Déménagement d’une école à Saint-Ouen : «Narcotrafic 1 - République 0»

François Diot est thérapeute, spécialiste des conduites addictives  . Il a notamment dirigé un centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues  (Caarud), un centre d’aide pour les toxicomanes.


Parce que l’école maternelle de la cité Arago à Saint-Ouen est victime d’un point de deal à proximité, les parents d’élèves ont été appelés à une votation le jeudi 3 avril pour savoir s’ils souhaitaient ou non que l’école de leurs enfants déménage ailleurs. C’est le maire de cette commune de Seine Saint-Denis, Monsieur Karim Bouamrane, en accord avec le corps enseignant et une partie des parents d’élèves, qui a pris l’initiative d’envisager le déménagement de cette école où, dans la cour de récré, des sachets de drogue ont été trouvés à plusieurs reprises. Difficile de blâmer l’édile et ceux qui l’ont rejoint car ce qui prime à leurs yeux c’est «la sécurité des enfants et des assistantes maternelles».

Mais une telle mesure est lourde de sens. En France, aujourd’hui, même l’école des tout-petits n’est plus sanctuarisée. Avant Saint-Ouen, on avait déjà vu des cas comparables, exemples : en décembre 2022, les parents et les enfants de la Porte de La Chapelle dans le XIXème arrondissement de Paris ont été escortés par la police municipale en raison de la présence de dealers et de consommateurs de crack sur le chemin de l’école ; en février 2025, à Grenoble, la médiathèque Chantal-Mauduit a été ravagée par un feu provoqué par une voiture-bélier sur fond de trafic de stupéfiants. Face au trafic de drogue qui a étendu sa toile tentaculaire partout, le ministre de l’Intérieur et celui de la Justice ont décidé conjointement de s’y attaquer résolument. Et l’Assemblée nationale vient de voter une loi offensive contre le narcotrafic. Tout cela arrive un peu tard. Mais mieux vaut tard que jamais !

Cependant, on est en droit de se demander quelle est la cohérence entre cette politique qui entend réprimer le trafic et celle du ministère de la Santé qui, elle, finance généreusement les salles de consommation de drogue supervisée où les toxicomanes viennent avec leur produit qu’ils achètent à l’extérieur. Quotidiennement à Paris, devant et autour de la salle du Xème arrondissement, ouverte en 2016 et gérée par l’association Gaïa, les dealers font leurs affaires au vu et au su de tous, et les hurlements succèdent aux bagarres et autres incivilités. Plus récemment, la structure d’accueil pour consommateurs de crack installée à Paris Centre a, elle aussi, inévitablement attiré les dealers avec le cortège de désordres attendus pour le voisinage. Quant aux riverains, ce sont eux qui trinquent et malgré leurs courriers aux différents ministères le trafic perdure et l’insécurité demeure. Bref, les pouvoirs publics les condamnent à vivre avec les drogues.

Le cas de l’école de Saint-Ouen est emblématique et il le restera. Mais il n’est que le reflet de l’affaiblissement de l’autorité de l’État dans tous les territoires de la République.

François Diot

Certes, les saisies de drogues sont en constante augmentation et il faut s’en féliciter. Mais c’est la preuve aussi que la consommation de drogue augmente. Voilà qui devrait inquiéter la puissance publique sur la santé psychique des consommateurs et nous interroger sur l’offre de soins qui est proposée. Aujourd’hui, le ministère de la Santé, les agences régionales qui en dépendent, comme la Mission interministérielle de lutte contre les addictions et les pratiques (Mildeca), privilégient la réduction des risques (RDR) liés à l’usage de drogue. La RDR est évidemment nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. Pourtant les subventions accordées aux associations qui prennent en charge les consommateurs de drogues dépassent en global le milliard d’euros chaque année. Mais pour quels résultats ? Ce secteur associatif privilégié, qui bénéficie d’une délégation de mission de service public n’est jamais évalué. N’est-il pas temps de procéder à cette évaluation, à l’heure où la France doit impérativement réduire sa dette, et à la confier à des autorités indépendantes ? Afin d’orienter la politique vers l’augmentation significative du budget alloué à la psychiatrie, vers la prévention, la désintoxication et le maintien dans l’abstinence.

Le cas de l’école de Saint-Ouen est emblématique et il le restera. Mais il n’est que le reflet de l’affaiblissement de l’autorité de l’État dans tous les territoires de la République. La votation locale à laquelle ont été invités les parents d’élèves ne saurait servir de paravent pour masquer la faillite du régalien là où il ne doit pas trembler. Ce recul du régalien est préoccupant car, comme l’a montré Thibault de Montbrial dans son ouvrage Osons l’autorité, notre société est minée par des fractures qui compromettent sa cohésion.