Festival de Cannes 2025 : Juliette Binoche, présidente du jury et star rebelle
On dit que la réalité dépasse souvent la fiction. Dans la série Dix pour cent, Juliette Binoche incarnait, avec dérision, son propre rôle en maîtresse de cérémonie stressée au Festival de Cannes.
Cette année, pour de vrai, elle se voit confier l'honneur de présider le jury de la grand-messe du cinéma français. Un rôle taillé sur mesure pour cette actrice déjà rodé à l'exercice. En 2019, elle se retrouvait à la tête du jury de la Berlinale. Ces deux festivals ont, par le passé, récompensé ses talents d'actrice.
À l'annonce de sa nomination, mardi 4 février, l'actrice française, âgée de 61 ans, a exprimé sa gratitude sur Instagram : "En 1985, je montais les marches pour la première fois avec l'enthousiasme et l'incertitude d'une jeune actrice. Je n'imaginais pas revenir quarante ans après dans ce rôle honorifique de présidente du jury. J'en pèse le privilège, la responsabilité et la nécessité absolue d'humilité."
Oscarisée, césarisée et sacrée à Cannes, Venise et Berlin
C'est donc quarante ans qui se sont écoulés depuis le premier sacre de Juliette Binoche, à Cannes. Tout juste âgée de 20 ans, la jeune actrice faisait une apparition remarquée au festival. Aux côtés de l'équipe du film Rendez-vous du réalisateur André Téchiné, elle célébrait son premier grand succès d'actrice. Le début d'une longue carrière, phénoménale, en quantité de films tournés, plus de soixante-dix, de récompenses (un Oscar, des César et des prix d'interprétation à Cannes, Venise et Berlin) et de rencontres artistiques.
"Je suis née à Cannes."
Juliette Binoche
Les cinéastes Michael Haneke, Olivier Assayas, Claire Denis, Chantal Akerman, Anthony Minghella, Leos Carax ou encore Jean-Luc Godard lui ont offert des rôles dans leurs films. Juliette Binoche a joué aux côtés de nombreuses stars du cinéma : Daniel Day-Lewis, Steve Carell, Johnny Depp, Morgan Freeman, Ralph Fiennes, Yolande Moreau, Noémie Lvovsky, Lambert Wilson, Benoît Magimel, Colin Firth. Cette filmographie rend compte d'une actrice culte, tout-terrain, déterminée et spontanée, devenue le joyau du cinéma français et la coqueluche des studios hollywoodiens.
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Pourtant, tout commence par le théâtre. Fille de comédiens, elle joue à son tour dans des pièces de théâtre, tout en occupant un emploi de caissière au BHV. Parallèlement, Juliette Binoche enchaîne les castings et rencontre à cette occasion l'agent Dominique Besnehard. Des photos d'elle prise par son petit ami de l'époque circulent dans le milieu et tapent dans l'œil du célébrissime Jean-Luc Godard qui lui propose un rôle dans son film, Je vous salue, Marie, en 1983. C'est une deuxième expérience d'actrice pour la jeune Binoche qui avait déjà fait une apparition dans un film de Pascal Kané.
Puis, elle décroche un rôle dans La Vie de famille de Jacques Doillon, et enfin, c'est la rencontre déterminante avec André Téchiné. Le réalisateur lui offre le premier rôle de son film aux côtés de Lambert Wilson, et Rendez-vous remporte le prix de la mise en scène à Cannes, en 1985. Depuis sa première montée des marches, le succès sourit à l'actrice qui reconnaît souvent être "née à Cannes". Ce premier succès cannois lui ouvre la porte des César où elle est nommée, les deux années suivantes, pour son interprétation dans Rendez-Vous (1986) et Mauvais sang (1987).
Elle a dit non (trois fois) à Spielberg
À la fin des années 1980, Juliette Binoche rencontre Leos Carax qui fut son compagnon et réalisateur. Elle tourne dans Mauvais sang, un film d'avant-garde sur le sida avec Michel Piccoli et Denis Lavant. En 1988, ils débutent le tournage des Amants du Pont-Neuf, un projet de longue haleine sorti en salles en 1991.
"Pendant ma préparation du film, j'ai accompagné une jeune femme, Véronique, qui vivait dans la rue, ancienne toxico (...) Deux fois, durant ces immersions qui pouvaient durer plusieurs semaines, j'ai été agressée, et une autre fois, j'ai vraiment eu peur, j'ai failli me faire violer dans un hôtel misérable à Strasbourg-Saint-Denis qui s'est révélé être un hôtel de passe", raconte Juliette Binoche à Libération. Un tournage éprouvant pour l'actrice qui a failli y laisser sa vie lors d'une scène de plongée dans la Seine.
À cette époque, Juliette Binoche est propulsée sur la scène internationale grâce à l'adaptation de L'Insoutenable légèreté de l'être par Philip Kaufman. C'est son premier rôle en anglais et le début de sa carrière internationale, même si l'actrice n'abandonne jamais le giron français et le cinéma d'auteur. Pour tourner dans Trois couleurs : Bleu du réalisateur polonais Krzysztof Kieslowski, elle refuse le rôle du Dr Ellie Sattler que lui propose Steven Spielberg dans Jurassic Park (tout comme elle avait refusé de jouer dans Indiana Jones et dira également non à La Liste de Schindler). Un choix astucieux, car l'actrice reçoit son premier César, ainsi que la Coupe Volpi et le prix Pasinetti à la Mostra pour sa prestation dans Bleu.
En 1996, c'est la consécration avec Le Patient anglais d'Anthony Minghella. À Los Angeles, Juliette Binoche reçoit l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle. Depuis, elle a été nommée onze fois aux César, deux fois aux Oscars, trois fois aux Golden Globes, deux fois aux Bafta, du jamais-vu pour une actrice française. Elle est d'ailleurs la seule, avec Julianne Moore, à avoir été récompensée aux trois festivals européens de cinéma : Cannes, Berlin et Venise. "Il y a trente ans, trois autres actrices de la même génération étaient sur la ligne de départ : Marceau, Béart, Bonnaire. Toutes talentueuses. Mais regardez aujourd'hui la filmographie de Juliette, il n'y a pas photo", confirme son agent, François Samuelson, au magazine Elle.
La recette de cette carrière éclair ponctuée de grandes réussites ? Un dévouement total digne des plus grands artistes : "Sauter en parachute, plonger dans la Seine à 6 degrés, s'épuiser à la mesure des personnages qu'on joue : pendant des années, ne pas faire semblant était pour moi la moindre des choses", assure l'actrice au journal Libération. Cette travailleuse acharnée a su séduire les géants du cinéma d'auteur comme des blockbusters grâce à sa fougue. Depuis les années 2000, Juliette Binoche tourne avec Michael Haneke (Code inconnu, Caché), Lasse Hallström (Le Chocolat), Olivier Assayas (Sils Maria), David Cronenberg (Cosmopolis) et Uberto Pasolini (The Return).
Jamais essoufflée, celle qui dit "être née pressée" (Marie-Claire) entretient une relation pérenne avec l'écran. "Je n'ai jamais fait le dos rond, ni eu besoin de sortir les griffes. L'adaptation est la première qualité de l'acteur, mais savoir dire non, c'est aussi un devoir. J'ai mis du temps à l'apprendre", revendique l'actrice. Une force de caractère qui la définit comme actrice, mais aussi dans la vie, où ses prises de position, parfois polémiques, sont toujours le cri honnête d'une femme convaincue.
Une actrice engagée et fédératrice
Depuis le début de sa carrière, Juliette Binoche revendique son engagement en faveur de la cause environnementale. Un combat qu'elle associe à son enfance passée dans le Loir-et-Cher. En 2018, elle réalise un coup d'éclat avec l'astrophysicien Aurélien Barrau et signe une tribune dans le journal Le Monde intitulée "Le plus grand défi de l'histoire de l'humanité". Cette pétition alerte sur les dangers du mode de vie occidental sur le climat et réunit 200 signatures de célébrités du monde de la culture, parmi elles : Robert De Niro, Pedro Almodovar, Madonna ou encore Alain Delon.
Cet exemple est une démonstration de plus : Juliette Binoche connaît tout le monde et tout le monde du cinéma la connaît. Elle est la seule actrice française à ce jour à naviguer à travers autant d'univers cinématographiques, y compris le cercle très fermé de Hollywood. Une figure consensuelle, admirée et aimée de ses pairs, quel meilleur choix pour la présidence du jury du Festival de Cannes ? Cette année, le cinéma et Juliette Binoche seront le trait d'union de ce beau monde et de son rendez-vous annuel sur la Croisette.
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