Fin du monde ou fin du mois… Faut-il choisir ? (1/2)

L’offre urbaine doit prendre en compte l’aspiration à la protection sociale et envisager le foncier comme un bien écologique de première nécessité

Marianne Margaté

Sénatrice PCF de Seine-et-Marne

On nous demande trop souvent de choisir entre la protection sociale et la protection de l’environnement, entre l’urgence de vivre dignement et l’impérieuse nécessité d’anticiper les bouleversements des conditions de vie sur notre planète. Entre ceux qui utilisent l’argument écologique pour refuser la construction de logements sociaux et d’autres qui justifient leur prédation environnementale par nos difficultés collectives à promettre des lendemains qui chantent, on nous offre le choix entre de mauvaises solutions.

J’ai toujours refusé ces théorèmes de la désespérance, car la transition écologique passe par la production de nouvelles régulations (autrement dit par une réinvention d’un partage équitable de la valeur produite) et par une offre urbaine qui prend en compte ces deux aspirations.

Personne ne peut croire sérieusement que l’on peut construire un monde respectueux de la planète en évacuant la question sociale. Pour ne rien perdre de l’ambition d’offrir un logement pour toutes et tous, il faut empêcher la spéculation de décider des prix de nos loyers, de la valeur de l’accession, des territoires, des formes urbaines et architecturales où l’on peut vivre. Nous devons pour cela envisager le foncier comme un bien écologique de première nécessité.

La loi climat et résilience impose déjà le zéro artificialisation net pour repenser notre rapport au sol. Recyclage et restructuration, dépollution, surélévation, coutures d’aires urbaines disjointes : la fabrique de la ville change fondamentalement par ces impératifs écologiques, sans mécaniquement faire monter les prix si on lui associe d’urgence une régulation forte du marché foncier en revoyant la fiscalité (qui encourage aujourd’hui la détention spéculative), en encadrant les prix comme on sait encadrer les loyers, en destinant les fonciers publics en priorité aux projets d’intérêt général.

Ensuite, nous devons continuer de travailler sur le coût et la sobriété du logement pour offrir, dans la durée, des logements accessibles financièrement. Cela passe par la réhabilitation massive pour limiter drastiquement les charges énergétiques, l’utilisation des écomatériaux qui renforcent la qualité de l’habitat, le maintien d’un parc social de logements adaptés aux besoins.

Cette vraie rupture avec des décennies de déconnexion entre le prix d’un logement et le salaire moyen des Français passe aussi par la transformation de la ville, forcément un peu plus dense qu’aujourd’hui. Une ville où l’on gaspille moins d’espaces, mais partage plus de communs. Une ville à rafraîchir par la renaturation pour qu’elle ne devienne pas invivable. Une cité nouvelle avec des services publics et privés de qualité à proximité, sans voiture indispensable, qui ne mord pas sur la biodiversité. C’est en renouvelant ainsi nos désirs d’urbanité que nous donnerons envie au plus grand nombre d’une société qui n’opposera plus l’attention écologique au progrès social.

Le logement n’est pas une marchandise source de profit, mais un bien d’intérêt supérieur pour ceux qui y vivent comme pour notre avenir commun

Marianne Margaté

Sénatrice PCF de Seine-et-Marne

Le logement est une condition de vie, il est parfois un facteur aggravant de mal-vie. Le logement est aussi un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre. L’enjeu est tout à la fois d’agir par la rénovation pour limiter le réchauffement climatique, mais également pour adapter nos logements au changement climatique pour continuer à y vivre, au sens premier.

Abordons cette question de « la fin du monde/fin du mois » d’un point de vue marxiste. Mon propos n’est pas de défendre des valeurs universelles pour elles-mêmes, mais les intérêts des travailleurs. Et c’est dans son mouvement historique que le monde du travail contient l’universel. La rénovation énergétique est une problématique sociale ancrée dans le quotidien de nos concitoyens qui consacrent 40 %, voire 50 %, de leurs revenus à payer leur loyer, leurs charges ou leurs traites. Ils sont donc dans l’incapacité de relever cet enjeu de lutte contre le réchauffement climatique par la rénovation de leur logement. Pourtant, ils sont les premiers à en subir les effets. 3,5 millions de personnes modestes ont eu froid pour des raisons de précarité énergétique. 55 % des Français ont déclaré avoir eu trop chaud chez eux en 2023.

L’enjeu est là, une ambition publique a été fixée, notre obligation commune : la stratégie nationale bas carbone, adoptée en 2015, vise la baisse de la consommation énergétique des bâtiments et la diminution des émissions de gaz à effet de serre, avec comme cible essentielle les 5 millions de résidences principales considérées comme passoires thermiques. Mais le bilan est sévère : en 2022, seules 66 000 rénovations performantes ont été réalisées alors que l’objectif gouvernemental est de 370 000 par an d’ici 2030, puis 700 000 jusqu’en 2050. Les critiques sont partagées : fraude, effet d’aubaine, dérégulation, artisans du bâtiment écartés, malfaçon de travaux, grandes difficultés à bénéficier de l’éco-prêt à taux zéro…

C’est donc un changement d’orientation qu’il faut opérer, qui ne considère plus le logement comme une marchandise source de profit, mais comme un bien d’intérêt supérieur pour ceux qui y vivent comme pour notre avenir commun sur cette planète. Cette ambition nationale ne pourra aboutir en laissant de côté les ménages modestes et les classes moyennes. Quand on pressure les salaires et les retraites, on essore les capacités contributives de nos concitoyens, les rendant indésirables auprès d’un système bancaire qui ne peut en tirer son profit. L’urgence est donc bien dans la relance de la création d’emplois et de salaires dignes pour assurer le présent, mais aussi l’avenir.

L’urgence est enfin à la mise en œuvre d’une politique publique aux dispositifs stables, dont la question du préfinancement et du reste à charge soit assurée. Elle s’appuierait sur un service public d’accompagnement à la rénovation et serait adossée à une banque publique qui aurait la capacité d’emprunter sur le long terme. Bref, des outils de justice sociale pour notre bien commun !

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