un joint dans le bureau d'un sénateur. Il a été poursuivi, entre autres, pour "trouble à l'ordre public"*. 

Depuis, "j'ai fait 12 prisons différentes en 1075 jours", dont celle face à lui, raconte le trumpiste, toujours en colère. "J'ai passé six mois à l'isolement. J'avais envie de tuer ces gardes", lâche l'Américain de l'Etat de New York, en liberté surveillée depuis sa sortie en mai. "J'attends que Trump prenne ses fonctions et commue ma peine (…) J'espère reprendre le cours de ma vie", confie le mis en cause, l'air confiant. 

La prison de Washington (Etats-Unis), le 15 janvier 2025. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Lundi, premier jour d'une nouvelle ère Trump aux Etats-Unis, sera un jour de "célébration" pour Brandon Fellows. Une fête bien arrosée est en préparation, s'amuse-t-il. "Ce sera triste aussi, car en l'espace d'un mois, je risque de dire au revoir à tant d'amis que je me suis fait ici", pointe l'habitué des veillées devant la prison, convaincu que Donald Trump tiendra sa promesse.

"Je me sens en sécurité. Je pense que d'ici le 1er mars, les trois quarts des peines ou plus seront commuées ou graciées."

Brandon Fellows, poursuivi après l'attaque du Capitole

à franceinfo

Au loin, un détenu en uniforme orange salue les manifestants depuis une fenêtre de la prison. Une tradition s'est installée : entre deux morceaux de musique country, des émeutiers incarcérés à Washington téléphonent au petit groupe de soutien, leur voix amplifiées par l'enceinte. "J'ai tellement hâte de sortir", confie Dominic Box, bavard et persuadé d'être "à cinq jours" de sa libération. Pour lui, les poursuites pour "troubles civils" ou encore "troubles à l'ordre public" seront bientôt derrière lui. "Je suis très, très heureux. Cela fait dix-huit mois que je suis en prison. Là, je me sens super bien. Je sais que je vais bientôt retrouver mes amis." 

"Donald Trump a un plan"

Nicole Reffitt tient le téléphone dans la nuit glaciale. "Serons-nous tous graciés le premier jour ? Aurons-nous tous la même grâce ? Franchement, je ne sais pas", doute un des détenus en ligne. "Vos amis du 6 janvier, vos frères, vos femmes et enfants vont rentrer à la maison !", assure un autre. Sous son bonnet rouge Maga, Nicole Reffitt sourit.

Nicole Reffitt, le 15 janvier 2025 devant la prison de Washington (Etats-Unis). (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Quatre ans plus tôt, l'assaut du Capitole a "bouleversé" la vie de cette Texane de 52 ans, déchirant en même temps sa famille. Dénoncé par un fils inquiet, son mari, Guy, a été le premier émeutier jugé pour l'attaque du 6 janvier. Il portait une arme lors de l'assaut, et a été reconnu coupable, entre autres, de "troubles civils". Sa peine avoisine sept ans de prison. "Il est très enthousiaste, convaincu que de bonnes choses vont arriver", confie sa femme, qui l'appelle deux fois par jour. Les ponts sont coupés avec son fils, mais Nicole Reffitt lui écrit un SMS "environ toutes les deux semaines", "pour lui dire de ne pas oublier que je l'aime". Figure des veillées de soutien aux émeutiers, l'Américaine à la voix rieuse a quitté le Texas pour s'installer dans la capitale.  

"J'ai très hâte de voir ce qui va se passer. Donald Trump a un plan, je suis convaincue qu'il va faire quelque chose de très positif."

Nicole Reffitt, femme d'un émeutier du 6 janvier

à franceinfo

A ses yeux, le nouveau locataire de la Maison Blanche va réduire certaines peines, "mettre des procès en pause" et "regarder qui mérite une grâce" présidentielle. "Tout le monde ne le mérite pas", estime Nicole Reffitt. Elle espère retrouver vite son mari, un préalable à la "guérison" familiale. 

"On est prêts !"

Vers la fin de la veillée, l'Américaine clame les noms des personnes mortes en lien avec l'assaut sur le Congrès américain. "Ashli Babbitt ! Ashli Babbitt ! Ashli Babitt !", chantent les quelques manifestants, en hommage à cette vétérane et partisane de Donald Trump tuée par un policier au Capitole. Les visages de plusieurs morts du 6 janvier apparaissent sur des pancartes illuminées par des bougies le long du cimetière. Avec cette légende : "assassinés par la police du Capitole". Seul un policier y est représenté. 

Le lendemain, le petit groupe s'agrandit sous quelques flocons de neige. Certains visages déjà rencontrés reviennent, comme Brandon Fellows. Cette fois, il porte une veste de l'agence du contrôle de l'immigration américaine. "On est prêts !", lance Nicole Reffitt. 

Tina et Mary Pollock, proches d'émeutiers du 6 janvier, le 16 janvier 2025 devant la prison de Washington (Etats-Unis). (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Ce soir-là, la mère d'Ashli Babbitt est là aussi. Micki Witthoeft, le visage emmitouflé, est celle qui a initié ces veillées en mémoire de sa fille, à l'été 2022. Elle aussi est "pleine d'espoir" pour les émeutiers du 6 janvier, persuadée que plusieurs grâces seront bientôt prononcées. 

"J'ai parlé au président Trump la semaine dernière. Il m'a dit qu'il les aimait et de garder le moral." 

Micki Withoeft, mère d'Ashli Babbitt

à franceinfo

Lundi, ces proches d'émeutiers attendront à nouveau de pied ferme devant l'établissement pénitentiaire de Washington, prêts à accueillir à bras ouverts des détenus qu'ils imaginent déjà libres. La "communauté du 6 janvier" collecte manteaux, pantalons chauds et téléphones pour offrir de premières affaires aux émeutiers relâchés. Tina Pollock, 60 ans, est venue de Floride avec sa fille, Mary, dans l'attente des premières sorties de prison. Deux de ses enfants sont ce soir derrière ces murs. Ils sont poursuivis pour agression de fonctionnaires, parmi d'autres accusations. Se retrouveront-ils bientôt ? L'Américaine se dit "confiante à 100%".

* Les liens suivis d'un astérisque renvoient vers un document PDF.