L’appel de l’ONU à protéger les glaciers, «châteaux d’eau» de notre planète

«Les régions de montagne sont celles où le réchauffement climatique  se manifeste le plus.» Face à ce constat et à l’occasion de la première Journée mondiale des glaciers ce 21 mars, l’Unesco et l’Organisation météorologique mondiale de l’ONU (OMM) alertent sur l’avenir de ces «châteaux d’eau naturels». On recense plus de 215 000 glaciers à travers le monde et l’accélération de leur fonte «risque de déclencher une avalanche d’effets en cascade sur les économies, les écosystèmes et les communautés, non seulement dans les régions montagneuses, mais aussi à l’échelle planétaire», prévient l’OMM.

Dans un rapport publié vendredi, l’Unesco rappelle à quel point les eaux de montagne sont essentielles, à l’heure où les prélèvements mondiaux d’eau douce augmentent en moyenne de 0,7 % par an. «Les montagnes couvrent 25 % des terres émergées et sont responsables de la production de 60 % de l’eau douce annuelle qui s’écoule dans les cours d’eau», rappelle Abou Amani, directeur de la division des sciences de l’eau à l’Unesco, lors d’une conférence de presse. Il cite l’exemple du plus grand bassin du monde : «50 % des eaux qui coulent dans l’Amazone viennent des Andes.» 

Agriculture, production d’énergie, industrie, tourisme... «Plus d’un milliard de personnes vivent dans des régions montagneuses et plus de deux milliards dépendent directement de l’eau provenant des montagnes pour leur eau potable, leurs installations sanitaires et leurs moyens de subsistance», selon l’Unesco. Dans les pays andins, 85 % de l’énergie hydroélectrique provient par exemple de zones montagneuses. Ces dernières sont aussi très riches en biodiversité, notamment parce qu’elles abritent 40 % des forêts du globe.

Fin annoncée de la «glace éternelle»

Mais cette ressource en eau est aujourd’hui menacée par le réchauffement climatique. Une récente étude publiée dans la revue Nature  révèle qu’en un quart de siècle, les glaciers ont perdu 5 % de leur masse, avec de grandes disparités : ceux des Alpes et des Pyrénées ont diminué de 40 % depuis le début du siècle, dont quasiment 10 % au cours des années 2022 et 2023. Le Service mondial de surveillance des glaciers (WGMS) évalue à plus de 9000 milliards de tonnes la masse totale perdue (hors Groenland et Antarctique) depuis le début des relevés en 1975. Cela équivaut à «un énorme bloc de glace de la taille de l’Allemagne et d’une épaisseur de 25 mètres», selon le directeur du WGMS, le Pr Michael Zemp. Depuis le début du XXIe siècle, la fonte des glaciers a ainsi contribué à hauteur de 18 mm à l’élévation du niveau de la mer. «Cela peut sembler peu, mais l’impact est considérable : chaque millimètre d’élévation du niveau de la mer expose 200 000 à 300 000 personnes supplémentaires aux inondations annuelles», note-t-il dans un communiqué.

Sous l’effet du réchauffement, l’eau tombe également de plus en plus sous forme de pluie et non plus de neige, ce qui accentue encore la fonte des glaciers, et en outre réduit la couverture neigeuse saisonnière, considérée comme une réserve majeure en eau douce. La conséquence, en aval, ce sont des flux «plus erratiques, plus incertains et plus variables» : comme l’explique Abou Amani, «les montagnes libèrent progressivement l’eau dans la vallée au moment de la fonte. Sous l’effet du réchauffement , on va avoir une libération avancée de cette eau, qui viendra alors à manquer quand on en aura besoin en été ou en automne». La glaciologue Heïdi Sevestre ajoute qu’au Népal ou au Pérou, des communautés pastorales sont déjà contraintes de migrer à cause de ce phénomène. Ces changements dans les précipitations augmentent également les risques d’avalanches, ou d’inondations dues aux débordements brutaux des lacs glaciaires.

L’urgence de réduire nos émissions

Au rythme actuel de réchauffement, de nombreux glaciers de l’ouest du Canada et des États-Unis, de Scandinavie, d’Europe centrale, de Nouvelle-Zélande et des tropiques ne survivront pas au XXIe siècle. «Même si on parvient à limiter la hausse des températures globales autour de +1,5°C, les glaciers himalayens de l’Hindou Kouch vont quand même perdre 30 à 50 % de leur volume d’ici la fin du siècle», insiste Heïdi Sevestre. Avec un réchauffement de +4°C, ce chiffre passe à 80 %.

Quant aux solutions présentées comme innovantes pour tenter de ralentir le phénomène, la glaciologue reste dubitative. Depuis plus de dix ans par exemple, une partie du glacier du Rhône, en Suisse, est bâchée pour tenter de ralentir sa fonte. L’Unesco rappelle toutefois qu’il faudrait dépenser entre 10 et 100 millions d’euros par an pour recouvrir l’ensemble du glacier. «Jusqu’à maintenant, les bâches étaient en plastique et risquaient de contaminer les écosystèmes, note Heïdi Sevestre. Maintenant, certaines sont en cellulose... Mais il faut être réaliste : si on met tous les glaciers de montagne ensemble, cela représente une surface grande comme deux fois l’Allemagne : on ne va pas pouvoir tous les recouvrir. » 

Alors que faire ? Il faut déjà une meilleure compréhension de ce qui se passe en altitude, estime Abou Amani, qui pointe le manque de données sur les glaciers. Et il le martèle : « La cause de tout cela, c’est le changement climatique lié aux gaz à effet de serre que nous émettons.» Réduire drastiquement nos émissions est donc indispensable pour tenter de sauver les glaciers qui peuvent encore l’être.