2025, bicentenaire de la contre-révolution
Par Pierre Serna, historien, chercheur à l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHMC)
En novembre 1803, sur les collines de Vertières, pour la première fois dans l’histoire des empires coloniaux, d’anciens esclaves, devenus citoyens par leur combat depuis 1791 et l’abolition officielle de leur servitude par les députés de la Convention, le 4 février 1794, battent le corps expéditionnaire d’une métropole. Parallèlement, la République avait organisé la vente des biens nationaux, et notamment ceux des biens des émigrés, nobles pour la plupart, qui avaient fui leur pays, voire trahi leur patrie en luttant dans les armées de la contre-révolution. Ces deux histoires distantes d’un océan convergent après le coup d’État de Bonaparte. Le Premier consul désire rétablir l’ordre à Saint-Domingue ainsi que l’esclavage, n’épargnant pas la Guadeloupe et la Guyane, et veut aussi terminer la vente des biens nationaux, afin de réconcilier les anciennes et les nouvelles élites. Las, il dut se résoudre à perdre un corps expéditionnaire entier dont la défaite permit la déclaration de l’indépendance d’Haïti par le général Dessalines en janvier 1804. Cette même année vit la sacralisation de la propriété privée par la rédaction du Code civil, faisant des pères de famille les maîtres d’un régime autoritaire, régnant désormais sur la société et leurs femmes, à la condition de courber l’échine devant leur chef.
Onze ans plus tard, l’épopée napoléonienne terminée de façon catastrophique, la Restauration remit sur le trône les deux frères de Louis Capet. Bien connu pour ses idées réactionnaires, Charles X ne perd pas de temps, après la mort de son frère en 1824, pour imposer deux décisions parmi les plus contre-révolutionnaires qui soient, dans l’histoire des régressions législatives françaises. Le 17 avril 1825, le roi signe l’ordonnance reconnaissant l’indépendance d’Haïti, contre le paiement d’une somme de 150 millions de francs. C’était là imposer un bien trop lourd tribut à la jeune nation née de la violence de la guerre coloniale, et déjà en proie à un caporalisme agraire, allant contre les intérêts de son peuple. Le lobby des anciens planteurs revenus en France, incarné par le ministre Villèle, lui-même riche propriétaire à l’île Bourbon (La Réunion), avait vaincu, affaiblissant durablement Haïti.
Ne songeant qu’à leurs intérêts, les anciens possédants exigeaient d’être indemnisés des pertes de leurs plantations, véritable enfer concentrationnaire pour les centaines de milliers d’esclaves qui avaient trimé pour les enrichir. On oublie trop souvent que, dix jours plus tard, le 27 avril, le roi fait promulguer la loi dite du « Milliard des émigrés », afin d’indemniser ceux qui avaient vu leurs propriétés vendues sous la forme de biens nationaux. Les Français devaient acquitter cette somme par leurs impôts, au cours des trente annuités suivantes. Rarement les deux événements ont été étudiés et pensés ensemble. C’est pourtant la même logique contre-révolutionnaire qui les anime (1).
Dans le premier cas est bafouée l’indépendance qu’une nation a conquise à la force de ses armes et soutenue par les principes universalistes et égalitaires de la Révolution française. Dans le second cas, est renforcée la masse de granit que constituent les propriétaires, anciens aristocrates remis au niveau des nouveaux possédants, enrichis lors de la Révolution bourgeoise, tous ceux que ne va pas tarder de décrire et disséquer le jeune Marx en 1843 dans sa « Critique de l’État hégélien ». Une loi ne va pas sans l’autre. La réaction contre-révolutionnaire est à l’œuvre en 1825 qui met à genoux un pays pauvre, et enrichit toujours davantage les puissants. Deux cents ans plus tard, nous devons rappeler et scruter le bicentenaire de ces deux décisions néfastes, tout en luttant contre les nouveaux visages incarnant les méfaits de la contre-révolution d’hier, et plus que jamais d’actualité.
(1) « Contre la Révolution française, contre la Révolution haïtienne, les indemnités de 1825 », colloque organisé par l’université de Paris-I et l’Apece (Association pour l’étude de la colonisation européenne), 10-12 avril 2025.
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