"Donald Trump veut montrer qu'il n'y a pas un problème au monde qui ne puisse être réglé sans passer par le bureau ovale de la Maison-Blanche", déclare Bertrand Badie, chercheur en politique internationale

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.

Gilles Bornstein : Le président de la République a évoqué, devant les parlementaires britanniques, un certain nombre de sujets de politique étrangère, et particulièrement Gaza, pour lequel il réclame à nouveau un cessez-le-feu tout de suite, sans discussion ni condition. Il y a t-il un sentiment d'impuissance à ne pas parvenir à ce résultat ?

Bertrand Badie : Oui, je crois d'ailleurs qu'il est plus impuissant qu'énervé. Je n'ai pas tellement eu le sentiment qu'il sortait de ses gonds. Mais effectivement, à quoi servent les paroles ? C'est un beau sujet de dissertation. Quelle est la fonction de la rhétorique en relations internationales ?

Est-ce mieux de rien dire ?

Il y a beaucoup de travaux qui disent que la diplomatie efficace est une diplomatie discrète, qui ne s'exprime pas. Et il y en a même qui disent que plus on parle, plus on a ainsi le moyen d'exprimer son impuissance. La parole est le substitut à l'action. Le véritable problème, c'est de savoir comment contraindre. C'est ça le vrai sujet. Est-ce que vous croyez que ça impressionne le Premier ministre israélien de dire des paroles ? D'un certain point de vue que ça le conforte.

Louis Bernard : Symboliquement, ce n'est pas important que le président français dise devant tous les élus anglais qu'il faut une solution à deux États ?

Alors, je suis d'accord avec vous. Ce qui me gêne le plus, c'est qu'on parle toujours de cessez-le-feu et de non-guerre, mais jamais de paix. Or, la paix, qu'est-ce que c'est ? On le sait depuis Aristote, c'est la coexistence. Et la coexistence, c'est quoi ? C'est reconnaître à l'autre des droits égaux à ceux dont on dispose.

Gilles Bornstein : Quand il appelle à une solution à deux États, c'est n'est pas ce qu'il propose ?

Toute ma vie j'ai entendu cette solution à deux États. Ce qui m'intéresse en tant qu'internationaliste, c'est quelle voie va être choisie pour construire cette solution à deux États, quelles pressions vont être exercées sur Benyamin Netanyahou. Pour rappel, le dernier cessez-le-feu était constitué de trois étapes. La troisième étape devait justement faire le pont avec le futur, c'est-à-dire définir les conditions de cette paix dont je parlais tout à l'heure. Et c'est à ce moment-là que M. Netanyahu s'est arrêté et a considéré qu'on brûle la troisième étape.

Gilles Bornstein : Est-ce que ça veut dire qu'un cessez-le-feu qui n'est pas suivi de paix n'est pas utile ? Un cessez-le-feu ne fait pas la paix, mais il épargne des vies humaines.

Mais vous avez tout à fait raison. Il serait absurde et même criminel de mépriser un cessez-le-feu qui, soulage des populations qui, depuis maintenant 18 mois, sont constamment sous les bombes. Mais l'équation est très simple : vaut un cessez-le-feu dès lors que l'on a la certitude proclamée et explicite que, sitôt celui-ci terminé, on reprendra la guerre ? Il faut comprendre que le cessez-le-feu appartient au vocabulaire martial et non au vocabulaire de la paix. Donc le vrai problème, c'est comment articuler un cessez-le-feu à la paix. Et là, on se trouve face à une équation terrible, parce que le grand problème de Benyamin Netanyahou, c'est d'accepter un cessez-le-feu dont il sait par avance qu'il ne doit pas conduire à un arrêt prolongé des hostilités.

Louise Bernard : Est-ce parce qu'il ne veut pas la paix ou parce que les conditions de la paix ne seraient pas acceptables par son gouvernement qui ne pourrait pas accepter une reconnaissance de l'État palestinien ?

C'est un problème à étage. Le premier étage, il est le plus structurel et je dirais, peut-être, le plus consensuel dans la classe politique israélienne, c'est que pour assurer sa sécurité, il n'y a que la puissance et la force. Il n'y a pas de plan B et c'est là déjà que ça coince. C'est-à-dire que si on relâche la pression de la puissance, on se met dans une situation d'insécurité. Il ne faut donc pas qu'un cessez-le-feu annonce, prépare ou facilite le relâchement de la pression militaire et de la force.

Le deuxième étage, c'est un étage de transaction avec l'extérieur, et notamment avec les États-Unis. Comment satisfaire un président des États-Unis adepte de la diplomatie "selfie", c'est-à-dire de pouvoir s'afficher avec une solution, un accord... Et le troisième niveau, c'est comment préserver sa coalition gouvernementale lorsque celle-ci est construite sur une surenchère dans l'usage de la puissance ?

Louise Bernard : Benjamin Netanyahou est en voyage officiel à Washington. Lors d'une rencontre dans le bureau ovale, Benjamin Netanyahou a donné une lettre au président américain, dans laquelle il propose Donald Trump pour le prix Nobel de la paix. Comment analysez-vous ces images ?

Tout à l'heure, je parlais de la diplomatie du selfie et ça en fait partie. L'important pour Trump, c'est de montrer que tout passe par lui. Le slogan de la victoire trumpienne, c'est "Make America Great Again". Donc il faut montrer qu'il n'y a pas un problème au monde qui ne puisse être réglé sans passer par le bureau ovale de la Maison-Blanche. Mais ça n'a pas marché pour l'Ukraine, pour les droits de douane et pour l'Iran non plus. Puisqu'on voit maintenant que l'Iran, humilié et affaiblin par cette attaque, se trouve une ardeur encore plus justifiée dans son esprit pour relancer le programme nucléaire.