Il ne décolère pas. L’auteur de bande dessinée Jul s’apprêtait à rejoindre les auteurs de BD ayant participé à l’opération « Un livre pour les vacances » destiné aux élèves de CM2. Ce ne sera vraisemblablement le cas. La veille du lancement de l’impression à 900.000 exemplaires de l’album La Belle et la bête illustré par Jul d’après le texte de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, ce classique jeunesse a été tout bonnement annulé par le ministère de l’Éducation nationale.
Un « fait sans précédent », affirme l’auteur de Silex and the City. «Techniquement, compte tenu du nombre de livres concernés devant rejoindre les mains des jeunes lecteurs, c’est peut-être même la plus grosse affaire de censure jamais survenue dans l’édition en France », estime-t-il.
Initiée il y a sept ans par l’ex-ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer en partenariat avec la RMN, l’opération « Un livre pour les vacances » vise à offrir aux élèves de CM2 un classique de la littérature française avant l’entrée au collège. Cette année, le choix s’était porté sur une œuvre du XVIIIe siècle : La Belle et la Bête, par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont.
« J’ai été choisi pour illustrer ce texte, dans le style reconnaissable de mes autres créations, déclare l’intéressé dans un communiqué de presse. La marque de fabrique de mon travail recherché par le cabinet du ministre à l’origine de ce choix appartient à un courant important de la littérature dessinée française, porteur d’un second degré héritier de Gotlib , Goscinny , ou Tomi Ungerer . »
L’ouvrage a même bénéficié d’une préface élogieuse signée par la ministre de l’Éducation Élisabeth Borne. Que raconte ce classique de la littérature jeunesse qui soit de nature à être censuré, même illustré par le facétieux Jul, auteur de La Planète des Sages ou de 50 Nuances de Grecs ? Une jeune fille prénommée Belle accepte d’être retenue prisonnière d’un monstre pour délivrer son père. Mais la Bête à l’apparence terrifiante cache en réalité un prince au cœur d’or. Peu à peu, la Belle et la Bête tombent amoureuses, brisant le sortilège jeté par la méchante sorcière. La morale de l’histoire étant qu’il ne faut pas se fier à l’apparence d’autrui et compter sur la bonté du cœur.
Il semble bien que ces préceptes aient quelque peu échappé à la Direction générale de l’Enseignement scolaire (DGESCO). Au dernier moment, ce service du ministère a décidé d’annuler l’important tirage (900 000 exemplaires). S’agit-il d’une coupe économique ou bien cette annulation soulève-t-elle des questions plus préoccupantes sur l’étonnante dérive idéologique d’une institution gardienne des valeurs républicaines ?
Pour justifier l’annulation pure et simple de cet ouvrage dont l’objectif est d’amener la jeune génération vers le plaisir de la lecture grâce aux vertus de l’humour, la Direction générale de l’Enseignement scolaire a expliqué que « le rôle du ministère de l’Éducation nationale (…) est de permettre aux élèves d’acquérir une culture, des connaissances et des compétences - dont l’esprit critique - de façon adaptée à leur âge, à leur maturité et de manière accompagnée. »
L’année du dixième anniversaire des attentats contre Charlie Hebdo, alors que le président Donald Trump met à l’index des milliers de livres dans les écoles américaines, il semble pour le moins surprenant qu’une opération de cette envergure puisse avoir été résiliée en France. « J’ai honte de cette inconséquence politique qui envoie un signal de reprise en main de la liberté d’expression et de mise au pas, déplore Jul. Cette censure est une première défaite : la laisser passer en annonce cent autres.» Comme on dit dans la bande dessinée, à suivre...