L’EPR de Flamanville, le plus puissant des réacteurs nucléaires français, sur le point d’être (enfin) raccordé au réseau

Du suspens et toujours du suspens. L’EPR de Flamanville n’en finit pas de jouer la montre. Le premier raccordement au réseau électrique du réacteur avait été promis par EDF « avant la fin de l’automne ». Tic-tac, l’heure tourne, en ce 20 décembre. D’abord promise pour ce vendredi matin 10 heures, l’opération, dite « couplage » a été repoussée à ce soir 23 heures. Un délai de treize heures, sur un chantier qui arrive à son terme avec douze années de retard et un coût trois fois plus élevé que prévu, à plus de 13 milliards. Une odyssée des temps modernes, avec un long voyage semé d’embûches.

Des centaines de personnes sont mobilisées sur le site pour jouer cette participation au millimètre. Aucune place n’est laissée à l’improvisation, chacun sait précisément ce qu’il a à faire pour mener à bien le couplage. Paradoxalement, ce n’est pas le cœur du réacteur nucléaire, là où le combustible produit de la chaleur, qui fait l’objet du plus d’attention, mais la turbine. Cette immense machine dont les pâles vont tourner à 1500 tours minutes, propulsées par la vapeur produite par le réacteur. Cette vapeur doit être parfaite, car à cette vitesse la moindre goutte d’eau a la puissance d’une balle de pistolet. Les capteurs scrutent les vibrations, la chaleur, l’environnement… Une fois toutes les conditions réunies, l’alternateur, qui produit l’électricité à proprement parler, est lancé. « Il doit être synchronisé pour produire à 50 hertz, la fréquence du réseau électrique français », explique Régis Clément, directeur adjoint de la production nucléaire chez EDF. Dans un premier temps, cette énorme installation ne produira que quelques mégawatts (MW) l’électricité. Il n’atteindra sa pleine puissance qu’à l’été 2025. 

D’ici là, il reste encore quelques étapes techniques et réglementaires à franchir, avant la mise en service industrielle de l’EPR. Fla3, selon sa dénomination EDF, est couplé au réseau à environ 20% de ses capacités. Pour passer le seuil de 25%, EDF doit obtenir le feu vert de l’autorité de sûreté nucléaire, (ASN), de même pour 60%, puis 80%. Le couplage marque certes l’entrée en production du géant de 1600 MW, le plus puissant des réacteurs du parc français, il marque aussi le début d’une nouvelle phase de tests, faits de variations de puissance, d’arrêts en moins de deux secondes, d’îlotage (test du réacteur quand le réseau électrique à un problème). Tous ces scénarios sont faits pour éprouver l’installation et réduire au minium tout risque d’incident. Une quinzaine d’arrêts et de redémarrages auront lieu sur le chemin de la pleine puissance, l’été prochain.

Saluons les acteurs qui sont allés jusqu’au bout. Ils n’ont rien lâché et l’ont mis en service, ce qui prépare quand même très bien la relance du nucléaire

Olivier Bard, délégué général du Gifen

Ensuite, la production pourra encore varier, jusqu’à la première visite de contrôle (V1) de l’EPR prévue en 2026, soit environ dans 18 mois. Toutefois, la donnée prise en compte pour cette V1 n’est pas la durée de fonctionnement, mais le volume d’électricité produit, soit 14 TWh. Cela correspond à la consommation d’environ deux millions de foyers pendant un an. Et surtout, cela revient à user le combustible, comme on viderait le réservoir d’une voiture. À 14 TWh, il faudra refaire le plein : décharger et recharger en combustible le cœur du réacteur. À bien des égards, cette première visite complète est similaire à celles effectuées tous les dix ans dans les autres réacteurs du parc, une sorte de contrôle technique en beaucoup plus poussé, version monde du nucléaire. 

Le changement du couvercle dans dix-huit mois

Il y a cependant une différence de taille : le couvercle de la cuve contenant les éléments radioactifs sera changé à cette occasion, pour répondre à un engagement pris auprès de l’ASN. « Ce n’est pas un sujet de sûreté, mais de durée de vie », résume Régis Clément. Le métal du couvercle actuel se fragilisera dans le temps au contact des neutrons, « il sera changé avant de présenter un risque », rassure Régis Clément. Dans les faits, de nombreux équipements dédiés au contrôle et au fonctionnement du réacteur sont installés sur le couvercle. Ils seront « retirés pour être installés sur le nouveau», ce qui devrait prendre « un peu plus d’un mois », ajoute Régis Clément. La donnée est connue de longue date. Fin 2014, Areva NP a «découvert une anomalie de fabrication de l’acier du couvercle », explique l’IRSN. En 2017, l’ASN et l’IRSN ont considéré que le remplacement de ce couvercle devrait être réalisé au premier arrêt pour rechargement du réacteur (VC1). Qui aurait dû survenir bien avant 2026…

Le changement du couvercle est un des innombrables déboires rencontrés sur le chantier. Et malgré tout, la mise en service de l’EPR est un sujet de fierté, chez EDF d’abord, mais aussi pour toute une filière industrielle. «Saluons les acteurs qui sont allés jusqu’au bout. Ils n’ont rien lâché et l’ont mis en service, ce qui prépare quand même très bien la relance du nucléaire », souligne Olivier Bard, délégué général du Gifen, le groupement des industriels français de l’énergie nucléaire.