Turbulences sur un vol de Singapore Airlines : "Une descente contrôlée, délibérément choisie par les pilotes", analyse un aviateur
Drame en plein vol. Un passager est mort lors du trajet d'un Boeing 777 entre Londres et Singapour, mardi 21 mai. Vingt passagers de cet avion de Singapore Airlines, qui a connu des turbulences avant un atterrissage d'urgence à Bangkok, se trouvent également en soins intensifs dans des hôpitaux de la capitale thaïlandaise, après un incident exceptionnel.
Singapore Airlines a connu, selon ses explications, "de fortes turbulences" en cours de route. Ce ne sont pourtant pas les turbulences elles-mêmes qui ont provoqué la mort de cet homme, explique Xavier Tytelman, aviateur militaire et rédacteur en chef du magazine Air et Cosmos. Aussi violentes soient-elles ressenties, ces turbulences ne sont pas si importantes que cela dans la réalité, explique le spécialiste sur franceinfo.
franceinfo : On nous dit que l'avion a subi de fortes turbulences et une chute de 1 800 mètres en seulement cinq minutes, est-ce exact ?
Xavier Tytelman : Ce n'est pas une chute. La turbulence fait quelques dizaines de centimètres, voire quelques mètres pour les plus intenses, et après, c'est une descente contrôlée, volontaire, délibérément choisie par les pilotes pour descendre à une altitude où l'on n'est plus dans une zone de turbulences. Il n'y a absolument pas de chute de 1 800 mètres, ça n'existe pas. C'est une mauvaise traduction des explications de la Singapore Airlines. C'est une descente contrôlée.
Il n'y a pas de chute, ça n'existe pas. Donc on est vraiment sur une situation qui est tout à fait maîtrisée. Il y a des turbulences, et oui, 20 cm de turbulences à 800 km/h, quand on le subit, on peut se cogner au plafond et on peut se blesser. La personne qui est décédée, en revanche, c'est une crise cardiaque. Ce n'est même pas lié directement à la turbulence. Il y a quelques années il y avait également eu un mort d'une crise cardiaque mais à la suite d'un hublot qui avait explosé.
Cela s'est passé au-dessus de la mer d'Andaman, au-dessus de la Thaïlande, traversée par des orages en raison du début de la saison des pluies. Est-ce une zone et une période sensibles ?
D'une manière générale, tous les orages peuvent provoquer des situations de turbulences fortes. On a deux types de turbulence qui sont en vol de croisière et qui peuvent provoquer des turbulences intenses. Ce sont soit des turbulences en air clair et donc c'est simplement des courants d'air qui vont monter ou descendre. On les exploite d'ailleurs ces courants d'air. C'est grâce à eux que l'on peut rentrer des États-Unis en seulement 7 heures, alors qu'on met 8 heures à y aller. Sauf que parfois, ils ne sont pas exactement prévisibles et ils peuvent avoir des ascensions, des montées ou des descentes alors que normalement ils sont plutôt horizontaux. Cela, on ne peut pas le prévoir malheureusement.
La deuxième catégorie est liée à des orages et donc là on a des radars météo qui sont relativement efficaces, qui permettent de voir les nuages qui vont se créer devant nous. Sauf que si le nuage est en formation et que l'on est à quelques dizaines de kilomètres, on ne le voit pas et c'est au moment où on arrive à la verticale, que notre radar est devant nous et que le nuage est en dessous de nous, là, on peut avoir des ascensions. Là, aujourd'hui, on ne sait pas exactement ce qui s'est passé pour cet avion, mais vu l'amplitude, vu la hauteur à laquelle il se trouvait, c'est probablement une de ces deux types de turbulences.
Faut-il redouter d'autres fortes turbulences à l'avenir ? Les scientifiques expliquent que le changement climatique est susceptible de provoquer davantage de turbulences invisibles au radar.
Des grosses turbulences de cette ampleur qui vont faire des dizaines de blessés parmi les gens qui ne sont pas attachés, il y en a cinq ou six par an. Donc c'est quand même très rare sur les dizaines de millions de vols qui ont lieu et en réalité il y en a de moins en moins. Et dans l'avenir, on est en train de développer par exemple chez Airbus, un avion, un A340 sur lequel vous avez une sorte de rayon laser qui s'appelle un Lidar, qui est à l'avant de l'avion et qui permet de voir les courants d'air avant qu'on rentre dedans. Si ce système est mis au point, on peut dire que la prochaine génération d'avions pour 2035 sera sans aucune turbulence.
"Le fait que les turbulences augmentent, comme tous les phénomènes violents, les cyclones et tout ce qu'on a au sol, des inondations qui se répètent, ça c'est une certitude. Le fait que les avions soient capables de les compenser, ça aussi, c'est une réalité scientifique et technique."
Xavier Tytelman, aviateur militaireà franceinfo
L'aviation évolue plus vite que le climat. Elle participe évidemment au réchauffement climatique, comme toutes les activités humaines. Mais je ne m'inquiète pas pour le nombre d'accidents et d'incidents parce que les avions sont de plus en plus efficaces. Ils sont conçus pour résister à 150% du maximum des pires turbulences qui peuvent exister dans l'atmosphère terrestre.
Un avion de ligne peut rentrer dans un cyclone ou un ouragan, sans se détruire. Ils sont faits pour cela. D'autres événements impressionnants mais qui ne provoquent pas d'accidents comme celui-ci, je suis certain qu'il y en aura d'autres cette année parce que cela arrive tous les ans. Mais il faut prendre du recul, on n'est pas sur un cas dans lequel l'avion est en danger. Ce qui est fragile dans un avion, ce n'est pas l'avion, ce sont les passagers.