Iran : face à la guerre avec Israël, une répression accrue sous couvert de "chasse aux espions"
Sous les bombes israéliennes, la répression se durcit en Iran. Les autorités iraniennes ont annoncé lundi 23 juin avoir exécuté l'opposant Mohammad-Amin Mahvadi, emprisonné depuis 2023. Quelques heures plus tôt, l'ONG de défense des droits humains Hrana, basée à Washington, confirmait quant à elle l'exécution, la veille, d'un autre prisonnier, Majid Mosayebi. Tous les deux étaient accusés d'être des espions à la solde d'Israël.
Depuis le début de la guerre entre Israël et l'Iran le 13 juin, la République islamique affiche une ambition : traquer, arrêter et emprisonner quiconque aiderait ou aurait aidé l'État hébreu. Et l'heure est à la plus grande sévérité : "Si quelqu’un est arrêté parce qu’il a eu des contacts et a collaboré avec le régime sioniste [terme utilisé par le pouvoir iranien pour désigner Israël, NDLR], il doit être jugé, puni et exécuté rapidement", a clairement annoncé, lundi, Gholamhossein Mohseni-Ejei, à la tête du pouvoir judiciaire iranien.
Alors que, sur le terrain, différents observateurs font état d'un déploiement massif des services de sécurité, notamment de volontaires bassidjis – une branche des Gardiens de la révolution qui compte des millions de membres – les arrestations se multiplient. Dès le lendemain du lancement de l'opération "Rising Lion" (L’éveil du Lion) par Israël, seize personnes étaient arrêtées, selon le site iranien d'opposition IranWire. Deux jours plus tard, la police interpellait quatre personnes dans la province d'Ispahan, dans le sud du pays. Le 20 juin, c'était cette fois trente personnes qui étaient arrêtées dans la ville de Hamedan, dans l'Ouest, selon les autorités provinciales.
De la capitale Téhéran au Kurdistan iranien, en passant par des provinces du Nord ou du Sud, les annonces de ce type sont quotidiennes. Les motifs des arrestations sont souvent flous : certains sont accusés d'avoir déclenché des incendies ou encore d'avoir eu un comportement suspect près d'un centre militaire. D'autres sont épinglés car ils auraient propagé des rumeurs sur les réseaux sociaux. L'accusation sous-jacente est cependant toujours la même : les personnes concernées auraient des liens avec le Mossad, les services de renseignement israéliens chargés des opérations spéciales extérieures.
"Au moins 223 personnes ont été arrêtées" depuis le début de la guerre Israël-Iran", selon l'ONG Iran Rights Watch, qui s'appuie sur un décompte réalisé à partir des médias officiels.
Plusieurs années d'espionnage
Avec l'opération "Rising Lion", Israël a dévoilé une faille dans les services iraniens : des agents ennemis ont infiltré les plus hautes sphères décisionnelles du pays.
Les frappes massives menées le 13 juin, qui ont tué plusieurs hauts responsables et des scientifiques iraniens, sont le résultat de plusieurs années d'espionnage, affirmait le journal américain The New York Times, citant des sources sécuritaires. Tel-Aviv avait ainsi "identifié et traqué les déplacements des scientifiques et des responsables militaires qui ont été assassinés", rapporte-t-il.
Dans les mois précédant l'offensive israélienne, des agents infiltrés avaient "établi une base militaire" en Iran et y avaient stocké de l'armement entré clandestinement, a de son côté affirmé un haut responsable israélien au quotidien Haaretz. Cette base a pu être établie avec l'aide d'Iraniens enrôlés par le Mossad, ajoute le magazine The Atlantic.
Le service de renseignement extérieur israélien avait par ailleurs déjà démontré sa capacité à agir sur le territoire iranien en juillet 2024, lorsqu'il avait assassiné, à Téhéran, Ismaïl Haniyeh, le chef politique du Hamas.
De quoi alimenter "une certaine paranoïa des autorités iraniennes", estime Jonathan Piron, historien spécialiste de l'Iran pour le centre de recherche Etopia à Bruxelles. "Mais il est impossible, en l'état, de vérifier si ces différentes arrestations reposent sur des éléments concrets."
Étouffer le moindre début de contestation
Pour le spécialiste, cette problématique donne surtout au pouvoir iranien un prétexte tout trouvé pour renforcer encore la répression de l'opposition dans son pays. "Le régime joue de cette paranoïa et utilise la situation actuelle pour réprimer tous ceux qu'ils qualifient d'opposants au régime au nom de la défense du pays", analyse-t-il, rappelant par ailleurs que même en dehors du conflit actuel, l'Iran annonce régulièrement l'arrestation et l'exécution d'agents supposés travaillant pour les services de renseignement de pays étrangers, notamment d'Israël.
Face à ce constat, plusieurs ONG tirent ces derniers jours la sonnette d'alarme. L'ONG Iran Human Rights redoute donc, dans un communiqué publié jeudi, "une intensification de la répression et des exécutions dans les prochains jours".
"Les appels à des procès expéditifs et à l'exécution de personnes arrêtées pour collaboration présumée avec Israël montrent comment les autorités iraniennes instrumentalisent la peine de mort pour asseoir leur contrôle et instiller la peur au sein de la population iranienne", dénonce de son côté Hussein Baoumi, directeur régional adjoint pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnesty International. "Les autorités doivent veiller à ce que toutes les personnes arrêtées soient protégées contre les disparitions forcées, la torture et autres mauvais traitements, et s'assurer qu'elles bénéficient de procès équitables y compris en période de conflit armé."
L'Iran est le pays qui procède au plus grand nombre d'exécutions après la Chine, selon les deux ONG. En 2024, au moins 975 personnes ont été exécutées en Iran. Un nombre record depuis le début de ce recensement en 2008.
La crainte d'un soulèvement de la population
En durcissant ainsi la répression de la population, "il y a aussi certainement une peur pour le régime, qui se sait fragilisé, de voir des manifestations émerger à un moment ou à un autre", poursuit-il. "Cette démonstration de force doit permettre de tuer tout mouvement de contestation dans l'œuf."
Même si pour le moment, constate cependant le spécialiste, aucune vague de protestation ne semble émerger en Iran. "Depuis le début des frappes, les manifestations contre le régime se sont arrêtées net", note-t-il. "Certains mouvements étudiants très critiques à l'égard du gouvernement ont bien essayé d'appeler à la mobilisation, mais cela n'a pas pris. La population conteste toujours le régime mais, pour le moment, elle se concentre sur sa sécurité."
"Il y a aussi eu des prises de position publiques par des figures de l'opposition, comme la prix Nobel de la paix Narges Mohammadi, réclamant davantage d'ouverture de la part du gouvernement", poursuit Jonathan Piron. "Ces réflexions existent mais elles ont peu d'impact pour le moment."
Outre la rue, la répression s'accentue aussi en ligne, termine Jonathan Piron, évoquant de nombreuses perturbations dans l'accès à Internet. Au total, 206 personnes ont été interpellées pour des contenus publiés en ligne ou une activité suspecte, selon l'ONG Hrana.
Le ministère des Communications a par ailleurs régulièrement coupé l'accès à Internet, plaidant un risque de cyberattaques israéliennes. Mais là encore, cela fait les affaires de l'appareil répressif du régime, empêchant dans le même temps la population de se partager des informations.