Guerre en Ukraine : les soldats nord-coréens déjà en train de déserter en Russie ?

Un pays tiers directement impliqué dans la guerre russo-ukrainienne ? Après les accusations formulées par Volodymyr Zelensky lors d’un sommet européen où le président ukrainien était venu défendre son "plan de victoire", les États-Unis ont confirmé mercredi 23 octobre la présence de soldats nord-coréens en Russie.

"Nous avons la preuve que des troupes nord-coréennes se sont rendues en (...) Russie", a déclaré à des journalistes le ministre américain de la Défense, Lloyd Austin.

"Qu'est-ce qu'ils (les Nord-Coréens) font exactement ? Cela reste à voir", a-t-il poursuivi. "S'ils sont cobelligérants, s'ils ont l'intention de participer à cette guerre au nom de la Russie, c'est une question très, très grave."

Une image satellite fournie par le Service national de renseignement (NIS) de Corée du Sud montre des transferts de troupes nord-coréennes par bateau.
Une image satellite fournie par le Service national de renseignement (NIS) de Corée du Sud montre des transferts de troupes nord-coréennes par bateau. © NIS

À Bruxelles, une porte-parole de l'Otan a de son côté déclaré que les pays de l'Alliance atlantique avaient "confirmé les preuves du déploiement de troupes de la Corée du Nord en Russie". "Si ces troupes étaient destinées à combattre en Ukraine, cela marquerait une escalade significative du soutien de la Corée du Nord à la guerre illégale de la Russie", a-t-elle ajouté.

C'est la première fois que Washington et ses alliés évoquent publiquement des "preuves" de la présence de ces militaires nord-coréens sur le sol russe. Avant cela, un rapport de l'agence de renseignement sud-coréenne (NIS) avait indiqué que Pyongyang avait envoyé un premier contingent de 1 500 hommes entre le 8 et le 13 octobre. D'après Séoul, jusqu'à 12 000 soldats nord-coréens pourraient être déployés par Pyongyang, qui réfute ce qu'il présente comme des "rumeurs", tandis que la Russie se contente de réponses évasives.

Une image satellite fournie par le service de renseignement sud-coréen (NIS) montre des troupes nord-coréennes dans une base militaire russe.
Une image satellite fournie par le service de renseignement sud-coréen (NIS) montre des troupes nord-coréennes dans une base militaire russe. © NIS

Face aux manœuvres de son turbulent voisin, la Corée du Sud, exportateur majeur d'armements, a indiqué jeudi qu'elle envisageait désormais de fournir des armes à l'Ukraine. "Bien que nous ayons suivi le principe consistant à ne pas fournir directement d'armes létales, nous pourrions revoir cette question avec plus de souplesse en fonction des actions des forces nord-coréennes", a déclaré le président Yoon Suk-yeol lors d'une conférence de presse avec le président polonais, Andrzej Duda, à Séoul.

Le mythe d'une nation "invincible"

Le 15 octobre, à peine une semaine après l'arrivée présumée des premiers soldats de Kim Jong-un, la chaîne de télévision publique ukrainienne Suspilne a assuré que des troupes nord-coréennes avaient déjà été déployées dans les régions russes de Briansk et de Koursk, où Kiev contrôle plusieurs centaines de kilomètres carrés depuis son offensive surprise déclenchée début août.

Mais l'arrivée en Russie de ces soldats issus des rangs de l'Armée populaire de Corée semblent déjà poser un certain nombre de défis. Selon le renseignement ukrainien, 18 soldats déployés en Russie ont déjà déserté leurs positions, abandonnant leurs postes après avoir été laissés dans une zone forestière sans nourriture ni instructions de la part de l'armée russe. Ces soldats nord-coréens ont ensuite été retrouvés et mis aux arrêts par les forces russes.

Bien que ces informations n'aient pas pu être vérifiées de manière indépendante, elles illustrent la difficulté d'intégrer ces militaires venus d'Extrême-Orient au sein de la machine de guerre russe. Au-delà des barrières linguistique et culturelle, les troupes nord-coréennes pourraient souffrir d'une brutale exposition à la réalité du champ de bataille, loin du monde clos de la Corée du Nord bâti par la dynastie Kim.

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"La Corée du Nord a l'une des plus grandes armées du monde, mais ce n'est pas une bonne armée. Elle repose sur la masse, et aucun de ses soldats n'a été testé au combat", explique Hugh Griffiths, spécialiste des sanctions à l'ONU et ancien coordinateur d'un panel d'experts sur la Corée du Nord.

Pyongyang possède en effet l'une des plus importantes forces militaires conventionnelles avec plus de 1,2 million de soldats actifs mais ses équipements sont vieillissants et datent pour la plupart de l'époque de la Guerre froide.

"Ils vont se retrouver dans des situations où ils pourront distinguer la vérité du mensonge", poursuit l'expert, notant que la propagande de Kim Jong-un faisant de la Corée du Nord un pays "invincible" sera la première bulle à éclater, ce qui pèsera nécessairement sur le moral des troupes.

"Les Ukrainiens vont les bombarder et cela fera apparaître une défaite nord-coréenne. Ce n'est pas quelque chose que l'on voit dans le pays. Cela ne va pas bien se passer pour eux", conclut Hugh Griffiths, soulignant que les dures réalités de la guerre auront des "implications profondes sur leur vision du monde".

"Le pire cauchemar" de Kim Jong-un

Les soldats nord-coréens vont aussi découvrir des libertés qu'ils n'ont jamais connues auparavant, ou même dont ils ignoraient l'existence.

"Ils ne peuvent pas être isolés de la même manière qu'en temps de paix. Ils vont rencontrer des Russes qui bénéficient d'un niveau de vie légèrement supérieur et qui ont accès à des téléphones mobiles et aux réseaux sociaux, comme Telegram, etc.", détaille Hugh Griffiths.

De simples objets de la vie quotidienne pourraient également ébranler leurs certitudes, estime l'expert, qui cite l'exemple "des cigarettes russes, bien meilleures que les cigarettes nord-coréennes. Ce sera un vrai luxe de leur point de vue."

Chaque soldat recevra une solde d'environ 2 000 dollars par mois, soit 1 800 euros, plus que le salaire moyen annuel en Corée du Nord. Par ailleurs, la Russie recrute actuellement des interprètes pour former certains militaires au maniement de drones et d'équipements high-tech, selon les services de renseignement sud-coréens.

Mais quelles seront les conditions d'engagement des troupes nord-coréennes ? Selon Hugh Griffiths, ces soldats ont toutes les chances de finir dans le "hachoir à viande" de la guerre en Ukraine. "Ils ne seront pas bien traités et seront utilisés comme de la chair à canon. Ils réaliseront alors que c'est un aller simple, ce qui va probablement générer des défections et des désertions."

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Selon Edward Howell, membre de la Fondation pour la Corée au sein du cercle de réflexion Chatham House et auteur de "North Korea and the Global Nuclear Order" (non traduit), les défections dans l'armée constituent l'un des pires cauchemars de Kim Jong-un car elles remettent en cause le fondement de la légitimité de son régime.

"De nombreux Nord-Coréens, appartenant ou non à l'élite et ayant décidé de faire défection, ont commencé par constater que le point de vue du régime nord-coréen sur le monde extérieur et l'image qu'il en donne sont franchement mensongers", analyse Edward Howell, qui rappelle que la Corée du Nord se montre intraitable sur le sujet, comme l'a montré l'assassinat du demi-frère de Kim Jong-un dans un aéroport de Kuala Lumpur en 2017 ou encore le renforcement des contrôles à l'intérieur du pays, appliqués depuis l'arrivée au pouvoir de l'actuel leader nord-coréen en 2011.

"Même si ces troupes jeunes et se conformant aux diktats de Kim Jong-un ont été triées sur le volet, des désertions ne peuvent pas être exclues. Pour de nombreux soldats, cette possibilité doit leur trotter dans la tête", estime Edward Howell.

Alliance d'États parias

Cependant, Kim Jong-un a certainement pesé le pour et contre avant d'accepter de soutenir l'armée russe avec ses propres forces. En juin, le dictateur nord-coréen a signé un partenariat stratégique avec le président russe Vladimir Poutine. Hasard du calendrier ou volonté d'affichage, ce traité vient d'être ratifié, mercredi, par le Parlement russe. Il prévoit notamment une "aide militaire immédiate" en cas d'agression armée d'un pays tiers.

Les analystes affirment qu'il s'agit de l'accord le plus important entre les deux pays alliés depuis la Guerre froide. "Les avantages sont bien trop importants pour que la Corée du Nord pense que cet accord soit une erreur", explique Edward Howell, rappelant que l'État paria reçoit, en échange, de l'argent, de la nourriture, une assistance militaire et des transferts de technologie satellite de la part de la Russie. "La seule chose que le régime nord-coréen veut vraiment, c'est être perçu comme une puissance nucléaire de facto", ajoute l'expert.

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De son côté, Moscou pourrait voir dans l'arrivée de ces soldats une solution à une partie de ses problèmes de ressources humaines. "La Russie souffre d'un manque aigu de personnel sur le front", relève Vladimir Tikhonov, spécialiste des questions coréennes à l'université d'Oslo, interrogé par l'AFP.

Des Nord-Coréens peuvent ainsi prendre en charge des fonctions à l'arrière "permettant à des soldats russes auparavant occupés par la logistique d'être envoyés vers le front", avance-t-il.

Pour Moscou, ce déploiement pourrait aussi constituer un test, après plus de deux ans et demi de guerre, afin de "jauger la réaction de l'Otan ou de la communauté internationale" à l'implication de nouveaux acteurs, juge Lee Dong-gyu, chercheur à l'Asan Institute for Policy Studies, basé à Séoul.

Malgré les avantages que la Russie et la Corée du Nord espèrent tirer de cette alliance, Hugh Griffiths estime que les deux parties font une "mauvaise évaluation" de la situation, pointant du doigt le risque élevé de défections parmi les troupes nord-coréennes. "Rien de tout cela ne va bien se terminer", prédit le spécialiste la Corée du Nord à l'ONU. "Ni pour Kim, ni pour Poutine."

Article adapté de l'anglais par Grégoire Sauvage. L'original est à retrouver ici.